La Fabrique du Sud : d’ouvrier à patron pour ne pas fermer l’usine

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Prométhée déchaîné

Recette d’une reconversion collective réussie. Ou comment des ouvriers fabriquant des crèmes glacées sont passés de la manutention à la gestion d’entreprise.

Photographie de crise. Le taux de chômage dans l’Aude est l’un des plus forts du territoire français. Le 12 juillet 2013, la production de l’usine Pilpa est stoppée suite à la décision prise par son actionnaire majoritaire, le groupe R&R Ice Cream, jugeant le site en surcapacité de production. Une centaine de personnes se voit remerciée. L’actuel président du conseil d’administration Christophe Barbier était alors secrétaire du CE de R&R. Face à ce coup du sort, ou plutôt de la finance, une vingtaine de salariés ne s’avoue pas vaincue et décide de saisir la balle au bond. Si l’actionnaire s’en va, l’usine restera aux mains de ses salariés. Un conte de fées contemporain ? Pas si sûr selon les dires de ses repreneurs. Avec un sentiment d’injustice, les salariés décident de crier leur mécontentement aux collectivités, aux chambres consulaires, à l’Etat. « Nous nous sommes battus pour l’emploi, et c’est dans cette optique que les collectivités nous ont soutenus. Un emploi ici représente trois emplois indirects dans le département », se remémore Christophe Barbier, le président du conseil d’administration.

Faire des contraintes de reprise un avantage commercial

De négociations en procédures judiciaires, le bras de fer se termine le 6 janvier 2014. La nouvelle entreprise La Fabrique du Sud remplace Pilpa, et commercialise avec une nouvelle marque « la Belle Aude », clin d’œil polysémique renvoyant au « made in local » et à une race de vache, emblème du terroir. Ce combat pour le maintien de l’activité et de l’emploi est un déclic pour nombre de salariés. 19 d’entre eux deviennent sociétaires. L’entrepreneuriat n’est plus très loin. Chacun des sociétaires y apporte un capital de 15000 euros, peu ou prou leur prime de licenciement. Un début pour les fonds propres et un levier de négociations pour les prêts bancaires. 450000 euros sont rassemblés au démarrage en plus du million d’euros en matériel et formation versé par R&R.

Les glaces sont artisanales – une des conditions sine qua non de la création de la Scop) à cause de la clause de non concurrence actée avec l’ancien actionnaire – et sont conçues à base de crème et de lait entier, sans colorant ni huile de palme. Les fruits arrivent d’une coopérative agricole voisine. Le chocolat, lui, d’un chocolatier du Lot. Une montée en gamme tout en recourant à une agriculture raisonnée et à une production soucieuse de l’environnement avec un packaging en carton éco-responsable. La gamme est principalement distribuée dans le Grand Sud, de Nice à Bordeaux, mais aussi en région parisienne.

De l’art de performer en Scop

Les reconversions sont nombreuses car la grande majorité des sociétaires de la Scop sont d’anciens manutentionnaires. Certains deviennent commerciaux, d’autres vont à la comptabilité et à la gestion. L’amour du produit reste un plus quand il s’agit de le vendre. Qu’importe la casquette, la polyvalence est choyée. Question gestion, stratégie et management, toutes les décisions sont prises en AG. Le CA mensuel est affiché dans les salles de stockage. Une pédagogie de l’info et de l’effort qui s’explique également par une baisse générale des salaires, même si ces derniers ont été revalorisés suite aux deux premiers exercices prometteurs. Au départ, quatre tranches étaient fixées : 1300, 1400, 1500 euros et le cadre à 1900 euros net alors que de nombreux salaires dépassaient les 2000 euros net à l’époque de R&R. L’affaire fonctionne du feu de Dieu. 20% de parts de croissance chaque année. Quatre embauches en trois ans. La légende veut même que la Fabrique du Sud ait notamment inspiré Benoît Hamon, alors ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire, pour inscrire dans sa loi le principe de l’information prioritaire des salariés lors de la mise en vente d’un site. En deux ans, le nombre de salariés est passé de 19 à 23. Et bientôt 25 d’ici la fin de l’été. La Fabrique du Sud s’est développée selon les objectifs fixés lors du lancement de la Scop et a atteint 550000 euros fin 2014 pour huit mois d’exercice et 1,5 million d’euros fin 2015. L’exercice 2016 se clôture sur le chiffre de 1,9 millions d’euros de CA. « Nous étions rentables l’an dernier, mais nous bénéficiions alors d’exonérations de charges, d’aides au remplacement de l’outil industriel », précise Christophe Barbier. 50% des bénéfices sont investis dans l’outil de production, l’autre moitié est distribuée. Côté investissements, l’entrepôt des années 70 de 5000 mètres carrés atteint ses limites. Et le bail commercial arrive à son terme. La question des travaux ou de la construction – pour un montant de 2,5 millions d’euros – n’est pas encore tranchée pour l’heure, alors que la Fabrique du Sud entend encore accélérer en densifiant son réseau de distribution, tout en lançant une nouvelle gamme bio à compter de 2018.

Geoffroy Framery

Entretien avec Christophe Barbier, président du conseil d’administration de la Fabrique du Sud.

« Le risque finalement était minime : c’était ça ou le chômage dans un territoire accablé »

Racontez-nous votre bras de fer avec le groupe R&R.

Cela a duré un an. A l’origine, l’usine appartenait à une coopérative de produits laitiers 3A qui fabriquait les glaces Pilpa depuis 40 ans. Une institution sur le territoire. En septembre 2011, c’est le rachat pour 27 millions d’euros par R&R. En juillet 2012, ce dernier annonçait aux 124 salariés sa volonté de fermer le site de Carcassonne pour rapatrier la production sans invoquer de raison financière. Nous savions également que le groupe R&R récupérait à l’occasion de ce rachat un portefeuille, des licences de marques et des partenariats avec des noms tels que Fauchon. Notre ligne de conduite a été simple. Nous leur avons dit : si vous voulez partir pour une stratégie financière, vous partez, mais nous, nous restons. Nous gardons notre outil de travail et nous n’avons pas besoin de vous pour continuer. Bien sûr, ils n’étaient pas d’accord. Nous voulions également cultiver la fierté de continuer sans eux, nous approprier l’outil de travail, continuer à fabriquer de la crème glacée sans diktat financier ou oligarchique.

Quels ont été les moments déterminant dans cette reprise ?

Le combat a duré un an. Par deux fois, nous les avons attaqués sur le plan de sauvegarde qui n’était pas conforme. Pendant ces négociations, nous continuions de travailler. Le soutien des élus locaux et du gouvernement a pesé dans ce rapport de force. L’agglomération nous a prêté les locaux après rachat. L’Etat nous a soutenus pour nous rapprocher de réseaux commerciaux. Pour le démarrage nous avions besoin de forces commerciales. Au départ c’était la stratégie de l’escargot et nous démarchions en faisant du porte à porte. Ce qui nous a boostés, c’était le fait de devenir acteurs de notre avenir professionnel. Le risque finalement était minime : c’était ça ou le chômage dans un territoire accablé. La décision était facile.

Propos recueillis par G.F

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