Temps de lecture estimé : 5 minutes
L’avenir arrive sans prévenir ?
La transformation du monde de l’assurance ne fait que commencer, mais il apparaît déjà que la bataille se jouera sur la maîtrise des technologies, la capacité à en extraire de la donnée, et surtout dans la capacité des acteurs à se muer en prestataires de services sur toutes les verticales couvertes par un contrat d’assurance.
«Je ne crois pas du tout à la mort de l’assurance que l’on m’annonce tous les quatre matins, et je ne crois pas du tout à l’intermédiation définitive des assureurs, sauf si nous ne nous adaptons pas », répond Antoine Ermeneux, directeur marketing et transformations stratégiques de Covéa lorsque est évoqué le futur de l’assurance. Si la nécessité de s’adapter semble acquise, il est encore tôt pour dire à quoi ressemblera le secteur demain. Certains prédisent la mort des assureurs traditionnels, d’autres l’arrivée des GAFA sur le marché, d’autres encore constatent que la transformation se fera avec l’intégration des nouvelles technologies. Objets connectés, intelligence artificielle, blockchain, chatbots, smartphones et consorts assurent que le rôle joué par l’assureur dans le quotidien de ses clients évolue rapidement.
Mieux vaut prévenir que guérir
Les grands noms du secteur l’ont d’ailleurs compris, et proposent déjà des offres à leurs assurés, intégrant des services supplémentaires à leurs prestations traditionnelles, notamment grâce à l’Internet des objets. Parmi le spectre couvert par les assureurs, l’habitation et l’automobile sont les domaines où fleurissent le plus d’offres en France.
Covéa, le groupe d’assurance mutualiste réunissant les assureurs MMA, MAAF et GMF a, par exemple, noué un partenariat avec Verisure, grand nom européen de la télésurveillance, afin d’intégrer ses services au sein d’une offre dédiée. Une offre qui « manifeste notre intention d’aller au-delà de l’assurance et de fournir une expérience qui prévient et qui accompagne autant qu’elle assure », nous explique Antoine Ermeneux. La Matmut, de son côté, propose, via IMA Protect, une offre similaire. Un positionnement qui traduit la volonté de ces grands groupes de proposer plus de services à leurs clients, plus tôt, afin de prévenir le sinistre. C’est le cas également dans l’automobile, où les deux enseignes ont mis en place des actions préventives : « Le rôle de l’assureur c’est aussi de faire de la prévention. Ce faisant, nous réalisons des campagnes de sensibilisation avec l’application Waze lors des week-ends de grands départs, ou à destination des jeunes tous les vendredi et samedi soir, directement sur leur téléphone », ajoute, Gilles Clouët des Pesruches, directeur marketing du groupe Matmut. Des initiatives qui semblent être bénéfiques des deux côtés en ce qui concerne l’habitation. « En matière d’habitation nous constatons une amélioration sur le sujet de la sinistralité concernant les maisons qui sont équipées. D’abord parce que cela participe de l’effort de prévention, mais aussi parce que lorsque le cambriolage survient, les cambrioleurs restent très peu de temps sur place, cela est statistiquement prouvé », constate Antoine Ermeneux. Un effet que relève également la Matmut : « Aujourd’hui la prévention c’est du gagnant-gagnant : pour le sociétaire cela permet de l’alerter sur une problématique donnée car lui-même n’en connait pas forcément les risques majeurs, et pour l’assureur cela permet d’augmenter le taux de satisfaction des sociétaires car ils ont potentiellement moins de sinistres et se sentent accompagnés », surenchérit Gilles Clouët des Pesruches.
L’assureur, un prestataire de services ?
Au-delà de la prévention des sinistres, les assureurs montrent une propension de plus en plus grande à évoluer en prestataires de services. Peut-être légèrement titillés par les nouveaux arrivants sur le secteur, comme l’assureur Alan, premier nouveau venu indépendant dans le secteur de l’assurance depuis trente ans. « Nous pensons que la ligne va être de plus en plus floue entre assureur et prestataire de services, nous indique son co-fondateur et CEO Jean-Charles Samuelian. L’assureur de demain offrira une solution complète à ses utilisateurs. Il ne peut pas juste être un payeur, car les utilisateurs cherchent plus. » Une vision qu’ont intégrée les grands groupes en proposant des services complémentaires, liés à l’accompagnement des assurés. Covéa a, par exemple, lancé une application servant de livret de bord à l’adulte accompagnant son enfant en conduite accompagnée. Connectée aux auto-écoles, celle-ci permet ensuite de faire le lien entre les deux et de garder une trace de l’apprentissage. Si l’assureur a, bien entendu, tout intérêt à favoriser un bon apprentissage de la conduite, cela permet surtout à ce dernier d’alimenter la relation avec son client. « Un de nos grands défis, c’est d’occuper les temps faibles de la relation avec nos assurés. En moyenne, un assuré subit un sinistre auto tous les huit ans, et un sinistre habitation tous les quatre ans. Entre temps, le risque majeur que nous avons c’est de voir s’interposer entre nous et nos clients d’autres acteurs. Pour cette raison nous avons mis en place une plateforme pour apporter des services de prévention et d’accompagnement pour densifier cette relation », nous explique Antoine Ermeneux.
Se frayer une place dans l’écosystème naissant
Apporter de nouveaux services liés aux nouvelles technologies ou objets connectés est également un moyen d’apparaître comme incontournable dans le domaine. La Matmut s’est, par exemple, positionnée comme un prescripteur et un garant de confiance dans l’écosystème de la maison connectée. « Ce que nous voyons, c’est qu’il y a de très nombreux acteurs dans le domaine des objets connectés sur le thème de la maison connectée. Pour pallier la difficulté de nos sociétaires à s’y retrouver face à un nombre de solutions extrêmement important, notre partenaire Inter Mutuelles Assistance a ouvert un laboratoire à Nantes. De nombreux objets connectés y sont testés et nous recommandons une sélection validée par nos soins », explique Gilles Clouët des Pesruches. Une offre qui garantit que les objets connectés correspondent bien aux standards de l’assureur afin de rassurer le client sur leur utilisation, notamment en cas de gestion du sinistre. Mais l’assureur va même plus loin, en vérifiant que l’objet connecté, prévu pour faciliter la vie de l’usager, ne va pas représenter un danger pour ce dernier : « Nous vérifions les objets connectés, nous faisons en sorte qu’ils ne puissent pas potentiellement prendre feu, ou encore nous prévoyons des protocoles fondamentaux de sécurité comme, par exemple, que les volets électriques s’ouvrent automatiquement en cas d’incendie », complète-t-il. Des protocoles qui mettent en relation, du coup, des objets connectés entre eux, et qui permettent à l’assureur de se positionner sur de potentiels futurs services à offrir grâce au réseau ainsi créé.
Santé assurée, connectée… chassez l’intrus ?
Pour autant, le mariage objets connectés et assurance n’est pas toujours vu d’un bon œil. Car l’objet connecté collecte des données, des données liées à l’objet, à des habitudes de vie mais aussi, dans certains cas, des données de santé, qui peuvent permettre à l’assureur d’adapter son tarif en fonction de l’assuré. Le concept est déjà en vigueur aux Etats-Unis, où plusieurs grands noms des assurances mutualistes comme Prudential, Humana ou encore John Hancock ont développé avec l’assureur sud-africain Discovery des offres d’assurance-santé liées aux objets connectés en analysant les rythmes sportifs et les habitudes alimentaires des assurés. Si les résultats sont flatteurs – les personnes équipées de cette offre ont des dépenses maladies inférieures de 20% en moyenne – il faut les prendre avec prudence car, comme le met en avant une étude Xerfi Precepta sur les dispositifs connectés dans l’assurance, les usagers prêts à partager leurs données sont généralement ceux dont le risque est faible et qui vont donc s’en retrouver bénéficiaires. En France, voir fleurir de telles offres semble utopique aujourd’hui. La réglementation relative à la protection des données personnelles garantit que les assureurs ne puissent utiliser les données de santé pour tarifer les offres, et eux-mêmes, à l’unisson, s’y refusent. Dans le domaine de la santé pourtant, les objets connectés pourraient bientôt venir compléter une offre de soin existante, sur demande des médecins, et ainsi fleurir au sein des plaquettes des mutuelles ou assureurs par ricochet. En 2015, un livre blanc du Conseil national de l’ordre des médecins a proposé un certain nombre de recommandations pour que les consommateurs aient confiance dans les objets connectés, mais surtout pour qu’ils soient fiables d’un point de vue clinique, car certains objets connectés, s’ils émettent des recommandations, peuvent devenir des dispositifs médicaux. La collecte d’une donnée médicale pourrait alors se faire dans l’intérêt du patient, afin de lui permettre de rentrer chez lui après une intervention à l’hôpital, suivi à distance grâce à un dispositif connecté au médecin. Un retour chez soi plus rapide, grâce à une réduction du risque offerte par l’objet connecté. Partant, l’ordre des médecins propose un cadre éthique quant à la gestion des données collectées lors d’une utilisation clinique. Prérequis à toute avancée en la matière.
La nouvelle donne de la donnée
Du côté de la domotique ou de la voiture connecté, collecte-t-on des données justement ? D’après l’étude que Xerfi Precepta a menée sur le sujet, celle-ci va devenir une ressource critique pour se constituer un avantage concurrentiel. Pour autant, impossible de la collecter sans l’accord de l’usager, pour qui cela est loin d’être évident. « Il faut rassurer sur l’usage qui sera fait de la donnée et il faut mettre en perspective les avantages pour l’assuré, nous explique Antoine Ermeneux. Les gens ont besoin de comprendre la finalité de cette captation de données. Ils ont également besoin d’un avantage. S’ils n’ont ni l’un ni l’autre, ils refusent ; cela doit être gagnant-gagnant. » Si tous les acteurs de l’assurance collectent et possèdent de la donnée, parfois même sans le savoir, l’utilisation de ces données est encore assez peu répandue. Dans le cadre de ses offres « maison connectée », la Matmut laisse pour l’instant les données collectées dans les mains de ses clients, tandis que Covéa en est, à ce jour, au stade de recherche sur le sujet, tentant d’établir des corrélations entre les comportements et la sinistralité afin d’améliorer la prévention. Côté nouveaux acteurs, Alan utilise la donnée dans un objectif marketing : « La donnée va nous permettre d’améliorer nos produits. Elle va permettre de comprendre les usages de nos utilisateurs, de nous rendre compte de ce que nous ne faisons pas assez bien, afin de voir comment nous pouvons l’améliorer pour rendre leur vie plus simple. Elle va ensuite aider à personnaliser le produit pour chaque client en termes de prévention », nous explique Jean-Charles Samuelian. Côté distributeurs enfin, la donnée n’est pas encore utilisée non plus, comme nous l’apprend Guillaume Rovere, Chairman d’AssurDeal, société spécialisée dans l’achat et revente de portefeuilles de courtiers, et fondateur du média dédié à la transformation digitale de l’assurance AssurDeal.media : « Aujourd’hui, les datas ne sont pas du tout utilisées chez les courtiers. Ils collectent les données pour les assureurs, mais jamais pour optimiser le service qu’ils rendent. Nous estimons que cela pourrait représenter une source de revenu de l’ordre de 30% au moins dans les cinq ans qui viennent ». Un virage de la donnée à prendre sur le secteur, peu entamé en France, qui pourrait bien servir de porte d’entrée pour la concurrence et surtout les géants de l’IT qui ont la possibilité de mobiliser d’importants moyens de ciblage et de personnalisation pour tenter de venir se placer entre assureurs et assurés. « C’est une réelle menace aujourd’hui, pour la plupart des assureurs cela semble impossible car l’assurance est un marché réglementé, mais un Google peut très bien proposer une assurance à l’usage grâce à toutes les données qu’il possède sur l’usager », indique Guillaume Rovere. Avant de conclure : « L’assurance est un marché tellement rentable qu’il n’y a aucune raison que Google, Facebook ou d’autres ne s’y penchent pas assidûment ».
Nicolas Pagniez