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A 67 ans, le Père Bernard Devert a fait du mal-logement le combat d’une vie, grâce à son entreprise Habitat et Humanisme. Ancien agent immobilier devenu prêtre promoteur, il est une figure incontestable du logement social en France.
Costume-cravate bien ajusté, regard clair, mèche au vent et sourire charmeur, il a des airs de star hollywoodienne. Seule la discrète croix épinglée au revers de sa veste nous rappelle que Bernard Devert est prêtre. Curé de choc, il vit à cent à l’heure, ne dort pas plus de trois heures par nuit et arrive sans cesse en retard à ses rendez-vous, même lorsqu’il s’agit de célébrer la messe dominicale. On dit de lui qu’il est « l’Abbé Pierre des oubliés, un constructeur d’avenir et d’humanité, plus efficace qu’un ministre du logement ». Humble et profondément généreux, il revendique simplement « une approche spirituelle et humaniste de la vie ».
Résumer la vie de Bernard Devert en quelques dates relève de l’exploit tant l’itinéraire singulier de cet homme atypique est chargé de belles rencontres, d’initiatives remarquables et de coups de gueule mémorables. Né le 7 avril 1947, aîné d’une famille nombreuse, il grandit dans un quartier bourgeois de la capitale des Gaules où il comprend très tôt qu’habiter, c’est « être situé » quelque part. Après des études de droit, il intègre un grand cabinet d’administration d’immeubles de la région Rhône-Alpes, puis à 37 ans crée sa propre société de promotion immobilière.
Prêtre à 40 ans
En 1968, Bernard Devert entend une première fois l’appel du Seigneur. Mais il n’y répondra pas tout de suite. « J’avais 20 ans, ce n’était pas le bon moment. Je voulais travailler et m’investir ». La trentaine venue, ressentant cet appel de plus en plus prégnant, il rencontre l’évêque de Lyon, le Cardinal Decourtray, et lui explique son souhait de devenir prêtre, mais aussi celui d’être dans le monde. « Je ne voulais pas entrer au séminaire. Pendant sept ans j’ai étudié la théologie tout en poursuivant une activité professionnelle. Cela a fait de moi un prêtre inséré dans le monde économique », se félicite-t-il.
C’est dans les années 80 qu’il prend conscience des injustices liées au logement et notamment celles engendrées par la rénovation des centres-villes, qui relèguent les classes populaires dans les quartiers périphériques. « La ville doit être traversée par la différence. Là où le vivre ensemble n’est pas perceptible, il y a injustice », confie-t-il.
Un soir de l’hiver 1983, ce jeune cadre dans une société de promotion immobilière apprend qu’une vieille dame a tenté de se suicider. Clouée chez elle, n’ayant d’amis que ses voisins de quartier, elle ne supporte pas leur départ d’un immeuble que la société de Bernard Devert s’apprête à démolir. « A l’hôpital, elle m’a expliqué que cet immeuble donnait du sens à sa vie : ses rares amis habitaient le quartier. Et elle m’a dit : “Avec votre fric, vous pouvez déplacer les gens”. » Electrochoc. Bernard Devert décide alors de « penser autrement l’acte de construire ».
Dirigeant à 38 ans
En 1985, il crée l’association Habitat et Humanisme afin de loger dans des quartiers équilibrés des personnes défavorisées. Précurseur de la notion de « mixité sociale », rendue obligatoire par une loi de juillet 1991. Le contexte social de l’époque est chahuté. La rénovation des centres urbains implique souvent le déplacement des populations d’origine modeste vers les banlieues, au profit de classes sociales beaucoup plus favorisées prenant leur place dans les quartiers réhabilités. « Dès l’origine, Habitat et Humanisme sera pensée non comme une association caritative mais comme une entreprise à caractère social, réconciliant l’économique et le social, l’humain et l’urbain », déclare-t-il. C’est en faisant appel à des investisseurs privés réunis en SCI que les premiers logements seront acquis, et c’est toujours cette même dynamique de finance et d’épargne solidaires qui caractérise l’association, près de 30 ans plus tard.
Le 26 juin 1987, Bernard Devert a tout juste 40 ans et vient d’être ordonné prêtre. Une vocation tardive ? Non, nuance-t-il, « disons plutôt que j’y ai répondu tardivement ». Désormais, sa soif de justice ira de pair avec l’esprit d’entreprise qui l’anime depuis longtemps. Jusqu’en 1992, il sera entrepreneur le jour, prêtre le soir et le week-end au sein de la paroisse de la Mulatière, à Lyon. Parallèlement à l’animation et au développement de son association, il devient ensuite aumônier au centre anticancéreux Léon-Bérard de Lyon puis accompagnera pendant de nombreuses années des toxicomanes et leurs familles. En 2000, il crée un réseau de maisons d’accueil et de soins pour personnes âgées à faibles ressources qu’il appelle La Pierre Angulaire, en clin d’œil à sa passion pour l’architecture. Dans la foulée, il lance partout en France le concept des maisons intergénérationnelles.
Les 10 commandements du mal-logement
Travailleur insatiable, économiste chevronné spécialiste des levées de fonds et des appels à souscription publique, l’homme d’église reconnaît mener « une vie de dingue ». Sans cesse révolté face à la situation du logement en France, Bernard Devert multiplie les coups de gueule, n’hésitant pas à fustiger les politiques sociales inutiles et inadaptées. Le 30 novembre 2013, il publie « Les 10 commandements pour sortir de la crise du logement » et lance « un appel à 1000 propriétaires » afin qu’ils acceptent de confier à l’association la gestion locative de leurs logements, en échange d’un loyer modéré, assorti de divers avantages fiscaux. En 2014, la petite association lyonnaise, qui recherchait des studios vacants pour loger des familles défavorisées, est devenue une « entreprise à caractère social » qui gère un parc de plus de 7000 logements à travers toute la France et compte près de 300 salariés et 3000 bénévoles. Fier Bernard Devert ? Assurément, même si « en 60 ans, depuis le cri de l’Abbé Pierre, la question du logement nous résiste : nous ne sommes pas arrivés à obtenir qu’elle soit considérée comme une grande cause nationale », regrette-t-il.
Anne Diradourian