L’événementiel en cale sèche veut se réinventer

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L’« événementiel » se remettait à peine des gilets jaunes et des grèves déclenchées par la réforme des retraites quand la covid a figé ce secteur tout entier tourné vers l’extérieur et le contact. Un secteur essentiellement animé par des PME-TPE imaginatives que l’État-providence soutient à coups de PGE et de salaires subventionnés dans l’attente du grand réveil de leurs entreprises clientes.

Sur le terrain, les professionnels du MICE – Meeting, Incentive, Conference, Event – constatent l’attentisme des entreprises, même si la levée de l’interdiction des grands rassemblements est attendue au 1er septembre. « Aucune ne projette pour l’instant de retour à un événement en présentiel. Les risques juridiques sont trop importants. En cas d’annulation, l’assurance ne les couvrira pas, sachant que le danger est aujourd’hui connu. En outre, le risque sanitaire subsiste et beaucoup de grandes sociétés dissuadent leurs salariés de se rendre au bureau, on les incite au télétravail jusqu’à la rentrée de septembre ou même la fin d’année. Enfin, l’heure est à la compression des frais généraux dans des sociétés fragilisées par la covid-19. Dès lors, je ne vois pas de reprise, même timide, du secteur en présentiel avant le premier trimestre 2021 », estime Christophe Cousin, président et fondateur de l’agence Win-Win. Il vient en conséquence de lancer avec succès une offre numérique baptisée E-Live. Même attente chez Lionel Malard, consultant pour les professionnels Event & Meeting, et fondateur du cabinet de conseil Arthémuse. Pour lui, les entreprises clientes sont encore tétanisées par la crise qui « a remis profondément en cause leurs stratégies de croissance. Quand une marque ou une enseigne n’a pas de vision claire, elle ne peut pas se fixer d’objectifs globaux. Et ce travail est compliqué en période d’incertitude. Dans l’attente de prendre quelques décisions qui l’engagent, elle préfère réduire la communication vers ses parties prenantes, donc ses événements. Je pense que les six mois à venir, dont deux sont neutralisés par les vacances, ne seront pas propices à l’organisation d’événements. Espérons que 2021 marque l’émergence de nouveaux projets ».

La sécurité, une condition nécessaire

D’autant plus que les entreprises qui créent des événements vers leurs clientèles ou leurs salarié.es doivent remobiliser les cibles. Regagner la confiance des publics apparaît donc comme une priorité absolue. Un défi très rapidement intégré par les professionnels de l’événementiel comme Sodexo. « Nous avons réagi dès le début de la période de confinement en nous adaptant à la chute de l’activité, mais surtout en préparant la sortie de crise. La priorité a été donnée à la sécurité, l’ADN de notre groupe. Sur ce point, nous avons profité de l’avantage d’être une multinationale. Le sujet de la sécurité avait en effet déjà été étudié quelques mois plus tôt en Asie et nous avons donc bénéficié du savoir-faire et de l’expérience de nos filiales asiatiques et notamment de la filiale chinoise. Nous avons pu ainsi très rapidement former nos équipes et sécuriser nos lieux », explique Éric Chauvet, directeur commercial et marketing Lieux et Événements de Prestige Sodexo. À la Baule, le Palais des Congrès Atlantia s’est doté d’un référentiel pour assurer la sécurité sanitaire du site et de nouveaux services pour des événements « sereins et responsables ». Ce protocole sanitaire, co-construit avec le groupe Socotec, un acteur de la gestion des risques et de la certification, intervient dans la lignée des démarches conduites par les organisations professionnelles de la filière événementielle. Résultat, le Palais des Congrès rouvrira les 10 et 11 septembre avec une convention d’Allianz France – un beau meeting de plus de 800 participants.

Le numérique en embuscade

Si les sites d’événements d’entreprise se mettent en ordre de bataille en prévision de la reprise, leurs animateurs ne sont pas naïfs. La longue période de confinement a accéléré l’essor du numérique comme moyen de communication privilégié. Les entreprises qui ont investi massivement dans le digital pour communiquer reviendront-elles en arrière pour privilégier de nouveau le présentiel ? Pas si sûr. Dans cet environnement incertain, les sociétés ont très bien accueilli ces nouveaux formats plus courts et moins coûteux. Elles économisent le transport, la salle, la restauration, etc. L’événement se montre certes moins attractif, mais bien moins chronophage pour les collaborateurs enrôlés.

En réduisant une journée de séminaire de 8 heures à un événement en ligne d’une heure et demi, les sociétés réallouent le temps à des missions qu’elles plus productives, même si l’effet promotionnel ou motivationnel n’est pas aussi fort. Des agences comme Win-Win l’ont bien compris. « Le point de départ de notre travail en début d’année a été de voir comment nous pouvions réaliser les événements live de 2019 en version virtualisée. L’ensemble de la société a été mobilisé pour finalement lancer début mai notre offre E-Live. Son objectif est d’accompagner les entreprises pour réussir ce moment charnière de leur histoire à travers de nouveaux formats corporate adaptés. Un seul impératif, celui de conserver le même quotient émotionnel que le live en proposant, par exemple, du phygital avec un dirigeant et un animateur en direct qui communiquent de façon interactive avec leur communauté en télétravail », décortique Christophe Cousin.

L’événement sera haut de gamme ou ne sera pas

La crise sanitaire immobilisante a fait jouer de nouveaux réflexes aux entreprises pour communiquer et entretenir leur réseau. « Je pense qu’une grande partie des événements qui se tiennent en ligne le restera une fois la situation revenue à la normale. À terme, 80 % des événements seront virtualisés. Les 20 % restants en réel devront procurer sur les parterres mobilisés un très grand pouvoir émotionnel et relationnel. On savourera d’autant plus la qualité de l’instant », estime Christophe Cousin. En somme, pour attirer de nouveau de l’audience dans des événements, les organisateurs devront miser sur le haut de gamme.

« N’oublions pas que le virus circule toujours, même faiblement en France. En dépit de toutes les dispositions sanitaires, le risque perdure dans la conscience individuelle et collective. Si je prends le risque de me rendre sur un événement, quels que soient son format, sa taille et le lieu dans lequel il est organisé, c’est pour vivre une expérience dont la force est supérieure au risque. Si l’événement ne crée pas une valeur forte pour chacun des participants, pour la communauté à laquelle il appartient et pour le monde, son existence sera remise en cause. Le risque même faible de covid condamne les événements répétitifs et un peu fades, et oblige ceux qui veulent survivre à cette crise à se transformer et à afficher une nouvelle valeur ajoutée pour chacun et pour tous. Leur succès reposera avant tout, j’en fais le pari, sur un très haut niveau de créativité et de responsabilité », assure Lionel Malard.

L’ère de l’hybride

Pour survivre à une alerte qui l’a si bien remis en cause, le monde du MICE n’a d’autre choix que d’intégrer une dose bien plus importante d’événements en ligne qu’auparavant. « La crise du coronavirus a bouleversé le secteur. Les professionnels de l’événementiel, habitués à travailler sous tension, ont été contraints de radicalement changer leurs habitudes. Après avoir annulé les projets prévus dans les trois ou quatre premières semaines du confinement, ils ont pris le temps de réfléchir à l’évolution du métier, avec une question en tête : comment continuer à faire vivre ses activités en période de black-out ? Bien sûr, la première réponse, de court terme, a consisté à se porter sur la communication en ligne. À plus long terme, les créateurs d’événement ont également réfléchi au moyen de communiquer autrement pour aboutir la plupart du temps à une même conclusion : l’avenir de l’événementiel passera par les événements hybrides, combinaison de présentiel et de relais virtuels. Qui existaient du reste depuis quelques années. Mais qui seront désormais systématisés.

Une adaptation qui est justifiée par des raisons évidentes de coûts, mais aussi de responsabilité sociale et environnementale », explique Éric Vence, fondateur d’Eventdrive. Selon lui, l’événement de demain devra se montrer attractif, plaisant, valorisant à la fois pour les invités en présentiel et pour les internautes. Ce nouveau mode d’événements passe inéluctablement par une évolution des formats. Une cession qui durait au moins heure, par exemple, doit se condenser en 20 minutes, faute de quoi les participants en ligne décrocheront. « Voilà en outre des années que les organisateurs d’événements physiques réfléchissent aux moyens d’améliorer l’interaction entre les participants à l’aide de vidéos, photos, quiz, shows d’animateurs, etc. Le développement du numérique doit intégrer cette problématique de l’engagement sachant que le participant en ligne est naturellement plus versatile », insiste Éric Vence. Dès lors, la double compétence live/digital deviendra un atout pour accompagner les événements hybrides car l’outil de présentation ne peut se réduire à un tchat. Vence : « Une société comme la nôtre développe une plate-forme de mise en avant de la marque et de son message, ce qui n’est pas possible avec Zoom ou Teams. Avec notre logiciel tout-en-un, une entreprise va tout à la fois organiser une plénière, mais également des ateliers et inscrire les participants à des parcours personnalisés en ligne ou sur site. »

La transition a déjà commencé

Cette mutation vers l’hybride n’est pas l’apanage des petites structures. Une multinationale comme Sodexo a également saisi dès les premières semaines de la crise les nouveaux enjeux du secteur. « Nous avons bien évidemment constaté l’accélération du télétravail et de la connexion à distance et compris que le numérique allait prendre à l’avenir une place plus importante dans la stratégie de communication des marques. Dans un tel environnement, nous avons cherché à comprendre comment les entreprises pourraient se relancer et fédérer leurs équipes », décrypte Éric Chauvet, Sodexo.

L’effort a d’abord porté sur l’équation économique. L’organisateur d’événement a assoupli ses conditions de vente en repoussant le paiement de l’acompte pour les projets moins ambitieux, mais aussi en se montrant plus compréhensif pour reporter ou annuler à 15 jours de l’événement. « Surtout, nous avons rapidement pensé que le numérique ne pourrait pas remplacer totalement le présentiel et encore moins si le télétravail tend à s’étendre. Il faut bien, en effet, que les personnes se réunissent à intervalle régulier pour aligner leurs points de vue et donner du sens à leur mission. » D’où le besoin satisfait d’accueillir le maximum de gens, comme au-dehors. « Nous avons ainsi créé le concept d’événement hybride qui combine présentiel et virtuel. Cette offre apporte un ensemble de solutions qui combinent autour d’un même événement 100 personnes en présentiel et 200 sur le Web. Tant pour les séances plénières que pour les commissions et sous-commissions. ». Le groupe a mis au point une solution à travers laquelle ses belles adresses vont proposer ce nouveau format au prix de nouvelles technologies, des bandes passantes plus puissantes, etc. L’enjeu des entreprises est désormais de réengager les équipes, donner du sens à leur travail, leur insuffler de l’énergie, ce qui ne sont pas des tâches simples au sortir d’une telle crise. L’événementiel hybride, une réponse à la hauteur des enjeux.

Pierre-Jean Lepagnot

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