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L’innovation dans l’enseignement supérieur…Des mutations en douceur
Sans tapage, les écoles rebattent les cartes, s’adaptent au monde en mouvement. Les lignes bougent en 2017. Une révolution impressionniste. Par petites touches.
On a connu le processus de Bologne, à l’origine du schéma de l’enseignement supérieur européen, en trois strates (licence, master, doctorat). Une vraie rupture. On a connu les lois de l’université qui ont marqué leur temps… Citons Devaquet, Bayrou, ou plus proche de nous, Pécresse avec celle relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU)… Des textes qui ont fait couler beaucoup d’encre et parfois… le Ministre en question. Dans la boule de cristal, rien de tel n’apparaît pour cette nouvelle année. En 2017, année de scrutins, l’heure est plutôt à l’attentisme. A petits pas… Le paysage se transforme. On n’apprend pas en 2017 comme il y a dix ans, voire même cinq ans. Cela vaut pour la formation continue, mais aussi initiale, dans le public comme dans le privé. Et puis, l’esprit d’entreprendre semble souffler sur les établissements. Universités comprises, mais pour combien de temps ? Décryptage.
Innovations pédagogiques au cas par cas
La révolution numérique. Outre les écoles qui en ont fait leur spécialité, le digital s’immisce partout. Discipline à part entière, il se fait aussi boîte à outils au service de la pédagogie. Pas de raz-de-marée, mais plutôt une conversion prudente des écoles d’ingénieurs, des business schools… mais aussi des universités.
Pour preuve ? Un nom d’une école d’ingénieurs en pointe sur le digital ? Avec une pédagogie numérique bien développée ? Pascale Ribon, qui vient de passer la main à la tête de l’Estaca, et par ailleurs vice-présidente de l’IESF (Société des ingénieurs et scientifiques de France) réfléchit quelques instants et cite… l’ESSCA ! Acronyme de la business school angevine, déployée maintenant sur huit sites en France et à l’international, qui a effectué son virage numérique il y a maintenant plus de dix ans de cela. Cette saynète montre combien le sujet est plus délicat qu’il n’y paraît. D’aucuns parlent du retard des écoles d’ingénieurs par rapport aux écoles de management qui, elles, communiquent à tout-va sur cette thématique. Toutes les écoles déploient localement une pédagogie nouvelle avec ces outils du XXIème siècle – chacune à son rythme. Aucun mot d’ordre national.
Cocktail pédagogique
On est loin d’une omniprésence, et ce quel que soit le segment – formation initiale ou continue. « Une vraie réflexion s’opère actuellement, confie Christophe Leyronas, responsable du département stratégie, entrepreneuriat et innovation, directeur académique de l’executive master à TBS, sur le dosage à retenir. En effet, le face-à-face est encore plébiscité. Aujourd’hui, les demandeurs de formation continue, quel que soit le format, peuvent avoir quitté l’enseignement il y a dix ou quinze ans, voire davantage. Ils ont besoin de se reconnecter au mode de fonctionnement qu’ils ont connu. D’où plutôt le recours au blended learning. » Autrement dit, au cocktail des modes d’apprentissage. « Les établissements sont friands des MOOC, pour Massive Open Online Courses, explique Gérard Peccoux, à la tête de Callimédia, expert en solutions de e-learning, avec un parcours de formation descendant, dotés de peu d’interactivité. Difficile alors de verrouiller la progression pédagogique. »
L’université n’est pas en reste. Et l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Caen en est la parfaite illustration, avec 500 inscrits pour des formations en e-learning.
L’impératif jacobin de la formation des cadres
C’est « the place to be ». Une business school ne peut exister sans adresse parisienne. Un postulat qui n’est pas récent. Depuis le début des années 2000, une vraie transhumance s’est organisée en direction de la capitale. On peut citer Audencia, l’ESSCA, l’école de management de Normandie, Neoma business school, l’EM Lyon… Même L’ESSEC, cette « parisienne » dont les locaux historiques se trouvent à Cergy-Pontoise a ouvert un site au CNIT de La Défense. Et la liste s’allonge encore avec l’emménagement récent de l’ESC Troyes au sein de la Tour Egée, pas très éloignée de l’ESSEC. L’ICN y réfléchit. La raison ? Tout est une question de visibilité, pour capter une clientèle supplémentaire. « 30% du produit intérieur brut (PIB) sont générés à Paris, souligne William Hurst, directeur de la formation continue pour Audencia. Et on y compte 95% des sièges sociaux. Des données qui sont importantes. » Même en 2017, la France reste un pays jacobin. Cette attractivité parisienne ou francilienne est très liée au développement de la formation continue. Autrement dit de « l’executive education ». « Il faut savoir marcher sur deux jambes », résume Patrick Houdayer, directeur des programmes de SKEMA. Aujourd’hui, ce relai de croissance est vital pour tous les acteurs de l’enseignement supérieur, confrontés à un marché hexagonal de la formation initiale saturé. D’aucuns disent exsangue. Et cette logique vaut aussi pour le milieu universitaire. En 2015, le rapport Germinet – du nom de son auteur – intitulé « Développer la formation professionnelle continue dans le supérieur » table sur un objectif d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2020, contre 400 millions aujourd’hui. Il ne reste que trois ans !
Par ailleurs, une adresse parisienne est également un élément de la stratégie d’internationalisation de l’école, pour travailler cette fois la lisibilité à l’étranger. « Vu de Bombay ou de Pékin, la France, c’est Paris », résume François Bonvalet, à la tête de Toulouse business school (TBS) qui a inauguré le 19 janvier dernier de nouveaux locaux, à Paris, dans le 15ème arrondissement. 1300 m² supplémentaires aux (seules) couleurs de l’école toulousaine.
Vers de nouveaux eldorados ?
Un virage devrait s’opérer en 2017 dans la stratégie de conquête de nouveaux territoires pour les grandes écoles. Après la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, Singapour ou l’Australie, et plus récemment la Chine – Audencia est présente sur deux sites, idem pour l’ICN, par exemple –, le continent africain semble faire l’objet de toutes les attentions des poids lourds de l’enseignement supérieur, excepté les universités. Au point de devenir un nouvel eldorado ?
Tour Cristal 1 à Casablanca : telle est la nouvelle adresse d’EM Lyon, depuis la rentrée 2015 où elle propose un Global Bachelor of Business Administration (BBA) en quatre ans. Quinze étudiants inscrits pour la première édition, une soixantaine pour la deuxième, avec un objectif fixé à 200 dans les cinq années à venir. D’autres écoles ont vu dans le Maroc la localisation idéale pour capter cette clientèle de jeunes issus de la classe moyenne, pas suffisamment aisés pour venir suivre des études en Europe, mais désireux d’accéder aux standards du Vieux Continent en matière de formation. Depuis 2004, Toulouse Business School (TBS) est présente à Casablanca. Son « hub » en Afrique. Et 2017 sera marquée par une entrée dans de nouveaux locaux. L’ICN a misé, elle, sur Dakar, en Côte d’Ivoire. Et demain, peut-être l’Edhec en pleine réflexion.
Logique partenariale à tâtons
Le jeu n’est pas sans risque ! « Une école qui viendrait plaquer son mode de fonctionnement français va se heurter à de sérieux problèmes, souligne Cécile Escape, directrice générale d’Eduniversal, cabinet d’orientation spécialisé dans l’enseignement supérieur et les classements des filières de formation. Ce marché est spécifique, avec ses écoles et ses universités. Elles ne vont pas voir débarquer des écoles françaises d’un bon œil. Elles tiennent à préserver leur souveraineté et à ne pas se voir dicter des méthodes qui ne collent pas à leur réalité. Certes, le challenge est énorme. Certes, on part d’une page blanche et ce côté « pionnier » est perceptible, mais la notion d’eldorado ne convient pas. La logique de partenariat est à privilégier. Les écoles françaises doivent accepter de repenser leurs processus pédagogiques, par exemple, pour capter des populations éloignées, reculées. Et gare à la faute marketing, en proposant un cursus – identique ou proche de ce qui se fait sur notre territoire hexagonal – à des tarifs trois fois moins chers. »
Le partenariat ? C’est le schéma de développement précisément retenu par Audencia, avec la signature en juillet dernier d’une convention avec l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (Inp-HB) pour la création d’un centre de coopération académique. On est au début de cette démarche qui se fait avec tact et mesure. « Notre contrat vise à accompagner l’école locale de management pendant 32 mois pour remettre à plat les formations et le processus pédagogique, explique Christophe Germain, le directeur général de l’établissement nantais. Audencia se mue en coach pour l’Inp-HB, avant de développer notre catalogue de cursus en formation continue, à la rentrée 2017. » Pour la formation initiale, rendez-vous est pris pour 2018…
Perte d’attractivité de la Chine ?
Et la Chine dans tout ça ? SKEMA, Centrale, ICN, L’École polytechnique (en partenariat avec trois autres écoles que sont Telecom, Mines et l’ENSTA)… La liste est longue. Ecoles d’ingénieurs ou business schools, les grandes y sont, avec des campus off shore ou en partenariat. Mais le vent serait-il en train de tourner ? Et cet engouement de s’atténuer ? A écouter François Bonvalet, c’est probable. « La croissance économique est en train de stagner, explique-t-il. La demande du monde étudiant n’est pas significative. Et la qualité de vie est un sujet problématique, en raison même de la pollution. Avant, la Chine était le must. Aujourd’hui, cette destination est devenue une punition. Aussi, si nous avons huit partenaires sur place, aucun campus en propre n’est envisagé. Je ne suis pas du tout persuadé qu’on le remplirait. »
L’entrepreneuriat sur tous les tons
A en croire un sondage BVA pour France Active, réalisé en octobre 2016, 55% des jeunes âgés de 18 à 29 ans aimeraient créer ou reprendre une entreprise ; 6% l’ont même déjà fait. Benjamin Bardy est de ceux-là. Tout juste diplômé de l’Estaca, école spécialisée dans les moyens de transport (ferroviaire, automobile, aéronautique, spatial), ce jeune homme de 23 ans a ouvert son commerce de drones en… Floride. « Une première étape avant de se lancer dans la conception sur mesure, pour l’agriculture, ou en appui aérien pour le sauvetage en mer, par exemple. » Et le vivier des entrepreneurs en devenir est en plein boom à l’Estaca. Comment trouver des investisseurs ? Quel bagage juridique est indispensable ? L’école de Benjamin Bardy a mis en place, à la dernière rentrée, des séances de sensibilisation, à raison de deux heures par semaine. L’ambition affichée ? 30 étudiants. 73 sont inscrits. Et on compte 45 participants réguliers en 2017.
Autre lieu, mais toujours la même imagination féconde. Désalinisation de l’eau de mer, service d’expertise météo pour les petites et moyennes entreprises (PME), exportation de nougat artisanal… sont autant de projets – pas toujours en lien avec la spécialité même de leur filière d’études – nés des cerveaux d’étudiants de Toulouse, au sein de l’Institut national polytechnique ou dans ses écoles partenaires. « Dans 90% des cas, la fibre entrepreneuriale était déjà présente, souligne Alain Ayache, à la tête du CFA Midisup, premier CFA de Midi-Pyrénées. Les études leur ont donné la capacité de se lancer. »
L’effet « booster » du statut d’étudiant entrepreneur.
Les idées fusent. Les « startuppers brainstorment ». Il y a peut-être le Mark Zuckerberg des années 2020-2025 parmi eux. 1000 immatriculations d’entreprise ont été comptabilisées en 24 mois en France. L’un des éléments d’explication de cette ferveur entrepreneuriale dans l’enseignement supérieur ? « L’actuelle génération veut vivre une aventure, explique Jean-Michel Ledru, directeur d’EDHEC Young Entrepreneurs (EYE), développer quelque chose à eux, qui colle à leurs valeurs, environnementales, sociales ou managériales. »
Et puis, il y a le nouveau statut d’étudiant entrepreneur et le développement des Pépites (pour Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat), lancés en septembre 2014. L’idée est simple : « Encourager la culture entrepreneuriale en aménageant les cours, à l’instar de ce qui se passe pour les étudiants sportifs de haut niveau, avec l’opportunité d’allonger ses études d’une année, la mise en place d’un coaching, résume Jean-Pierre Boissin, coordinateur national de ce mécanisme et, par ailleurs, professeur au sein de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Grenoble, de modules dédiés, des espaces de co-working transversaux à tous les champs disciplinaires. Et surtout inter-établissements. »
Pourquoi en parler en début 2017 ? Le phénomène devrait prendre de l’ampleur. La Conférence des présidents d’université (CPU) a édité voici quelques semaines un guide dédié. Une sorte de vade-mecum. Un pas important pour diffuser le message auprès des 2,5 millions d’étudiants. Et le statut français d’étudiant entrepreneur s’exporte. Depuis le 1er janvier dernier, la Belgique s’y est mise, tout comme l’ont fait le Maroc, la Tunisie, le Liban, le Sénégal ou bien encore la Corée. D’autres pays européens vont annoncer dupliquer ce modèle français.
Réticences et chantiers d’avenir
Pourtant, ce dispositif compte quelques détracteurs ou sceptiques. En charge de la question pour le compte de la Conférence des grandes écoles (CGE), Francis Bécard fait la fine bouche. Pour lui, il n’y a pas là matière à s’extasier. Rien de neuf sous le soleil, en somme. Il en profite même pour tacler la sphère universitaire, reproduisant le vieux schisme entre ces deux mondes – les grandes écoles d’un côté, la fac de l’autre – et pointer l’absence de dynamique des politiques. Bref, une distribution tout azimut. « Pépite n’a rien changé dans les grandes écoles. Les lignes ont dû bouger à l’université, ajoute-t-il dubitatif. Créer sa boîte n’est pas encore noble en France ! Le comité de pilotage de Pépite n’avait pas, en fin d’année 2016, d’informations sur la pérennité du système en… 2017. C’est un gag ! » Et le directeur du groupe ESC Troyes et de la technopôle de l’Aube d’enfoncer le clou et de réclamer « la mise en place d’une bourse de vie pendant 24 mois pour tout entrepreneur en herbe, de 1000 euros pour contribuer aux frais de logement, nourriture, remboursable dès les premiers dividendes. La BPI soutient l’idée. Et, à l’instar du cursus sport études qui a fait ses preuves, développer une filière entrepreneuriat dès le secondaire est indispensable. » Des questions à poser aux candidats à la présidentielle.
Tous entrepreneurs demain ? Loin de là. Ni même après-demain. « L’objectif n’est pas de tourner le dos aux cabinets conseils ou aux entreprises du CAC 40, friands de nos diplômés, souligne Jacques Biot, président exécutif de l’École polytechnique, qui compte une soixantaine de créations par an. Simplement, ce n’est pas une aventure risquée. Et ils sont de plus en plus nombreux à l’envisager comme début de carrière. »
Murielle Wolski