entretien accent
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Une analyse signée Grégory Miras, professeur des universités en didactique des langues, et Anne Pignault, professeure en psychologie du travail. Et publiée par The Conversation.

Au cours de l’entretien de recrutement, méthode encore probablement la plus utilisée dans ce contexte, des études montrent que les « premières impressions » sont déterminantes et qu’il ne faut parfois guère plus de quatre minutes au recruteur pour prendre la décision d’embauche. Ce court délai nous invite à réfléchir sur l’influence des préjugés dans la formation du « jugement de la valeur professionnelle ».

L’humain, cet « avare cognitif », utilise en réalité toute une série de raccourcis (dits heuristiques), permettant certes de traiter rapidement les informations présentes dans son environnement mais aboutissant également probablement à des erreurs. Dans le domaine de l’évaluation et de la sélection des personnes, les recruteurs, issus de formations et d’horizons professionnels variés, sont soumis à des biais et n’en sont que plus ou moins conscients. De nombreuses variables liées à l’apparence, à la présentation ou à la manière d’« appartenir » à un groupe, peuvent affecter les jugements et décisions. On peut donc aussi s’interroger sur l’impact de la prononciation ou de l’accent d’un candidat en contexte de sélection.

Des carrières impactées

Quelques premières études, américaine ou plus récemment européenne, montrent que le fait d’être perçu comme ayant un accent étranger tend à désavantager les candidats concernés, et ce très tôt dans le processus de recrutement puisqu’un premier contact par téléphone est souvent pris voire exigé dans ces situations.

Dans divers domaines professionnels, les études tendent à montrer également qu’un accent identifié comme « étranger » influence la perception du professionnel qui le porte. Ainsi, les médecins sont perçus comme moins fiables, ou des conférenciers comme moins experts de leur domaine. Cela peut aussi impacter les carrières professionnelles.

Une méta-analyse montre que le préjugé lié à l’accent est particulièrement prononcé envers les candidates et plus généralement, chez les candidats qui s’expriment avec un accent étranger (par rapport aux accents régionaux). Ces préjugés sur l’accent étranger dans le monde professionnel sont souvent justifiés par un supposé manque de compréhensibilité (même si les spécialistes du domaine soulignent que l’on peut avoir un accent et être tout à fait compréhensible).

En psychologie sociale, une équipe de chercheurs allemands a dressé un tableau mitigé sur l’expression de préjugés négatifs ou de discrimination à l’encontre de la parole accentuée. Cependant, l’expression de ces préjugés ou de ces discriminations tend à devenir de plus en plus implicite dans une société où l’on promeut la tolérance, l’inclusion et la reconnaissance de la diversité.

Jeanne Meyer, sociolinguiste, montre que la situation est encore plus complexe et varie en fonction des domaines et des idéologies linguistiques. Par exemple, dans le prêt-à-porter, être un vendeur avec un accent dit « anglophone » sera vu comme plus positif car fashion comparé à d’autres accents. Dans l’enseignement, même si les travaux ne convergent pas dans ce sens, les apprenants pensent souvent que seul un enseignant natif – donc sans accent – leur permettra de devenir bilingues.

Prise de conscience et décentration

Faut-il en déduire qu’il revient au candidat avec un accent « étranger » de faire en sorte de le supprimer pour faciliter son accès au monde professionnel ? Pas forcément : certains chercheurs en psychologie du travail et en sociophonétique proposent d’autres voies.

Tout d’abord, il s’agit de réfléchir au rôle de la formation et du politique dans la réduction des mécanismes qui conduisent aux discriminations. Le projet PROSOPHON mené à l’université de Lorraine s’intéresse à la manière dont les individus vivent ces situations en menant des entretiens avec différents profils de personnes en lien avec le recrutement. Une manageuse dans des centres d’appel démontre qu’aborder l’accent dans l’entretien d’embauche, peu importe l’intention, déstabilise le candidat en créant un rapport vertical :

Je me souviens d’une fois où l’entretien s’est super bien passé et du coup à la fin je me suis juste permis de dire “euh bah j’ai cru euh constater que vous aviez un accent” et j’ai vu la personne en face, elle s’est complètement liquéfiée.

Plutôt que d’investir massivement dans la correction de l’accent chez les candidats, des auteurs ont également pu démontrer qu’il était possible de sensibiliser les personnes à mieux comprendre les accents et à la variation. Augmenter la sensibilité à la variation et à la pluriphonie permettrait de limiter les effets d’exclusion ou de discrimination.

Une autre piste serait de permettre aux professionnels du domaine de l’évaluation et de la sélection de prendre conscience des biais susceptibles de les influencer. Des outils existent et se développent dans ce domaine. Il pourrait être intéressant également de former, au moins d’informer les candidats sur les biais pouvant influencer la décision du recruteur et les facteurs influençant les représentations des compétences.

Finalement, favoriser le développement du sentiment d’efficacité personnelle et la confiance en sa capacité de réussir – dont les effets sur l’insertion professionnelle ont notamment été démontrés – serait, dans certains cas, encore une piste à examiner.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence creative commons. Lire l’article original.

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