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Eldorado des nouvelles technos
Robotique, imagerie 3D, réalité augmentée, intelligence artificielle… Il se passe des choses dans les blocs, et il va s’en passer.
Les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) ouvrent une nouvelle ère dans la santé. Et dans les blocs opératoires l’histoire est en marche, à vitesse grand V, grâce aux robots qui s’activent tant et plus. « Songez qu’il y a quelques dizaines d’années une opération de vésicule biliaire nécessitait une immobilisation en hôpital d’un mois, contre une journée aujourd’hui ! Une cataracte nécessitait une semaine, contre une demi-journée maintenant », observe le Dr Laurent Alexandre, chirurgien urologue et neurobiologiste, serial entrepreneur créateur du forum Doctissimo. Chaque jour amène son lot de nouvelles technologies facilitant et accompagnant les interventions. « La chirurgie était presque artisanale, avec des instruments encore assez rudimentaires, qui requéraient donc une certaine dextérité du praticien. Il existait un réel aléa qui dépendait de son expérience et même de sa forme du jour ! Les technologies réduisent désormais cet aléa, comme dans l’industrie par exemple », remarque Bertin Nahum, fondateur de Medtech puis Quantum Surgical, start-up fabriquant des robots d’assistance dans ce domaine. De quoi limiter les 60000 accidents annuels en France dus à des erreurs lors des opérations chirurgicales…
Un nouveau chirurgien augmenté
L’immixtion du numérique en chirurgie paraît être une tendance inéluctable. Les opérations de demain seront menées de main de maître grâce à l’alliance entre robotique et réalité augmentée. De la science-fiction ? Que nenni, nous y sommes. A l’institut hospitalo-universitaire de Strasbourg par exemple, s’entraîner à une opération en réalité augmentée sur l’organe virtuel du patient et contrôler un robot chirurgien est déjà possible. Si le risque zéro n’existe pas, il est possible de s’en approcher grâce à ces nouveaux outils. Face à des patients de plus en plus exigeants concernant les risques, les machines permettent de réaliser des opérations avec une précision que ne peut pas atteindre l’homme. La chirurgie mini-invasive induit des incisions minuscules que seul un robot peut réaliser. « Le robot reste piloté par le chirurgien, mais l’intervention sur le patient est mieux contrôlée », décrit Nathanaël Ackerman, coordinateur du plan France IA, conseiller Innovation & IA auprès de Christophe Sirugue, secrétaire d’Etat à l’Industrie et au numérique. Cela ne signifie pas que l’homme va disparaître au profit de la machine, il trouvera seulement une aide précieuse. Outre la robotique, l’imagerie 3D et la réalité augmentée sont autant de pistes d’amélioration. Certains spécialistes établissent un parallèle entre le développement de voitures sans conducteur et le recours au numérique dans le secteur de la chirurgie. La Google Car intègre une cartographie GPS, un système de réalité virtuelle avec des projections d’informations sur le pare-brise, des capteurs pour s’orienter dans l’environnement et des éléments robotisés. Tous ces systèmes peuvent être adaptés au bloc opératoire dans une combinaison radiologie/chirurgie.
Imagerie 3D, première étape fondamentale
L’élément essentiel du futur de la chirurgie réside dans une vision superposant réel et virtuel, permettant de se repérer pendant l’opération mais aussi d’aider, avant l’acte, au choix de la thérapie la plus adaptée. Les outils de modélisation 3D permettent de réaliser une « copie numérique » du corps du patient avant son opération. Des acteurs se sont spécialisés, comme la Bretonne Imascap pour la chirurgie de l’épaule. Visible Patient, un service de modélisation en ligne développé par la start-up éponyme, fondée par Luc Soler, l’Ircad (institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif) et l’Institut de chirurgie guidée par l’image (IHU) de Strasbourg, produit à partir d’images scanner ou IRM des « clones 3D » d’un patient. L’avenir se dessine petit à petit : le geste chirurgical est planifié sur un clone numérique. En amont le chirurgien peut répéter son geste à l’infini. Les effets potentiels d’une ablation peuvent être visualisés. Puis ce clone est superposé en réalité augmentée sur le véritable corps du patient afin de guider le chirurgien et l’aider à placer les instruments robotisés aux bons endroits. « Le praticien dispose de repères visibles dans son casque », traduit Nathanaël Ackerman. En jouant sur la transparence des différents organes virtualisés, le chirurgien peut savoir exactement où se situe la pathologie et où agir. Chaque année, l’Ircad et l’IHU de Strasbourg forment des milliers de praticiens venus du monde entier à la chirurgie guidée par l’image. Une réponse aux exigences de la chirurgie mini-invasive, où l’ouverture du patient est réduite afin de minimiser les cicatrices, les complications et le temps de guérison. Le praticien n’introduit plus les mains dans le corps du patient et perd le sens tactile. C’est l’imagerie qui vient prendre le relais. Les images 3D deviennent en plus essentielles pour anticiper et s’entraîner en chirurgie. « On a besoin d’images, de modélisations de tissus mous et de données sur le patient pour reconstituer des prothèses, des parties à opérer, évaluer les risques, mais aussi mieux gérer celui qui est sur la table d’opération pendant l’acte chirurgical », entrevoit Nathanaël Ackerman. L’imagerie 3D commence même à se faire en cours d’opération. Le scanner O-Arm de l’Américain Medtronic qui réalise des images du patient en quelques minutes, équipe une dizaine d’hôpitaux en France. Pendant l’opération, le chirurgien voit la position de la tumeur et peut affiner son geste pour la retirer au millimètre près, sans laisser de ramifications synonymes de rechutes.
Des robots pour chaque partie du corps
Dans le cas de la copie virtuelle de Visible Patient, une connexion avec le robot Da Vinci, de la société américaine Intuitive Surgical, associe sur l’écran de la console les images de l’opération en direct et celles de l’opération modélisée. Les robots sont bien entrés dans les blocs, même en pédiatrie. L’hôpital Necker à Paris a le premier disposé du Da Vinci Xi, pour réaliser des dissections très fines, faire des sutures sur des tissus fragiles avec une visualisation en 3D. Une équipe de robotique (chirurgiens, anesthésistes, infirmiers…) formée est nécessaire à son utilisation, et l’hôpital compte passer à 450 opérations annuelles assistées par la machine. L’avenir est radieux pour ce secteur, et ce n’est pas l’entrepreneur de Montpellier Berthin Nahum qui contredira cet optimisme. Ce diplômé de l’Insa Lyon et d’un master en sciences de la robotique de l’université de Coventry en Angleterre, concepteur de robots d’assistance chirurgicale, a su révolutionner la neurochirurgie avec le lancement en 2009 de Rosa Brain, dédiée aux opérations du cerveau, solution vendue dans 30 pays. Fort d’un tel succès, celui qui a été classé quatrième entrepreneur le plus révolutionnaire au monde en septembre 2012 par le magazine scientifique américain Discovery Series, a fondé la start-up Medtech qui a enfanté du robot Brigit spécialisé dans la chirurgie du genou, dont les brevets ont été rachetés en 2006, puis de Rosa, un robot à guidage laser qui assiste les praticiens pour les opérations du cerveau et de la colonne vertébrale. Une entreprise à succès, qu’il a vendue à l’été 2016 à l’Américain Zimmer Biomet, spécialiste de l’orthopédie reconstructive, pour recréer une société cette année, baptisée Quantum Surgical. Quelques mois plus tôt Medtronic, le champion américain des dispositifs médicaux, signait un partenariat stratégique avec la société israélienne Mazor Robotics, quand Google et Johnson&Johnson s’alliaient pour lancer l’entreprise de robots chirurgicaux Verb Surgical. Les géants proposent leur force de vente. Ils s’intéressent à la sophistication extrême de ces machines émanant de start-up qui ont pu lever des fonds pour les concevoir, mais ont du mal à convaincre les hôpitaux du monde entier de les adopter. Et il existe en France les ferments pour qu’une solide filière émerge (cf. encadré).
Et demain le Big Data…
Grâce aux données collectées à chaque opération, une formidable base pourra être conçue. « Nous pourrons augmenter l’apprentissage et mettre au point des modèles, mieux réguler l’activité cardiaque pendant l’acte, progresser dans la pose de « stents » dans les artères, en savoir plus sur la mort du nourrisson… Les exemples sont infinis, pour à chaque fois faire intervenir plus efficacement les robots dans les meilleures conditions », annonce Nathanaël Ackerman. Déjà dans le cadre du projet de recherche national Condor, on enregistre et numérise tout ce qui se passe au bloc, puis on intègre ce savoir dans un logiciel de traitement de données. Véritable assistant d’aide à la décision, le programme servira aussi de superviseur. Il pourra anticiper le temps d’intervention et alerter en cas de dépassement. Couplé aux technologies de guidage, il sera capable de prévenir le praticien s’il s’éloigne de l’opération telle qu’elle a été planifiée. « Le Big Data mettra plus de temps à s’imposer, mais apportera, grâce à des robots dotés d’intelligence artificielle, des avancées colossales à la chirurgie », complète Bertin Nahum. On l’aura compris, des machines toujours plus habiles – la régénération des tissus et l’impression 3D des organes vivants se profilent – et intelligentes s’imposent dans les blocs, qui constituent un parfait terrain de jeu pour elles, où la visibilité extrême, la précision de l’exécution et la capacité d’anticipation sont plus que jamais requises.
Création de filière
Quand la France tente de rattraper son erreur du passé
Il existe une multitude de petites sociétés françaises reconnues internationalement dans le dispositif médical. « Un bon système éducatif scientifique, favorisant la créativité, nous permet de disposer dans ce domaine d’un écosystème reconnu au-delà des frontières, et c’est une grande chance », affirme Berthin Nahum, serial entrepreneur dans les robots d’assistance chirurgicale. Selon le fondateur de Medtech qui a exporté depuis Montpellier ses bijoux technologiques dans de nombreux hôpitaux du monde, il s’en est fallu de peu : « Très tôt l’Etat a abandonné l’objectif de favoriser un gros acteur mondial dans le dispositif médical, qui n’était pas jugé stratégique. Cela aurait pu être la CGR, ou Thomson, mais les politiques s’en sont détournés et tout a été vendu. Les Allemands avec Siemens ou les Hollandais avec Philips ont agi différemment », déplore celui qui pense qu’il faudra du temps pour rattraper le temps perdu. « Implanet, Medicrea… et tant d’autres jeunes pousses affichent un dynamisme et un savoir-faire incontestables. Mais sommes-nous capables de les faire grossir, sans qu’elles soient rachetées ? », s’interroge celui qui a eu du mal à être reconnu et pris au sérieux dans l’Hexagone au début de l’aventure Medtech. « Bien souvent, il faut passer par l’étranger pour convaincre ici. Sans les Nord-Américains pour reconnaître notre technologie, nous aurions pu rester dans l’ombre. » Pour ce spécialiste de la filière, il faudra pour recréer un gros acteur « une capacité à investir des fonds importants et une vraie volonté politique. Les conditions semblent plus réunies que par le passé ; place à l’action ! ».
Julien Tarby