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Souveraineté alimentaire, transition agroécologique, mal-être des agriculteurs… Alors que l’agriculture française fait face à des défis chroniques multiples, les négociations qui s’achèvent à Bruxelles pour définir la PAC 2021-2027 s’avèrent d’autant plus stratégiques. Retour à la terre.

«Rejoignez la grande armée de l’agriculture française, celles et ceux qui vont nous nourrir de façon propre, saine ! » Un appel assez incongru lancé fin mars 2020 par le ministère de l’Agriculture à une population confinée… Le but était louable, celui de donner un coup de main à nos éleveurs ou céréaliers en pleine pénurie de main-d’œuvre, même si la forme militaire était maladroite. Il en dit long sur cette autre crise structurelle qui frappe un tel secteur en France depuis plus de trente ans et plonge moult agriculteurs dans un désarroi profond. Coûts de production élevés, compétitivité en berne, multiplication des normes, « l’agriculture française va très mal dans son ensemble », déplore Marc Dufumier, professeur à AgroParisTech, lui qui évoque « des agriculteurs toujours plus mal rétribués par la vente de leurs produits ». Car au-delà de revenus en baisse et disparates – entre des éleveurs vivant parfois du RSA et des viticulteurs mieux lotis, voire fortunés –, le secteur ne pèse qu’environ 2 % du PIB national alors qu’il s’élevait à 6 % en 1980 !

La France aurait perdu plus de la moitié de ses exploitations en trois décennies : environ 430 000 contre 1 million à la fin des années 1980… Le plus douloureux reste les suicides, malheureusement en surnombre dans cette profession (372 en 2015 selon Santé Publique France), assortis du manque de renouvellement de générations d’exploitants. Des ruptures qui s’inscrivent, pire encore, dans un contexte croissant d’« agribashing » : la critique du mode de production agricole intensif, nocif pour la planète. Et pour cause : l’agriculture causerait près du quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre selon Greenpeace ! Arrêtés anti-pesticides, intrusions dans les élevages… « Les agriculteurs toujours plus isolés s’estiment dénigrés, surtout quand on les taxe de pollueurs ! », déplore Marc Dufumier. Or ces accusations fusent dans une société toujours plus attachée au « retour à la terre » et au manger bio et local. Pourtant, en 2018, l’agriculture biologique ne représente que 9,5 % des exploitations françaises…

Modèles agricoles multiples

Face à cette situation complexe, et pas nouvelle donc, l’enjeu des négociations en cours à Bruxelles pour définir la Politique agricole commune (PAC) 2021-2027 devient vital. En particulier pour l’hexagone, toujours première puissance agricole de l’Union européenne – mais durement concurrencée par la Roumanie ou la Pologne –, à ce titre captrice d’une grande part des aides de la PAC. Des subventions dont dépendent largement les agriculteurs, in fine vouées à structurer les modèles agricoles des pays membres. Et pour cause : les multiples filières, exploitations et pratiques – production conventionnelle, agriculture raisonnée, permaculture… – ne sont guère subventionnées de la même manière, tant s’en faut !

La dernière PAC de 2015 se voulait justement plus équitable et plus verte : subventions selon des critères écologiques et soutien aux petites fermes artisanales de l’ouest a contrario des grandes exploitations du bassin parisien. De quoi trancher peut-être avec certains écueils du passé, sans doute facteur du mal chronique d’un tel secteur. Comme l’octroi traditionnel d’aides pour soutenir en priorité la vente de produits de première nécessité et pas toujours haut de gamme – lait, viande, céréales, etc. – « où la France n’est pourtant guère compétitive face à des concurrents à bas coûts – Ukraine, Brésil… –, forts de terrains agricoles colossaux aux rendements élevés », note Marc Dufumier, Avec, à la clé, une surproduction nationale cause, d’une part, d’une chute des prix, et d’autre part des exportations en masse – et donc peu rentables – dans les pays pauvres. Pour l’expert, « le seul avenir pour nos agriculteurs, c’est la vente de produits à haute valeur ajoutée, comme le camembert ou le foie gras, ou certifiés bio et issus de circuits courts ».

Écorégime

Sortir du créneau du « bas de gamme », oui, mais comment ? « En mettant fin à la monoculture, pour favoriser une plus grande diversification de l’agriculture et notre souveraineté alimentaire », recommande Marc Dufumier. Exit donc les cultures hyperspécialisées qui dominent çà et là dans ce pays rural – élevage laitier en Bretagne, viande dans le centre, céréales dans la Beauce… –, place aux assolements diversifiés et rotations allongées pour générer plusieurs cultures sur une même parcelle. « D’autant qu’en produisant moins de blé, nous pourrons libérer des champs pour booster la production de protéines végétales – lentilles, haricots, soja… – là où la France est déficitaire et dépendante du soja brésilien, décrié pour son rôle dans la déforestation de l’Amazonie », indique Marc Dufumier. « Les légumineuses, ajoute le spécialiste, ont aussi comme atout clé de fertiliser écologiquement les sols en azote en lieu et place des toxiques engrais de synthèse ! » On l’aura compris, la transition agroécologique reste plus que jamais au cœur de la prochaine PAC qui devrait d’ailleurs enfin conditionner 20 à 30 % des aides à l’écorégime : le paiement des agriculteurs qui développent des services écosystémiques (séquestration du carbone dans les sols via le compost, installation de haies pour abriter les insectes auxiliaires…). De son côté, le quoi qu’il en coûte Emmanuel Macron a même promis 100 millions d’euros pour doper notre production de protéines végétales de 8 % d’ici à 2030. Des initiatives d’envergure qui pourraient à terme, enfin, réinventer l’agriculture et ses métiers et surtout réconcilier les Français avec leurs paysans.

Charles Cohen

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