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« Chasseurs – Cueilleurs…d’informations ? »
Co-fondateur et président de la société d’investissement Nextstage, mais également co-fondateur et président de Citizen Entrepreneurs ainsi que du G20 Young Entrepreneurs, Grégoire Sentilhes nous évoque sa vision de la troisième révolution industrielle (1).
Comment définissez-vous la troisième révolution industrielle ?
L’émergence d’une nouvelle forme d’organisation industrielle de la société est permise par la combinaison de nouvelles formes de savoir et de production d’énergie. Cette troisième révolution a vu le jour en 1995, avec l’émergence brutale d’Internet. Très peu de temps après, une nouvelle forme de production de l’énergie a commencé à apparaître. Jusque-là l’énergie était un produit : du charbon ou du pétrole, issus de la révolution industrielle précédente. Aujourd’hui, l’énergie devient un service, c’est quelque chose que l’on consomme, que l’on stocke, que l’on partage et que l’on peut même produire soi-même. Les batteries d’Elon Musk en sont un bon exemple, l’énergie devient décentralisée, tout comme l’information, via Internet. Cette combinaison de nouvelles formes de savoir et d’énergie transforme l’organisation industrielle de notre société : nous basculons d’un monde où tout était verticalisé, par secteur industriel, vers un monde où les choses deviennent circulaires et transversales.
Cela signifie-t-il une nouvelle chaîne de valeur ?
Assurément, autour de quatre tendances de fond : d’abord, l’économie de la valeur de nos émotions et de la qualité de l’expérience client.
Pourquoi Apple est-elle la première capitalisation boursière au monde ? Ce n’est pas à cause de la technologie, c’est à cause de la marque, du design, et de la qualité des interfaces. Deuxième tendance, l’économie du partage, et à la demande. Les gens éprouvent moins le besoin d’acheter un produit, ils souhaitent, plus simplement, en avoir l’usage. Cela a émergé avec Internet, avec les Saas (Software as a service), et cela se voit tous les jours avec, par exemple, les Vélib’, Autolib’, etc. Troisième tendance de fond, l’Internet industriel. Au 21ème siècle, les industriels intègrent, en amont et en aval, de l’intelligence dans les produits créés. Il est d’ailleurs attendu qu’une quarantaine de milliards d’objets seront connectés à l’Internet en 2020. Enfin, la dernière tendance de fonds reste l’économie positive. C’est l’idée que la création de valeur est réalisée par ceux qui régénèrent l’environnement dont nous sommes issus.
Qu’est-ce que cela change pour le travail ?
Cela va tout changer. Au début, à l’époque de Sapiens, nous étions des « chasseurs cueilleurs ». Au fur et à mesure des révolutions industrielles, et de l’organisation du travail, qui a fragmenté et taylorisé son organisation, nous avons fini par enfermer l’homme, en tant que salarié, dans un conditionnement qui rendait plus étroite la perception qu’il pouvait avoir de sa vie et sa capacité à prendre des initiatives. La troisième révolution industrielle, par le savoir auquel elle donne accès, nous récrée la faculté, mais aussi la responsabilité, de redevenir « chasseurs cueilleurs » des informations qui nous permettent d’être responsables de notre destin dans l’économie de la connaissance. Cela ne dépend que de chacun d’entre nous.
Qu’entendez-vous par « Tous entrepreneurs de nos destins », sous-titre de votre dernier livre ?
Avec ces quatre tendances de fond, il apparaît clairement que chaque individu, et même l’humanité, pour la première fois de l’histoire, a la capacité de réaliser tous ses rêves, se nourrir, se soigner, s’éduquer, découvrir d’autres formes de vies extra-terrestres… Le paradoxe de notre époque, c’est que l’homme n’a, par ailleurs, jamais autant couru le risque de s’autodétruire. Pour ma part, je veux faire partie de ceux qui pensent que cela peut évoluer positivement. Tout est, avant tout, une question de volonté et de discipline. Ce qui est intéressant dans la troisième révolution industrielle, c’est que nous sommes en train de voir se créer un monde autour de l’économie de la connaissance. Une économie où l’essentiel de la valeur créée ne l’est pas en extrayant des choses de la Terre, ou en fabriquant des produits, mais en extrayant de l’intelligence à partir de cela. Lorsque vous regardez aujourd’hui une entreprise comme Amazon, l’essentiel de sa valeur ne vient pas de son activité de commerce électronique mais de son activité de cloud sur l’hébergement des données.
Nous voyons d’ailleurs bien que les individus, comme les entreprises ou les nations, sont ceux qui mettront le plus l’économie de la connaissance et l’intelligence artificielle au cœur de leur démarche. Mais la technologie, c’est un peu comme l’argent, c’est un très mauvais maître et un très bon serviteur : sa fonction est d’être au service de l’homme et non l’inverse.
Comment la France se positionne elle par rapport à cette évolution ?
Il existe une créativité entrepreneuriale extraordinairement forte en France, et cette profusion est amplifiée par le savoir-faire très spécifique de la culture française, notamment en matière d’intégration de service. C’est en France, par exemple, qu’est né le concept des SSII, avec, entre autres, Capgemini, dans les années 1960. C’est-à-dire la capacité à conceptualiser, à monétiser et à intégrer une technologie.
Au-delà de la France ou de l’Europe, la troisième révolution industrielle correspond aussi à quelque chose que l’on mesure moins à l’échelle des pays occidentaux, mais qui a une importance considérable à l’échelle de la planète : c’est la montée en puissance du rôle des femmes. Leur accès à l’éducation et au monde du travail en fait, à mes yeux, le plus gros marché émergent au monde.
(1) « Vive la troisième révolution industrielle, tous entrepreneurs de nos destins ! », de Grégoire Gentilhes, éd. Nextstage, 2017.
Nicolas Pagniez