Passeports numériques des produits : quel horizon pour les industriels du textile ?

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Helene Behrenfeldt, Infor

Helene Behrenfeldt travaille en tant qu’Industry Strategy Director Fashion pour Infor, un acteur mondial du marché des logiciels cloud d’entreprise sectoriels.

TRIBUNE. L’industrie textile se trouve désormais au cœur de la lutte contre le changement climatique. Pour enrayer son impact environnemental, la Commission européenne déploie de nouvelles réglementations en faveur d’une industrie circulaire et durable. Son objectif : transformer ce secteur, actuellement le quatrième plus polluant, après l’industrie agro-alimentaire, l’habitat et la mobilité, en un modèle plus respectueux de l’environnement et plus compétitif. Face à l’urgence climatique, l’instauration du Passeport Numérique des Produits (Digital Product Passport – DPP) constitue l’un des outils clés de la politique environnementale européenne.

Pour les marques de vêtements et de chaussures, les fabricants et les détaillants de marques privées, l’arrivée du DPP s’annonce comme un défi majeur. En effet, chaque produit et chaque textile produits en Europe devront faire l’objet d’une fiche d’informations numérique. D’ici à son déploiement obligatoire, prévu dès 2027, l’enjeu est de taille : mettre en place les cadres de gouvernance adéquats, ainsi que les systèmes, processus et technologies nécessaires pour s’adapter à cette nouvelle donne.

Une transformation nécessaire pour une industrie plus verte

L’industrie de la mode est l’une des plus polluantes au monde. Selon la Commission européenne, l’UE génère chaque année 12,6 millions de tonnes de déchets textiles, soit l’équivalent de 12 kg de déchets par habitant et par an. Un cinquième seulement (22 %) des déchets textiles après consommation sont collectés et triés en vue d’être réutilisés ou recyclés. Une grande partie est incinérée ou envoyée à la décharge.

Face à ce constat alarmant, la Commission européenne a pris des mesures fortes en instaurant le Passeport Numérique des Produits (DPP), pilier de la stratégie de l’UE en termes de textiles durables et d’une économie circulaire. À l’instar des fabricants d’équipements électroniques et de batteries, l’UE souhaite que les acteurs de l’industrie textile mettent en place une carte d’identité numérique de chaque produit textile pour améliorer la traçabilité et la transparence de la supply chain. Ces mesures vertueuses visent à développer des pratiques de production plus durables. Ces passeports numériques permettront également aux consommateurs d’accéder aux informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions d’achat mieux documentées et plus respectueuses de l’environnement.

Le DPP s’inscrit donc comme un levier de la transformation de l’industrie textile vers un modèle de production et de consommation circulaire, reposant le recyclage et la réutilisation, afin de prolonger au maximum le cycle de vie des produits. Dans la mesure où cette réglementation concernera également les marques non-européennes mais commercialisant leurs produits sur le marché européen, elle pourrait amorcer un changement de paradigme d’une industrie textile circulaire bien au-delà des frontières de l’Europe.

Le fonctionnement du passeport numérique des produits (DPP)

Le système DPP est encore en cours de développement, mais il devrait s’appuyer sur une combinaison de technologies telles que des QR codes pouvant être scannés, des étiquettes RFID et la blockchain, afin de créer une identité numérique unique et sécurisée pour chaque produit.

Les consommateurs pourront scanner le code QR ou l’étiquette RFID, apposé sur le produit, pour obtenir des informations détaillées sur l’ensemble du cycle de vie du produit concerné :  origine des matériaux, options de recyclage, pays de fabrication du produit… La technologie blockchain permettra quant à elle de recueillir ces données du cycle de vie de manière sûre, économique et inviolable, en s’appuyant sur la technologie des registres distribués (DLT).

Malgré ses promesses, le DPP présente des défis. Les passeports numériques DPP seront-ils harmonisés d’un pays à l’autre ? Il s’agit pourtant d’un enjeu crucial pour les entreprises multinationales, dont les sites et les fournisseurs sont répartis dans le monde entier. Pour les industriels du secteur de la mode, des investissements importants seront nécessaires, et ce, à tous les niveaux de la chaîne de valeurs, pour la formation des salariés et l’acquisition de nouveaux systèmes informatiques.

Depuis l’entrée en vigueur, en janvier 2024, de la directive européenne sur le reporting en matière de développement durable des entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD), un grand nombre d’entreprises européennes, y compris les PME cotées en Bourse et certaines entreprises non européennes, se voient contraintes d’établir un rapport extra-financier sur leurs implications environnementales, sociales et sociétales (RSE). Cette loi impose aux entreprises concernées de publier, en plus de leur bilan financier, un bilan environnemental, social et de gouvernance (ESG) qui mesure l’impact et les risques que font peser leurs activités sur l’environnement, les hommes et la société.

Cet impératif de transparence, notamment vis-à-vis de leur supply chain, fait écho aux exigences que les futurs passeports numériques imposeront aux industriels du textile.

Les fondements technologiques

Pour répondre aux exigences du DPP, les entreprises devront mettre en place un système robuste capable de rationaliser et de standardiser la collecte des données provenant de sources multiples et décentralisées. Ce système devra extraire les informations pertinentes et les structurer dans un format compatible avec le passeport DPP. En premier lieu, ce système devra recueillir les certificats attestant de la conformité des matériaux et des articles concernés tout au long de leur supply chain : par exemple, l’origine du coton utilisé pour une chemise, la manière et l’endroit où il a été filé et teint, son parcours depuis la production jusqu’au stockage, et enfin, son point de vente physique ou virtuel. Le système devra également capturer divers aspects opérationnels, tels que les volumes de production et d’achat, ainsi que les stocks dormants. L’objectif est de créer une source unique d’informations fiables couvrant tous les aspects pertinents pour le DPP.

Les plates-formes cloud constituent une solution fiable pour répondre à ces enjeux. Elles offrent une flexibilité optimale dans la gestion et la synchronisation des données entre plusieurs systèmes, permettant des mises à jour régulières en fonction de l’évolution des exigences réglementaires. Pour les entreprises qui utilisent des systèmes distincts pour la production et la gestion, l’interconnexion de ces systèmes sera essentielle pour garantir une circulation fluide des données, en permettant d’extraire des informations détaillées sur la composition des matériaux, atteignant un niveau de granularité maximal au niveau des fournisseurs et sous-traitants. L’intégration avec des plates-formes spécialisées dans l’analyse et la validation des données environnementales s’avère également très utile.

Les systèmes d’analyse des données les plus récents, intégrant notamment la technologie data lakehouse, offrent aux entreprises des fonctionnalités inédites. En effet, ces outils permettent aux experts non-techniciens d’extraire des informations pertinentes à partir de volumes considérables de données non structurées, sans avoir au préalable à les organiser ou à les structurer. Dans le cadre des passeports numériques des produits, ils fournissent les fonctionnalités requises pour assurer le reporting et la conformité en matière environnementale.

Une avancée décisive

L’industrie textile et de la mode, avec ses micro-secteurs spécifiques, tire un profit encore plus important des solutions technologiques conçues pour répondre aux nouvelles exigences.

Prenons l’exemple de fournisseurs proposant des produits textiles et accessoires hautement personnalisés. L’adoption de systèmes intégrés couvrant l’ensemble de la supply chain, depuis le sourcing des matières premières jusqu’à la production et à la livraison, facilitera le partage des données et éliminera les silos d’informations préjudiciables.

Loin de se limiter à des contraintes administratives, l’instauration des passeports numériques des produits DPP ouvre des perspectives pour l’industrie textile et de la mode. Les différents acteurs et parties prenantes qui choisiront d’embraser cette évolution de manière proactive pourront récolter de nombreux bénéfices tangibles. Sur le plan commercial, l’adoption des DPP favorisera une confiance accrue des consommateurs envers les marques, renforçant ainsi leur réputation. Les entreprises bénéficieront d’une meilleure connaissance de leurs clients. Cette transparence accrue permettra également de mieux développer de nouveaux modèles économiques basés sur les principes de l’économie circulaire.

Certes, la mise en œuvre de ces passeports ne sera pas sans défis, compte tenu de la complexité des chaînes d’approvisionnement dans ce secteur. Toutefois, les entreprises qui parviendront à trouver un équilibre entre minimisation de l’impact environnemental et excellence opérationnelle seront largement récompensées par des gains commerciaux substantiels.

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