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Par Colette Ménard, chief scientific officer & directrice associée chez Stim.
TRIBUNE. Le grand réchauffement induit un grand bousculement. Dans les entreprises, on s’active et on s’interroge sur la façon de produire qui ne portera pas atteinte au climat. Bref, comment allier développement économique et protection d’un climat malmené ?
Nous sommes aujourd’hui bien loin du stade des discussions sur l’impact ou la RSE dans les entreprises, qui nous permettraient d’améliorer l’état de la planète et préserver notre climat. Les entreprises sont bousculées sur tous les fronts – clients, employés, investisseurs, écosystèmes et décideurs : comment proposer un nouveau modèle industriel désirable, assez audacieux, respectueux des êtres humains et des limites planétaires ?
L’un des premiers obstacles à l’avènement de ce modèle se situe dans l’attachement à des valeurs et des traditions business qui deviendront obsolètes dans un futur proche : sur-qualité, sur-performance, vitesse d’exécution, déclinaison des produits à l’infini… Aujourd’hui encore, trop de leaders d’industries dépensent des millions pour constamment améliorer leur performance et proposer des technologies et services toujours plus élaborés, supposément plus durables.
L’aube d’un nouveau cycle économique
La manière dont les enjeux de transition environnementale sont continuellement abordés en est d’ailleurs une parfaite illustration : une course effrénée au verdissement des offres, qui sont pourtant défaillantes by design. Persuadés que ces investissements démesurés leur permettront de rester à l’avant garde, certains dirigeants refusent de voir les signaux, pourtant annonciateurs, d’une fin de cycle économique.
Alors, comment aborder cette nouvelle ère ? Tout d’abord, en sortant du paradigme dans lequel l’entreprise continue à faire ce qu’elle a toujours fait, sans se poser de questions… Une bonne entreprise n’est plus seulement une entreprise qui performe mieux que la concurrence et satisfait ou surpasse les attentes de ses clients. C’est une entreprise qui s’interroge sur le monde qu’elle souhaite voir advenir, qui propose une vision ambitieuse et désirable du futur, et qui est au clair sur la manière dont elle souhaite y contribuer. Dans quel monde souhaitons-nous vivre demain ? Avec quels moyens de transports ? Quels usages de consommation ? Ceux qui ne se posent pas la question seront disqualifiés.
Il faudra faire davantage qu’optimiser l’existant
Par ailleurs, il est utopique de penser que nous parviendrons à atteindre les objectifs environnementaux en optimisant l’existant. Sans remise en question profonde de leur modèle, les entreprises se heurtent rapidement au mur invisible de l’optimisation. En conception, il est reconnu que l’optimisation d’un système existant déjà défectueux produit des résultats limités et s’avère en définitive plus coûteux. Il est vain d’essayer d’optimiser la performance environnementale de la machine industrielle actuelle, alors qu’elle a historiquement été conçue pour maximiser la productivité et la rentabilité. Un effort collectif sera nécessaire pour réimaginer, repenser et construire de nouveaux systèmes plus respectueux, moins gourmands en ressources, et plus humains.
Vers un nouveau modèle pour l’entreprise
La réinvention du business model de l’entreprise est de loin le levier le plus puissant pour atteindre des objectifs environnementaux et sociaux significatifs. Bonne nouvelle, s’adapter à l’urgence climatique nécessite des transformations profondes, mais ne demande pas nécessairement plus d’investissement. Un fabricant d’emballages peut dépenser des millions de dollars en R&D pour réduire la consommation énergétique de ses procédés ou la quantité de matière plastique utilisée dans ses emballages (optimisation) – et réduire ainsi l’empreinte environnementale de ses emballages de 20 %. Il peut aussi dépenser la même somme pour développer des emballages réutilisables et se positionner sur une nouvelle activité industrielle, le lavage d’emballages réutilisables (réinvention) – et réduire l’empreinte environnementale de ses emballages de 80 %.
Dès lors que la décision de réinvention est actée, la question à se poser n’est pas de savoir comment adapter la machine industrielle et économique actuelle pour atteindre un avenir souhaitable : c’est un point de départ trompeur car un raisonnement basé sur les contraintes du système actuel nous fait vite retomber dans les travers de l’optimisation. Il faudra au contraire flécher les efforts et les investissements vers la construction et la structuration d’une nouvelle organisation, avec de nouvelles valeurs, un nouveau modèle économique et de nouvelles technologies : tout l’enjeu pour les dirigeants et entrepreneurs est de créer cet espace vierge pour pouvoir faire éclore des industries radicalement nouvelles, en phase avec leur futur désirable. En phase avec le climat et notre futur.