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« Avant de disparaître totalement du monde, la beauté existera encore quelques instants, mais par erreur », écrivait Milan Kundera. Il faudrait presque arrêter l’article ici puisque l’essentiel est contenu dans cette phrase et qu’ensuite, finalement, rien n’est plus beau que le silence. Gageons de poursuivre en remarquant la dérive actuelle qui substitue à la recherche de la beauté (du latin bellitās) une espèce de quête éperdue de la mode (du latin modus). Les journaux (peuvent-ils faire autre chose ?) partent à la conquête de la vogue plutôt que de l’esthétique. Et c’est après tout bien leur droit.
Alors, le design est à la mode et le but de cet article est de se demander pourquoi. Eh bien l’on répondra à cette question en arguant que le design n’est pas « à la mode » puisqu’il est la mode, par essence, par qualité intrinsèque, par convention aussi.
Un mot issu du vocabulaire des arts décoratifs
LE DESIGN, C’EST COMME UNE MAMAN, PERSONNE NE LE REMARQUE QUAND ELLE EST LÀ, MAIS TOUT LE MONDE S’ENNUIE D’ELLE QUAND ELLE N’EST PAS LÀ
Il faudrait d’abord le définir précisément, car ce mot est devenu une valise contenant à peu près tout et n’importe quoi. « C’est très design » fait ainsi partie de ces affirmations qui ne coûtent pas cher, puis qu’apparemment, tout ce qui semble moderne, innovant, peut être qualifié par ce mot au sens apparemment incertain. Signalons d’emblée que le design n’est pas un style, nullement une école, moins encore un courant artistique. Il tient plutôt du mode d’expression et nous pourrions dire qu’il est la pointe avancée de l’industrie lorsqu’elle rencontre l’art. S’il fallait le traduire en langue française, on pourrait finalement employer le terme d’art industriel. Le mot nous vient sans surprise aucune de l’anglais « design », mot lui-même emprunté au terme français « dessein ». Un mot qui regroupe en lui-même les mots « dessin » et le mot « signer ». Doux mélange. Le design se distingue également par l’aspect important qu’il accorde, au-delà de la beauté, à la praticité et finalement à la consommation (caractéristique qu’il hérita de son origine industrieuse). C’est donc une forme d’art qui se doit d’être « utile », directement dans la vie quotidienne, concrète. Chaises, tables, meubles de bureaux, luminaires, etc… Il fait ainsi partie de la grande famille des arts décoratifs.
L’exemple du Bauhaus : l’émergence du design
Il est délicat de mettre au jour une histoire du design puisque ce terme embrasse des réalités fort différentes qui ne furent amalgamées entre elles qu’a posteriori. Le style Bauhaus, né dans les années folles, peut être considéré comme la première application du design à grande échelle. L’architecte allemand Walter Gropius rappelait, dans le Manifeste du Bauhaus, cette volonté de rapprocher l’art de l’artisanat, la recherche esthétique de l’utilité concrète : « Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n’y a pas d’art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan ». Définition, sans le dire, du design… Dans les années 30, le design atteindra son point d’apothéose, c’est-à-dire la consommation de masse. La bouteille de Coca-Cola, premier produit de design à très grande échelle, en est un exemple fameux. Si la chose existe déjà, le mot de design n’est pourtant pas encore employé dans son sens contemporain. Il faudra attendre l’après-guerre et l’explosion foisonnante des années 60 pour populariser cette notion.
Les Scandinaves à l’avant-garde
Les meubles les plus divers deviennent des occasions de création, empruntant au futurisme comme au néo-modernisme. Les Scandinaves – et les Flamands ! – seront les meilleurs ambassadeurs du design, notamment au Danemark et en Suède où la naissance, plus tard, du géant national Ikea (1983) sera le signal de sa popularisation au très grand public. Le designeur Santiago Borray peut ainsi résumer l’étonnant succès d’une discipline hier de niche et aujourd’hui largement populaire : « Le design, c’est comme une maman, personne ne le remarque quand elle est là, mais tout le monde s’ennuie d’elle quand elle n’est pas là. » Tendances multiples, créateurs qui s’arrachent, modes qui vont et viennent au rythme de l’éclair : le marché du design continue de se porter à merveille et intéresse, à des échelles bien différentes, les plus riches comme les classes moyennes. Tout le monde se pique d’aimer le design, chacun se l’approprie et le détourne, jusqu’à faire de lui un pilier essentiel de la désormais fameuse « culture pop ».
Valentin Gaure