RENCONTRES : Martin Seligman, le bonheur est politique

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Il n’était jamais venu exposer « officiellement », sur une scène parisienne, son grand œuvre de psychologie positive dont s’inspire une large partie de l’entrepreneuriat américain : Martin Seligman, chercheur et professeur à l’université de Pennsylvanie aux États-Unis, s’en est venu, tout sourire, exposer devant des centaines d’entrepreneur(e)s et cadres son Hope Circuit, « la boucle de l’espoir », dernier ouvrage non encore traduit. Le « père de la psychologie positive » a répondu avec bonheur à Ariane Warlin.

En quoi consiste la psychologie positive ?
Traditionnellement, la psychologie est centrée sur l’intrapsychique. Or il est plus intéressant de sonder notre rapport au monde et la qualité de nos relations avec les autres. De ne pas s’arrêter à l’individuel pour penser notre épanouissement sur un mode collectif. La psychologie, depuis 60 ans, travaillait sur les pathologies et elles seules, dont aucune, à l’origine n’était curable. Aujourd’hui 14 d’entre elles font l’objet de traitement et deux sont guérissables. Mais pour ma part, j’ai décidé d’étudier les atouts autant que les faiblesses et de rendre la vie des gens plus satisfaisante en tirant parti des dons et des talents naturels.

La psychologie positive est volontiers battue en brèche. Existe-t-il une critique qui porte, à vos yeux ?
Il y a en beaucoup, mais je pense que la meilleure est celle qui repose sur un angle économique. Certains prétendent qu’aider les gens à être plus riches est finalement bien plus important que de les rendre heureux. Or si développer les ressources financières de ceux qui sont en dessous d’un certain seuil, confrontés à de nombreux besoins non satisfaits, revêt du sens, en revanche, au-delà de ce « filet de sécurité », l’augmentation des richesses n’a que peu d’impact sur le bonheur.

Dans l’ère numérique dans laquelle nous vivons, pensez-vous que le bonheur et les réseaux sociaux puissent coexister ?
Plus vous avez d’écrans, moins vous êtes heureux. Toutefois, nous ne pouvons pas les éradiquer, donc à mes yeux, la question est plutôt de savoir comment les utiliser au mieux. On sait que le bonheur consiste à être avec les autres, on croit que c’est le cas avec les réseaux sociaux, mais ce n’est qu’une illusion.

Pourquoi la psychologie positive est-elle moins développée en France qu’ailleurs?
Je ne suis pas français, il m’est difficile de vous répondre ! D’un point de vue extérieur, je dirais que la France se caractérise par une dimension révolutionnaire, avec une longue et vénérable tradition en matière de protestation et de contestation. Bien sûr, se montrer sceptique acquiert du sens à certains moments, et c’est clairement un atout de savoir identifier les choses qui posent problème pour évoluer vers un monde plus juste. Mais se plaindre trop souvent empêche de voir ce qu’il y a de vraiment bon.

La dépression et les maladies mentales doivent être prises en charge à travers des plans de santé publique à la hauteur des enjeux.

La France serait même le champion du monde du pessimisme…
Une étude du Pew Research Center, publiée en septembre 2018, et menée à l’échelle mondiale sur le moral des populations, révèle que 80 % des Français pensent que leurs enfants vivront matériellement moins bien qu’eux. Certes, il y a des raisons de se montrer inquiet pour l’avenir en raison du chômage, des logements onéreux, du réchauffement climatique… Mais si nous nous focalisons trop sur les menaces, nous finissons par être aveuglés et passons à côté de tout ce qu’il y a de magnifique chez l’être humain.

Quels sont les risques d’une culture du pessimisme ?
Il est scientifiquement prouvé que plus on se plaint, plus on est sujet à la dépression, avec potentiellement une santé dégradée et une productivité moindre… Il faut dès lors s’interroger sur le futur d’une civilisation dont le pessimisme est si profondément ancré. C’est d’autant plus préoccupant que le taux de satisfaction global en France ne cesse de baisser depuis 15 ans. Il est très inférieur à celui des autres pays européens. Pourtant, la France est l’une des dix premières puissances financières mondiales. Ce pays est donc beaucoup plus pessimiste qu’il ne devrait l’être!

Est-ce le rôle des gouvernements de s’intéresser au bonheur ?
Les citoyens en tout cas plébiscitent les candidats qui leur promettent de veiller à leur bien-être. Une récente étude de la London School of Economics montre qu’au moment du vote, le sentiment de satisfaction individuelle entre en considération autant que les motivations financières. D’où l’intérêt de garantir une société inclusive pour tous. Pour ça, il est essentiel de mettre en place des politiques publiques centrées sur le bien-être collectif pour répondre au sentiment de désarroi et de déclassement. De mon point de vue, c’est surtout sur le plan de l’éducation qu’il y a le plus de chantiers à mener afin de donner aux enfants les clés d’accès au bonheur. Mais bien sûr, il faut considérer tous les types de population, notamment les personnes sans emploi qui ne devraient pas être si stigmatisées. Enfin, la dépression et de manière générale les maladies mentales, doivent être prises en charge à travers des plans de santé publique à la hauteur des enjeux. Personne ne doit rester sur le bord du chemin. C’est peut être ça aussi, la clé du bonheur…

Par Ariane Warlin

 

Au Sommaire du dossier 

1. Le bonheur au travail, les fondamentaux

Focus sur le livre Happycratie

2. RENCONTRES : Martin Seligman, le bonheur est politique

3. Management : feed-back permanent

RÉTROSPECTIVE : De l’esclavage aux start-up sans contraintes

 

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