Alors, heureux au boulot ?

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Enquête sociétale en 3 volets « Alors Heureux au boulot ? La pensée positive, fin du travail subi« .

Devons-nous tous être heureux au travail ? Oui, prône l’école de la psychologie positive à travers le « pape » de la pensée du même nom, Martin Seligman*. L’Américain vendeur de bonheur en boîtes (et dans la vie de tous les jours), exceptionnellement de passage à Paris en février à l’invitation du Printemps de l’optimisme, défend les acquis scientifiques, démontre-t-il, de traitements médicaux et psychologiques aux effets réels, constatés objectivement à travers des protocoles de tests. À l’opposé, deux détricoteurs de bonheur, les Américains Eva Illouz et Edgar Cabanas, dénoncent avec force la tyrannie de la félicité autoadministrée qui règne aujourd’hui aux quatre coins de la planète. Partout, dans les publicités, au sein des entreprises ou dans le cercle familial, se plaque désormais la même injonction, celle d’être heureux, la nouvelle pensée dominante qui veut que le bonheur se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait. Ceux qui ne parviennent pas au bonheur sont donc stigmatisés et relégués au rang de coupables : coupables de ne pas avoir assuré les bons choix et coupables, donc, de leur propre souffrance. La « happycratrie », pour les auteurs contempteurs de Seligman, revient à un paradigme simpliste puisqu’il occulte les éléments exogènes à l’individu, mais également dangereux car supposé mener irrémédiablement à une société de plus en plus individualiste. Parmi les institutions qui ont le plus pratiqué cette injonction au bonheur au cours des dernières années, les entreprises arrivent en tête. « Faire des salariés heureux est devenu une préoccupation de premier ordre pour de nombreuses grandes entreprises qui sollicitent de plus en plus les services d’experts du bonheur afin d’égayer leurs salariés, de restaurer leur enthousiasme au travail, de les aider à réagir émotionnellement comme il convient à la nouvelle de leur licenciement, et, surtout, leur apprendre à devenir plus autonomes sur le plan psychologique et plus flexibles sur les plans cognitifs et émotionnels », dénoncent les auteurs d’Happycratie.

Le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination. Emmanuel Kant

Le réquisitoire se veut sévère. La messe est-elle dite ? Pas du tout. Car si Martin Seligman, de son propre aveu, ignore tout de la charge de Cabanas (interviewé par nos soins) et d’Illouz, il aura passé trente années d’étude à décomposer le bonheur en éléments mesurables, la vie agréable, la vie engagée et la vie pleine de sens. Réduire son œuvre et celle de ses continuateurs à des billevées pseudoscientifiques, c’est aller un peu vite en besogne. Les start-up nous le montrent, l’on se prend à vivre heureux son travail dans certaines entreprises, avec ou sans Chief Happiness Officer.

*Martin E.P. Seligman est professeur de psychologie à la Fondation de la famille Zellerbach et directeur du centre de psychologie positive de l’université de Pennsylvanie où il se concentre sur la psychologie positive, l’impuissance acquise, la dépression, l’optimisme et la prospection.

INTERVIEW. Le bien-être, affaire de bureaux ?

Si un bureau soigné et un cadre de travail harmonieux ne peuvent suffirent au bonheur des salariés, ils participent néanmoins à leur bien-être. Sous l’impulsion de la révolution numérique, les espaces de travail se modifient. Aujourd’hui, de nouveaux concepts émergent. L’immobilier de bureau en France est devenu un véritable laboratoire à innovations. Focus sur les bureaux de demain avec Philippe Boyer, directeur de l’innovation, Covivio.

De quelle façon le contexte de travail va-t-il participer au bien-être des salariés ?
Actuellement ils sont près de 30 % à exprimer une souffrance. Les entreprises cherchent donc des solutions pour augmenter le bien-être de leurs collaborateurs. L’immobilier de bureaux y contribue. Nous nous employons à imaginer des espaces de travail emplis de lumière, en évitant les lieux de travail exposés en second jour. La lumière directe produit un impact très positif sur les salariés. Nous pensons en outre les espaces de façon que l’air se renouvelle plus rapidement. Nous apportons dans le même temps un soin très particulier aux espaces extérieurs et aux zones de terrasse, à l’instar du projet sur lequel nous travaillons actuellement à Saint-Ouen.

Existe-t-il des équipements de bien-être qui s’appliquent aujourd’hui à l’immobilier de bureaux en construction ?
À mon sens, les bureaux doivent aujourd’hui répondre à trois éléments essentiels. Ils sont nécessairement connectés. Par exemple pour activer les lumières ou prévoir l’accès à des services de l’immeuble via un smartphone. C’est un lieu de socialisation, un lieu de vie et d’échanges, indispensable à la culture d’entreprise. Et enfin un endroit de réflexion où l’on doit pouvoir se concentrer. L’architecture se plie à la satisfaction de ces trois fonctions.

Longtemps décrié, toujours privilégie : l’open space est-il toujours la norme ?
Nous sommes en charge de concevoir les immeubles et nous laissons les choix des aménagements intérieurs aux entreprises. Mais je constate que si les espaces ouverts sont toujours la norme, ils ont tendance à s’humaniser. Il n’existe pas de modèle de bureau type. En fonction des secteurs, les aménagements intérieurs diffèrent énormément. Certaines professions aux impératifs de mobilité importants, à l’instar des cabinets de conseils, connaissent des usages spécifiques avec davantage de zones en flex-office, par exemple, marqué par l’absence de bureaux attitrés. Le salarié doté de son équipement portable s’installe dans un poste de travail disponible.

Quid du télétravail ? A-t-il un impact sur votre activité ?
On a heureusement toujours besoin de bureaux ! Il faut bien avoir à l’esprit que les bureaux sont passés d’espaces de production à lieux de socialisation. Le télétravail ne réduit pas le nombre de mètres carrés des bureaux car demeure le besoin de rencontres et d’échanges. Simplement, les espaces sont désormais investis différemment. À l’avenir, les data vont nous donner le moyen de mesurer très finement les usages. Ces données fiables vont nous donner le moyen de mesurer l’utilisation des espaces de travail et d’ajuster en fonction des besoins.

Par Chloé Pagès

Au Sommaire du dossier 

1. Le bonheur au travail, les fondamentaux

Focus sur le livre Happycratie

2. RENCONTRES : Martin Seligman, le bonheur est politique

3. Management : feed-back permanent

RÉTROSPECTIVE : De l’esclavage aux start-up sans contraintes

 

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