Temps de lecture estimé : 3 minutes
Le dernier « paradis fiscal » ?
L’investissement en monument historique est toujours intéressant, et ne s’adresse pas qu’aux très riches. Explications…
Il s’agit d’un artifice utilisé par les sites de défiscalisation pour hameçonner l’investisseur potentiel : adosser la mention « 2016 » au terme juridique dit de la loi Monuments Historiques (MH). Or, cette dernière n’a enregistré aucune modification au 1er janvier de l’année en cours. En réalité cette loi, qui accorde des mesures de défiscalisation très favorables aux investisseurs acquérant un bien classé au titre des monument historique dans le but de le restaurer, n’a quasiment pas bougé depuis 1913, date de son entrée en vigueur. Si ce n’est une légère modification en 2009, qui concerne l’obligation de détention du bien ainsi que la nécessité de l’obtention d’un Agrément de division pour les immeubles historiques divisés en lots de copropriété. Bien que centenaire, cette loi reste peu connue, et donc, de fait, l’investissement en monument historique est très rarement conseillé aux acheteurs par les notaires ou les banques.
Plus ouvert qu’on le pense de prime abord
La raison ? Le faible nombre de monuments éligibles et le faible pourcentage de foyers fiscaux potentiellement concernés. Néanmoins, ce dispositif n’en reste pas moins particulièrement avantageux pour qui en a les moyens. « C’est le dernier paradis fiscal qui existe », tranche carrément Francine Montin, directrice du développement et responsable de la commercialisation du Commissariat de la Marine de Rochefort (Charente-Maritime), vestige de l’ancien arsenal royal. Car contrairement aux idées reçues, un monument historique n’est pas synonyme de château : peuvent bénéficier de cette appellation des immeubles de centre-ville disposant de propriétés architecturales particulières ou des bâtisses ayant appartenu à de grands personnages historiques. L’édifice en question, qui date du XVIIème siècle et est inscrit au titre des Monuments Historiques depuis 2007, est actuellement en cours de réhabilitation et commercialisé sous forme de lots de prestige allant du studio au cinq pièces. « 60% des 238 lots disponibles (allant de 185000 à 885000 euros) ont déjà trouvé acquéreur, signe que la carotte est belle », précise Francine Montin.
Un principe simple
Paradis fiscal ? Le terme peut sembler exagéré, et pourtant. Voici le dispositif dans les grandes lignes : « Un contribuable avec des revenus imposables substantiels acquiert un appartement ou immeuble ancien, éligible au dispositif fiscal MH, et s’engage à le rénover, en échange de quoi il jouit d’une défiscalisation importante », explique Mathieu Mars, conseiller en gestion de patrimoine à l’Institut du Patrimoine. Alors que l’investisseur prend à sa charge la restauration complète du bien, la récompense fiscale se traduit par une déductibilité du montant total des travaux, des intérêts d’emprunts liés à l’opération et des frais d’acquisition, à 100% et sans plafonnement sur les revenus globaux de ce dernier, fonciers comme professionnels. « Pour résumer grossièrement, si vous en avez pour 100000 euros de travaux de rénovation, vous retranchez 100000 euros à votre déclaration de revenus. Certes, vous «perdez» malgré tout ces 100000 euros, mais en attendant, vous vous constituez du patrimoine », appuie Mathieu Mars, qui tient toutefois à nuancer : « Les travaux doivent correspondre à de la rénovation, de la restauration ou de l’embellissement du bâtiment, mais en aucun cas à de l’agrandissement de surface ». Le monument historique est en outre exonéré de droits de succession si l’immeuble historique est ouvert au public. Seul le prix du foncier, qui représente bien souvent une part bien inférieure au montant des travaux dans l’achat global du lot, n’est pas déductible. En contrepartie, l’acquéreur est tenu de conserver son bien pendant 15 ans (contre neuf avant la modification survenue en 2013), et ce pour éviter les opérations purement spéculatives. Les travaux, eux, sont soumis à un cahier des charges très strict imposé par un architecte des Bâtiments de France et la DRAC
(Direction Régionale des Affaires Culturelles). « Au-delà de l’optimisation fiscale, ce qui plaît dans ce genre d’opération est d’acheter un bien de qualité doté d’une réelle histoire. C’est pourquoi tout le monde n’en fait pas du locatif, certains investisseurs conservent le bien pour leur propre usage », note Samia Bathilde, conseil en gestion de patrimoine chez Fiducée Gestion Privée. Une tendance confirmée pour le Commissariat de la Marine de Rochefort : « Sur les lots déjà commercialisés, un tiers des acquéreurs comptent faire de leur nouvel achat leur résidence principale. Les autres n’auront pas de mal à trouver de locataire, car en plus d’être en centre-ville, le monument est attrayant et l’intérieur sera contemporain moderne, conforme aux normes d’isolation phonique et thermique», avance Francine Montin.
Publics intéressés
Si le dispositif s’adresse en premier lieu aux foyers fiscaux imposés à 45% (à partir de 150000 euros par an), il n’attire pas que des capitaines d’industrie du Cac 40. Il peut également attirer des cadres qui ont par exemple touché un bonus important ponctuellement et « qui souhaitent défiscaliser, tout en se constituant un patrimoine, dans l’optique d’en faire leur résidence secondaire dans 15 ou 20 ans. C’est pourquoi beaucoup d’acquéreurs font ce type d’opérations sur les côtes. Certains bâtiments soumis à la loi MH sont accessibles à partir de 150000 euros », relate Mathieu Mars. Pour prouver que cet attirail juridique ne s’adresse pas qu’aux très riches, il cite volontiers « des clients avec des revenus relatifs qui ne souhaitaient pas acheter du neuf pour en faire du locatif, par rapport à la loi Pinel », ou encore ce couple de retraités soumis à l’ISF malgré des revenus joints qui s’élèvent à 80000 euros annuels seulement, la faute à un patrimoine immobilier familial important. « Ils ont investi sur un bâtiment nécessitant 80000 euros de travaux et ont pu les déduire de leur déclaration. Or, vous êtes exonéré d’ISF lorsque votre revenu imposable est à zéro », précise le conseiller. En théorie, bien que rares, les opérations d’investissement en monuments historiques disponibles devraient repartir à la hausse cette année : en effet, Bercy a récemment ouvert à Lyon une antenne dédiée exclusivement aux agréments. Ce qui devrait augmenter la moyenne d’agréments qui oscillait entre deux et cinq par an jusque-là.
Marc Hervez