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Un spécialiste, essayiste, explorateur passionné du monde numérique, administrateur des postes et télécommunications, auteur de multiples ouvrages, David Fayon, nous livre sa vision d’une année numérique 2020 planétaire orchestrée par ces géants qui donnent le ton. Les premiers sont américains, ce sont les Google Apple Facebook Amazon Microsoft – GAFAM. Les seconds chinois, Baidu Alibaba Tencent Huawei Xiaomi – BATHX. Du choc des deux galaxies naît la voie lactée du futur. Vous voici aux avant-postes.
Des acteurs oligopolistiques – GAFAM et BATHX – dominent Internet du haut de leurs capitalisations boursières qui correspondent à la somme des PIB de plusieurs États (même si, d’un côté, il s’agit d’un « stock » et de l’autre d’un « flux »). Ils exploitent les données personnelles et connaissent une croissance insolente. Dans le viseur des régulateurs, décriés par des citoyens, ces démons de la Bourse accusent des mouvements de baisse possibles sous le coup de potentielles fortes amendes. Facebook s’en est vu infliger une, record, par le régulateur du commerce américain, de 5 milliards de dollars, l’équivalent de 9 % du chiffre d’affaires réalisé en 2019. Effet ? Faible. La firme de Menlo Park a peu été impactée, elle avait anticipé et provisionné la sanction.
Les GAFAM disposent d’un cash insolent. Ils ont poursuivi des rachats soutenus en 2019 au premier rang desquels Google, ou plutôt le Groupe Alphabet, s’est offert Locker – maître de l’interconnexion des bases de données pour les systèmes dans le cloud –, acquis pour 2,6 milliards de dollars en juin 2019. Fitbit a aussi été absorbé par la firme de Mountain View en novembre 2019 pour 2,1 milliards de dollars, histoire de prendre de l’avance sur le marché de la montre connectée et la Watch d’Apple. Pour autant, d’autres géants du numérique, moins visibles, poursuivent leur expansion. Je pense aux firmes américaines HPE, VMWare, Broadcom ou encore Salesforce qui a racheté Tableau, éditeur de business intelligence, pour 15,7 milliards de dollars en juin 2019. Côté microprocesseurs et composants Intel et Nvidia sont incontournables.
Démanteler les oligopoles ?
Les chocs frontaux entre GAFAM comme leur coopétition vont s’intensifier. Pour faire image guerrière, à la façon de la bataille de Fachoda en 1898 où s’affrontaient les empires français et britanniques qui revendiquaient un même territoire, GAFAM et BATHX vont se retrouver sur des territoires convoités par les deux camps. Il s’agit d’une guerre sans merci pour la souveraineté entre États-Unis et Chine.
Au milieu de ce combat de titans, l’Europe garde une carte à jouer, atout de bluff qui pourrait ne pas suffire. La croissance qui était supérieure à 6 % par an en Chine va ralentir – et la catastrophe du coronavirus aggraver le choc – alors même que l’empire soutient une dette de poids. D’autre part, les velléités de taxer lourdement les GAFAM, de façon populiste et simpliste, par des candidats dans plusieurs pays, semblent d’actualité. Quand les mêmes politiques n’insistent pas sur la perspective de démantèlement des géants. La France et l’Europe ne peuvent rester inertes, ce qui reviendrait à sortir de l’histoire et à décliner.
L’Europe a pour l’heure une division d’écart
Car les Européens évoluent avec une division d’écart, même si des progrès timides se manifestent. Cédric O, secrétaire d’État chargé du Numérique depuis 2019, se félicitait des 800 millions d’euros levés par la French Tech en janvier. Or ce chiffre se révèle modeste comparé aux levées de fonds orchestrées dans la Silicon Valley et la force de frappe de la Chine qui aspire à dépasser les États-Unis en intelligence artificielle dès 2020. En outre, le Brexit risque d’affaiblir passagèrement l’Europe : Londres reste une place financière. Le Royaume-Uni, qui a amorcé un virage Internet puissant dès 2000, compte 17 licornes→ contre 4 en France.
Le développement de l’e-commerce, qui a franchi la barre des 100 milliards d’euros en 2019 en France, va se poursuivre. Simple comparaison : en Chine, en 1 heure sur Alibaba lors du Black Friday 2019, 10 milliards d’euros ont été dépensés en achats, et 20 au cumul des 9 heures !
Côté politique, l’entrée en scène de Thierry Breton, qui a conduit Atos→ pendant 10 ans, nommé commissaire européen chargé entre autres attributions de la question du numérique, devrait donner une vision à l’Ancien monde. Vision approuvée par le Parlement européen après le fiasco de Sylvie Goulard→ , alors même que l’image de la France en est sortie quelque peu entachée.
Le temps d’une plus grande souveraineté européenne doit advenir. Mais pas seulement sur les données. Le logiciel et le matériel font partie de la chaîne de valeur. Leurs potentielles portes dérobées rendent nécessaire cette maîtrise pour les Européens.
En matière de protection des données personnelles, le RGPD→ commence à faire des émules sous l’effet du CCPA (California Consumer Privacy Act). Il s’agit de la version californienne du RGPD qui vient d’entrer en vigueur le 1er janvier 2020. L’Europe aussi fait avancer la loi…
La transformation numérique devient une nécessité
Globalement, 2020 sera une année d’optimisation des technologies numériques existantes. Avec, concrètement, une plus grande intégration de plusieurs d’entre elles dans les produits et services, développées tant dans les entreprises de la tech que les entreprises et organisations utilisatrices. Au premier rang desquelles l’intelligence artificielle et ses composantes (deep learning, machine learning, chatbot, etc.) seront de plus en plus couplées au big data, au cloud et en particulier au edge computing→, à la réalité augmentée, etc. Certaines constantes demeurent, comme celle du volume de données traitées qui double tous les 18 mois. Une prolongation de la loi de Moore, mais selon une déclinaison qui dépasse les puissances des microprocesseurs, celle du nouvel or noir ou or transparent de l’économie numérique, les data.
Je l’ai déjà souligné, la transformation numérique n’est pas un phénomène à la mode. Il s’agit de quelque chose de structurant pour les organisations, un authentique processus darwinien. Ce sont les entreprises les plus agiles, celles qui savent s’adapter à leur environnement – pas forcément les plus « intelligentes » ou les plus « technologiques » – qui dominent l’écosystème. Les enjeux sont multiples. Ils passent par, notamment pour les grosses structures, la plateformisation, les API ouvertes→, l’ouverture des données, la coopétition, la collaboration en interne et la chasse aux silos, mais au-delà de l’organisation elle-même.
La course vers le monde numérique et l’impossible régulation
Le nombre d’internautes frôlera les 5 milliards en fin d’année 2020 (4,85) avec l’Asie qui comptera toujours plus d’un internaute sur deux dans le monde, mais l’Afrique, toujours en 3e position, se rapprochera de l’Europe, 2e, quoique largement distancée par l’Asie. L’Amérique du Nord n’occupe certes que le 5e rang en nombre d’internautes, mais son niveau de vie et de consommation de produits numériques gigantesque lui confère néanmoins le leadership, de plus en plus contesté par la Chine.
2020 verra la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), née de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres sur Internet (Hadopi). L’Arcom jouera un rôle important sur tout le marché de la vidéo à la demande qui se développe avec Netflix, Amazon Prime Video, Apple, Disney et les autres, d’autant que le streaming→ va représenter une part de revenu grandissante pour les industries de la vidéo et de la musique. D’un point de vue culturel aussi, il convient de favoriser la production de contenu made in France de qualité.
Les fake news pourraient prendre de l’ampleur dans les périodes de troubles que nous connaissons avec les deep fakes→ qui constituent le deuxième étage de la fusée et une régulation qui s’avère impossible dans les faits. Potentiellement, des signaux faibles qui ne sont pas des fake news seront remontés avec le risque d’être considérés à tort comme fake. C’est l’éternelle question des « faux positifs » purgés par les algorithmes. Les plates-formes et l’IA ne peuvent pas tout, surtout face à la complexité de la langue de Séguéla, autrement plus « challengeante » que l’anglais…
La 5G ne commencera à décoller qu’en fin d’année
D’ailleurs, 2020 sera l’année une de la 5G avec les primo-adopteurs. Néanmoins, il conviendra certainement d’attendre septembre 2020, voire septembre 2021 pour un nouvel iPhone (12) optimisé pour la 5G et la puce A14 qui comporterait 15 milliards de transistors ! Que de progrès exponentiels !
La 5G n’est pas seulement la rapidité en plus (facteur 10), elle concerne aussi l’architecture de réseaux et un traitement local des données avec l’edge computing→. Les opérateurs de télécoms comme Verizon (qui avait racheté Yahoo) ont saisi cet enjeu pour le traitement des images, en local notamment. C’est aussi l’opportunité d’accompagner une transition. Si, aujourd’hui, 80 % des données créées sont stockées dans des data centers dans le cloud et 20 % en périphérie dans des smartphones et des objets communicants, la loi de Pareto→ va s’inverser d’ici à 2030. Le boom de l’Internet des objets et des objets communicants (IoT) est devant nous. La question reste celle de la cohabitation entre 5G et technologies pour l’IoT (NB-IoT, Sigfox, LoRA, LTE-M→, etc.).
Et l’informatique quantique, ce sera pour beaucoup plus tard
L’année a commencé sous le signe de la prospective avec, en particulier, l’informatique quantique (IQ). À l’instar du rapport Villani sur l’IA, le rapport de la députée Paula Forteza sur l’IQ – passé inaperçu – s’efforce de donner une définition de l’IQ qui demeure assez floue (en informatique quantique, le qubit ou qbit est la plus petite unité de stockage d’information quantique, l’analogue du bit dans l’informatique classique). Quant à savoir à quelle échéance de premières applications crédibles et porteuses de valeur ajoutée pourront voir le jour en dehors des bureaux de recherche, nous frisons la SF. Les supercalculateurs classiques type Watson ne se hissent plus qu’à la pointe émoussée de la technologie à l’heure où Google et IBM se positionnent dans l’IQ…
David Fayon (@fayon), directeur de projets innovation, co-auteur de Transformation digitale 2.0 (https://tinyurl.com/digit20)
Olivier Magnan