Enquête sur la banque qui ne voulait pas mourir

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À la recherche du nouveau modèle

Les chiffres clés de la banque en France interdisent apparemment de laisser penser que les établissements bancaires puissent un jour disparaître : les banques contribuent à hauteur de 2,7 % à la valeur ajoutée totale créée. Quatre enseignes françaises entrent dans le top 10 de la zone euro et deux dans le top 10 mondial. 96 % des Français(e) s détiennent une carte bancaire et 99 % de la population sont bancarisés. Le produit net bancaire (l’équivalent du chiffre d’affaires) dépasse les 160 milliards. 37 657 agences (mais le compteur chute) émaillent le territoire. Et pourtant, en 2018, onze ans après la crise qui a démontré les faiblesses des colosses, la banque française court après son label 3.0 et les prévisionnistes mondiaux se posent la question de la disparition de la banque sous sa forme actuelle. Le modèle évoluera, oui. Et alors ? Pourquoi les grandes mutations ne seraient-elles pas positives ?

Et si la banque 3.0 finissait par se numéroter 0.0 ? Depuis la petite phrase assassine de Bill Gates, lâchée en 1990, « Banking is necessary, banks are not » (« un système bancaire nous est indispensable, mais les banques, elles, ne le sont pas »), la thèse de la disparition des banques a le vent en poupe. En février 2018, paraît en France chez Lattès la traduction du livre signé à deux mains sous le pseudonyme unique de Jonathan McMillan, de The end of banking, rendu par Pourquoi les banques vont disparaître. Pas le moindre point d’interrogation, c’est l’affirmation des deux auteurs, dont le macro-économiste Jürg Müller, associé à un banquier caché, salarié d’une grande banque européenne, qui ne veut surtout pas révéler son identité. En substance, l’analyse démontre que « les opérations bancaires échappent à tout contrôle et [qu’] au lieu d’essayer d’y remédier, mieux vaut se préparer à y mettre fin ». C’est une thérapie radicale pour un cancer financier dénoncé, le shadow banking, cette « finance de l’ombre » qui désigne l’ensemble des activités et des acteurs qui contribuent au financement non bancaire de l’économie. Nos deux trouble-fêtes décrivent par le menu ce qui, à leurs yeux, doit succéder au système bancaire, un « système financier » à travers lequel emprunteurs et prêteurs trouveront un accord gagnant-gagnant et qui offrira des systèmes de paiement « sans faire appel aux opérations bancaires ».

Peut-être. Ou non.

C’est dans le même sens que la projection de Gartner, le cabinet conseil, vient de lancer son pavé dans la mare : « en 2030, 80 % des banques actuelles auront disparu ». Rebelotte. Cette fois, les prévisionnistes ne s’en prennent pas tant au système bancaire qu’aux établissements bancaires mêmes, soupçonnés de ne pouvoir mener à bien leur transformation numérique. Au lieu d’imaginer la banque du futur face au monde mutant, leur adaptation aux générations X et Y, la disparition du cash, l’avènement de la blockchain, au lieu, donc, de se remettre en question, les banques sont accusées d’investir lourdement (la Société Générale engage 3,5 à 4 milliards d’euros pour refondre son système d’information) dans une numérisation qui ne viserait qu’à des gains de productivité. Pas une refonte de modèle. Au final, estime le Gartner Group, elles « se cantonnent à un rôle de back-office » que de nouveaux acteurs, les agiles fintechs, réaliseront mieux. Un scénario que valide en partie Marc Sabatier, patron du cabinet Julieth Sterwen et conseiller en innovation de quelques grandes enseignes. Pour lui, la banque du quotidien pourrait devenir une « commodité », s’effacer pour se déporter vers des services à valeur ajoutée. « Une petite entreprise pourrait d’ores et déjà se passer de la banque traditionnelle et piloter son activité par sa compta à même de transmettre directement à un teneur de compte automatisé les écritures du bilan. À moins que tout ne passe par son expert-comptable en lien avec la ou les banques de son choix. »

Faire face à une concurrence de nains et de géants

Parmi les observateurs avisés du monde bancaire français, la Senior Manager Audrey Dhellemmes, du cabinet Viatys (groupe Square), observe sereinement au cœur des banques clientes ces soubresauts médiatiques et ces prédictions alarmistes. Et si elle estime inéluctable la restructuration du marché des banques, elle ne croit pas du tout aux effets fracassants des disparations massives des enseignes. « Voilà plus de quinze ans que j’entends la remise en cause du core banking, ces systèmes informatiques dépassés qui ne pourraient plus répondre favorablement aux exigences des clients, mais je constate qu’ils sont en mesure de s’adapter par le recours aux API, ces programmes spécifiques capables d’apporter du service au système ainsi enrichi, un moyen de donner aux banquiers le temps de moderniser leurs systèmes dans lesquels ils investissent énormément, au point de se requalifier eux-mêmes de prestataires de services informatiques. »

Sa veille professionnelle malgré tout lui livre quelques constats concrets : les banques font aujourd’hui face à des pertes de produit net bancaire (leur chiffre d’affaires) importantes dans un contexte de taux bas quand les coûts de leur infrastructure augmentent. D’où le besoin vital de repenser leur modèle d’affaires, par exemple en ne se se focalisant pas sur le marché du particulier, littéralement saturé par l’arrivée massive des fintechs et des néobanques attractives (N26, néobanque d’origine allemande, vient d’annoncer détenir un portefeuille de 500 000 clients en France). Et se tourner vers les pros et les PME auxquels proposer du service payant, comme l’affacturage, le raccourcissement des délais de paiement, le financement court terme.

Une autre menace plane sur les banques, celle des géants américains et asiatiques, les fameux Gafa – Google-Apple-Facebook-Amazon – et les BATX – Baidu (le « Google » chinois), Alibaba (l’« Amazon » version chinoise), Tencent (avec Wechat), tenue pour la plus grosse banque de fait au monde avec ses 600 millions de comptes clients (Alipay), Xiaomi, géant du téléphone et de l’électroménager. Avec cette nuance importante que souligne Audrey Dhellemmes : aucune de ces « banques » de fait ne dispose d’un agrément de crédit à octroyer à leurs clients, apanage des banques traditionnelles. Argument que met en doute Marc Sabatier, déjà cité : « L’émergence de nouveaux acteurs impacte les banques traditionnelles y compris par l’octroi du crédit. Si l’on cite les fintechs ou les Gafa/BATX sans agrément de crédit, on oublie souvent en France et dans le monde la grande distribution adossée à des banques. Quant aux Gafa/BATX, rien ne les empêche d’ouvrir des partenariats, tel Ant Financial, le bras financier d’Alibaba, avec American Express. Le jour où Alibaba, le plus grand financier au monde, débarquera en France… »

L’automne du cash

Les mutations bancaires s’illustrent massivement par le paiement. À peine habitués à jouer de leur carte bancaire à code dans les terminaux de paiement, les Français(e) s goûtent au « sans contact » pour des sommes jusqu’à 30 euros. Ils/elles vont s’habituer désormais au paiement instantané (le vendeur est crédité immédiatement). Quant à la disparition programmée des pièces et des billets – très engagée en Suède, en Norvège, en Estonie, aux Pays-Bas, sociétés dites cashless –, elle n’est pas encore à l’ordre du jour en France – 68 % des paiements pour des petites sommes sont en espèces, mais 28 % des montants payés au total, ce qui signe en filigrane la fin du cash à terme – ni dans le sud de l’Europe. Une explication : les commerçants, en fixant des seuils minimums de paiement par carte, préservent le sport national, la fraude fiscale… Mais il sera difficile de résister à la dissolution de la carte bancaire dans le… smartphone. Le mouvement est amorcé : Leetchi, Lydia, Lyf Pay, Paylib, Obvy, Pumpkin, Apple Pay, Carrefour Pay et sous peu un partout Alipay instaurent le paiement mobile sans carte.

L’hiver de l’IA

En citant les atouts majeurs des banques – confiance, sécurité, fiabilité, proximité –, Audrey Dhellemmes rejoint l’idée « rassurante » que les banques ne sont pas promises à une disparition rapide et que les grandes mutations qui les attendent ne sont pas synonymes de bouleversement destructeur. Pierre Blanc, gérant du cabinet Athling, cabinet de conseil en stratégie, organisation et management indépendant, la rejoint complètement. L’homme s’est taillé la réputation de spécialiste de l’avènement prudent de l’intelligence artificielle dans les banques – dont il tempère l’impact – pour avoir supervisé l’étude commanditée par l’Observatoire des métiers de la banque, L’intelligence artificielle dans la banque : emploi et compétences (décembre 2017)*. « La banque est un métier sérieux, prône celui qui veut démontrer que l’on prête à l’IA bancaire des avancées qui ne sont pas d’actualité. On confie notre argent à un établissement. Cette relation, cet engagement contractuel est fondamental. Un État ne peut tolérer qu’un acteur bancaire se fasse dérober des données. » Disruption ? Méfiance. « Le secteur bancaire n’est pas comparable aux Uber ni aux néobanques dont l’échec ne serait pas catastrophique. Celui du secteur bancaire, si. Les grands apologues de la fin des choses oublient que la banque rime avec sécurité financière. »

C’est au nom de cette prudence méthodologique que le spécialiste financier a observé l’arrivée dans les établissements bancaires régis par la loi bancaire de 1984, très encadrés, de la « révolution » de l’intelligence artificielle. Loin de l’idée que les algorithmes nouveaux de l’IA, du machine learning, des robots sont venus bousculer de vieilles banques prises de court avec leurs systèmes d’information difficiles à faire évoluer, Pierre Blanc rappelle volontiers que les systèmes experts sont apparus au sein des banques dès les années 1960, liés à la base de connaissance. La banque ne découvre pas l’IA, elle en fut la pionnière. « Une banque, très attaquée par les cybercriminels, résiste mieux qu’un Facebook dépouillé de 50 millions de profils par Cambridge Analytica ! Des cartes bancaires par milliers hors service pendant deux semaines induiraient des catastrophes plus préoccupantes qu’une privation de Google sur la même durée… »

M.« Piano va sano » ne veut pas que les banques qu’il conseille « gravissent l’Everest de l’IA en une étape ». L’interaction par la voix – les fameux chatbots que toute banque veut mettre en place – reste d’une complexité de mise au point redoutable. « On peut mettre en place avant l’agent conversationnel quantité de choses, dont un meilleur traitement des données pour multiplier le contact direct avec le client. L’on doit encore réduire la manipulation du papier et se concentrer sur la reconnaissance de caractères, bien plus avancée que la voix. »

Les surpromesses de robots capables d’aboutir à des suppressions d’emplois risquent d’engendrer l’« hiver de l’IA », dixit M. Choix éclairés.

La banque 3.0 balbutie. De là à prédire sa dilution dans la blockchain… .

Olivier Magnan

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