Pacte : un pack à impacts prudents

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Le « Pacte », ce Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises signé Édouard Philippe et porté par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, fut définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 11 avril et le Conseil constitutionnel en a validé la constitutionnalité le 16 mai. Voici ses dispositions clés. Et les critiques qu’il suscite.

Curieux texte. Ses instigateurs macroniens en font l’alpha et l’omega du quinquennat, l’âge d’or de l’entreprise libérée de ses contraintes, la rupture avec l’entreprise du xixe siècle, les clés de l’innovation universelle. On y reconnaît en fait l’imitation des schémas libéraux américains où entreprendre fait partie de l’ADN national, le financement se veut largement simplifié et où l’échec est promu vertu propice au rebond. Dès lors, les tenants d’une entreprise suspectée de placer le profit avant le bien-être de ses salariés n’y voient que le pastiche d’un modèle ultralibéral où les avantages consentis constituent autant de coups de canif dans le contrat social. Pourtant, l’effort de simplification, les économies recherchées et les incitations à l’innovation, sans donner aux entreprises françaises les moyens radicaux d’un essor à l’américaine contrairement à ce que trompette le gouvernement, vont dans le – bon – sens d’une volonté d’en finir avec les tracassins et les redevances.

Les dispositions de la loi sont clairement exposées sur le site www.economie.gouv.fr/loi-pacte-mesures-simplification-creation-entreprise
Les critiques constituent une synthèse inspirée notamment de l’article de Romaric Godin, Mediapart, https://www.mediapart.fr/journal/economie/180618/ce-que-contient-la-loi-pacte?onglet=full

Création d’entreprise

Le constat : c’est trop long, décourageant ! Le processus n’est pas dématérialisé, complexe.

La loi dit que : une plate-forme unique remplace les 7 réseaux de centres de formalités, d’ici à 2021. Tout se remplit en ligne. Et pour les handicapés de l’ordinateur, on maintient une assistance humaine dans les centres. Plus de registres multiples coûteux, mais un unique, dématérialisé. Abaissement du prix des annonces judiciaires et légales (aujourd’hui
200 euros, prix moyen). Les délais de paiement excessifs sanctionnés par la DGCCRF seront publiés (name and shame). Pour une activité qui ne génère pas plus de 5 000 euros par an, pas de compte bancaire obligatoire (et il faudra dépasser le plafond de deux années consécutives pour devoir en créer un). Plus de stage de préparation à la gestion obligatoire (400 euros en moyenne) pour une activité artisanale.

La critique pense que : compliquer de créer sa boîte ? Pas si sûr, la preuve, la France est l’un des pays les plus créateurs. L’Insee le dit : « En janvier 2019, le nombre total de créations d’entreprises tous types confondus est en forte hausse (13,8 % après 0,6 % en décembre, en données corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrables). Les créations d’entreprises classiques augmentent (4,4 % après - 0,8 %) et les immatriculations de micro-entrepreneurs s’envolent (25,4 % après 2,3 %). » Quant au stage de préparation supprimé, ne risque-t-il pas de placer l’artisan qui n’aura pas acquis le minimum de compétence en comptabilité en position de faiblesse face à sa banque ?

Simplifications

1 – Les seuils, réaménagés
Le constat : 199 obligations pour 49 seuils d’effectifs. Bruno Le Maire, instigateur de la loi, y voit des « entraves, nocives pour l’emploi ». Les réaménager, dit-il, c’est supprimer « la peur de grandir ».

La loi dit que : aux principaux seuils, 10, 20, 25, 100, 150, 200, sont substitués trois paliers, 11, 50, 250, avec report des obligations intermédiaires aux seuils plus élevés. Au surplus, les contraintes nouvelles apportées par chaque seuil ne seront effectives que si les dépassements durent plus de cinq ans !

La critique pense que : les salarié/es ne bénéficieront plus de ces seuils – logement social, local de restauration, protections… –, certain/es pendant toute leur carrière. En outre, la présence ou non d’un « règlement intérieur » (obligatoire au-delà d’un certain seuil), ferait-elle renoncer une entreprise à « grandir » ?

2 – Certification légale des comptes
Le constat : les entreprises sous les seuils européens doivent consacrer en moyenne 5 500 euros à la certification des comptes. C’est beaucoup trop.

La loi dit que : le seuil de 2 millions d’euros de CA HT pour certifier les comptes passe aux normes européennes de 8 millions.

La critique pense que : les commissaires aux comptes seront touchés par la mesure (une « mission sur l’avenir de la profession » espère cautériser la plaie), mais le plus préoccupant porte sur le fonctionnement même de l’entreprise : sans comptes certifiés, sa solidité sera difficilement appréciable et sa relation avec les banques complexifiée.

3 – Trésorerie des PME
Le constat : les PME ne se voient accorder au minimum que 5 % de versement d’avance sur les marchés publics de l’État et les grandes entreprises paient en moyenne à 68 jours.

La loi dit que : 20 % minimum d’avance pour un marché supérieur à 50 000 euros HT et d’une exécution supérieure à deux mois. Procédures simplifiées et délais réduits par une norme européenne de facturation électronique.

La critique pense que : les mesures sont les bienvenues.

4 – Entrepreneurs en échec non fustigés
Le constat : l’échec, le dépôt de bilan, sont encore sanctionnés comme des « fautes ». Il faut en moyenne deux ans et demi entre l’ouverture d’une procédure de liquidation et sa clôture, sans démarrage possible de nouvelle activité. Bruno Le Maire veut instituer un « droit à l’échec ».

La loi dit que : il faut donner une deuxième chance, effacer les dettes d’une entreprise en faillite sans salarié sous 5 000 euros d’actifs. Ramener la procédure de liquidation à un délai de 6 à 9 mois et de 12 à 15 mois selon le salariat impacté et les CA.

La critique pense que : c’est risquer d’encourager une déresponsabilisation préjudiciable à l’emploi. La nouvelle protection des créanciers réduira-t-elle celle des salariés ?

Épargne et financement

Le constat : les financements participatifs en France se montent à 319 millions d’euros alors que le Royaume-Uni en revendique
4,3 milliards. Le PEA-PME comptabilise 1,1 milliard d’euros contre 92 milliards pour le PEA et 400 milliards pour les livrets réglementés. L’assurance vie draine seulement 20 % de l’épargne en actions. L’épargne retraite affiche un encours de 220 milliards d’euros (contre 700 pour l’assurance vie).

La loi dit que : le PEA-PME constitué de titres d’entreprise de moins de 5 000 salariés, au CA inférieur à 1,5 milliard d’euros voit son régime fiscal apparenté au PEA, avec dividendes et plus-values exonérés dès 5 ans après le premier versement. Pour l’assurance vie, le fonds Eurocroissance (investi en actions) qui contribue au financement des entreprises, aux actifs plus risqués, donc au rendement meilleur, sera simplifié et avantagé par une sécurité à l’échéance. Les quatre produits d’épargne retraite complexes, grevés de frais et aux conditions de sortie rigides, sont remplacés par trois produits, un individuel et deux collectifs, à l’épargne portable, aux règles d’âge et de déblocage identiques.

La critique pense que : ces mesures sont soupçonnées préparer la « capitalisation » de la réforme des retraites. Mais l’épargne retraite est-elle une solution pour les entreprises quand sont favorisés d’autres produits disponibles et sûrs ? En outre, le marché secondaire (actions) « participe peu à l’investissement » dans les entreprises françaises.

Dynamiser l’innovation

Le constat : il faut financer les technologies de rupture (IA, nanoélectronique, stockage d’énergie) au taux d’échec élevé. On parle d’« enjeu de souveraineté ». D’autres dispositions portent sur la recherche publique fléchée vers les entreprises, la propriété industrielle (brevets), des offres de jetons virtuels (ICO et blockchain), l’avancée dans les véhicules autonomes.

La loi dit que : le Fonds pour l’innovation et l’industrie (janvier 2018), ensemble d’actifs de 10 milliards d’euros, doit générer 200 à 250 millions de rendement annuel pour financer des dispositifs de soutien à l’innovation. Des « cessions de participations publiques » veulent libérer 100 milliards d’argent public immobilisé dans 80 entreprises dont le contrôle n’exige pas une participation au capital. Cette participation d’État sera cédée pour trois groupes, Aéroports de Paris (ADP), Française des jeux, Engie. Des mesures favorisent, simplifient, soutiennent les autres dispositions de soutien à l’innovation.

La critique pense que : évoquer l’innovation pour justifier les cessions d’actifs de l’État constitue un prétexte. La pertinence même du Fonds pour l’innovation est mise en cause. C’est, disent certains commentateurs, la négation pure et simple des garanties en matière de privatisation des précédents gouvernements.

Récompenser le travail des salariés

Le constat : les dispositifs d’épargne salariale touchent peu les entreprises de moins de 50 salariés, l’intéressement est lui aussi mal réparti.

La loi dit que : le forfait social est supprimé pour les entreprises de moins de 250 salariés, comme les prélèvements sur les versements d’épargne sociale pour les boîtes de moins de 50 salariés. L’intéressement et la participation sont simplifiés par des accords-types. Le/la « pacsé/e » du/de la dirigeant/e bénéficiera de ces avantages (jusqu’alors réservés aux époux). Facilitation du plan d’épargne retraite collectif (Perco). D’autres dispositions encouragent l’actionnariat salarié (public et privé).

La critique pense que : ces mesures n’obligent en rien les entreprises qui restent décisionnaires en matière d’intéressement et de participation.

La raison d’être des entreprises

Le constat : « L’utilité sociale et environnementale de l’entreprise n’est que peu reconnue dans le droit français », déplore le législateur. La notion d’intérêt social est absente de la définition qui s’en tient à l’intérêt commun des associés.

La loi dit que : il faut modifier le Code civil et le Code de commerce pour que soit reconnue dans le droit la notion d’intérêt social de l’entreprise (disposition obligatoire). Reconnaître « la possibilité aux sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts » (disposition facultative). Permettre la création d’un statut d’« entreprise à mission ». À cette fin, renforcer la présence des administrateurs salariés dans les conseils (y compris au sein des mutuelles, unions et fédérations).

La critique pense que : cette reprise du rapport Sénard-Notat sur l’objet social de l’entreprise ne crée aucune obligation pour l’entreprise puisque, selon Bruno Le Maire, « ce n’est que la sanction dans le Code de la jurisprudence existante ». La « raison d’être de l’entreprise » reste « facultative et volontaire ». « Donc largement inopérante », estiment les commentateurs. En revanche, pour les instigateurs du texte que sont les professeur/es de l’école des Mines et le Collège des Bernardins, titulaires de la chaire Théorie de l’entreprise, modèles de gouvernance et création collective, il s’agit d’une « réforme qui se démarque de tous les autres projets de réforme du xxe en matière d’équilibre travail/capital et de l’encadrement du pouvoir des dirigeants, une approche originale et une nouvelle définition de l’entreprise ».

Olivier Magnan

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