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Amandine Chaignot a pris la direction des fourneaux du Raphaël il y a deux ans, et quitte ce palace au charme ancien. L’occasion pour EcoRéseau de vite rencontrer cette jurée de Masterchef, entre plats mijotant et desserts alignés.
Dix heures, 17 avenue Kléber à Paris dans les cuisines du Raphaël. Le tourteau décortiqué accompagné de copeaux de pêche blanche, ou les rougets cuits au plat avec févettes à l’huile d’olive des Baux de Provence nécessitent une activité frénétique. Dans une petite pièce en fond de cuisine, où s’entassent avec le matériel bureautique classique des objets aussi hétéroclites qu’un diplôme encadré de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, des fioles de parfum ou des boîtes de bonbons Boissier, la chef Amandine baille de fatigue. Accueillant ses visiteurs dans un naturel et une féminité tranquilles qui se retrouvent dans l’ambiance et dans les assiettes, celle qui ouvre sa bouteille de Coca-Cola à l’aide d’un immense couteau de cuisine enchaîne les journées de neuf heures à minuit.
Talent et sensibilité
Rien ne la prédisposait à cet univers. Après un an et demi d’études en pharmacie, la jeune femme de caractère décide de tout plaquer pour ouvrir un salon de thé dans l’Essonne. De nature méthodique, elle suit au préalable une formation en école hôtelière. La rencontre avec certains chefs sera déterminante. Mark Singer son chef d’apprentissage, puis Bernard Leprince chez Prunier, Alain Ducasse et Jean-François Piège au Plaza Athénée… Le Bristol, le Meurice, le Crillon achèveront de lui ouvrir les yeux sur sa vocation et de la nourrir d’influences. Son premier coup de cœur, qu’elle explique en donnant ses ordres en cuisine à côté, concerne la bande de chefs étoilés de Bruxelles dont la cuisine est « dingue et touchante de sincérité » : David Martin à la Paix, Damien et Bénédicte Bouchery, les frères Folmère… Jouissant d’une vraie liberté en matière de recettes et d’approvisionnements, Amandine a apporté sa sensibilité. « Mon budget est soumis à quelques ratios, mais un brin de lucidité permet de rester dans les clous », déclare celle dont le deuxième coup de cœur se porte sur l’Astrance, restaurant étoilé de Pascal Barbot et Christophe Rohat dans le 16e arrondissement de Paris, dont « la subtilité et la gentillesse se retrouvent dans les assiettes comme dans la salle ». Ajoutons à cet éclectisme une sensibilité artistique. Les photos culinaires de Nicolas Buisson, son « chéri », constituent son troisième coup de cœur pour leur aspect sobre, mais « presque complexe de simplicité ». En quatre ? Les ateliers Elie Bleu, qui conçoivent des caves à cigare ou des boîtes à bijoux dans la plus pure ébénisterie d’art de Paris, « qu’on a envie d’utiliser en cuisine dans le dressage ».
Management sans jeu de rôle
« Chouchou, tu déjeunes avec moi ? »… Une phrase peu usitée dans les brigades, où l’ambiance est quasi militaire, mais qu’elle prononce naturellement en entrouvrant la porte des cuisines. « Je passe une grande partie de ma vie ici. Ces tiroirs sont remplis d’affaires de sports, de shampoing… Il ne serait donc pas envisageable d’adopter une posture de distance. J’ai besoin de rire, de discuter au quotidien », déclare celle qui épluche les asperges, gratte les champignons ou lève des carrés d’agneaux avec l’équipe de 30 personnes pour instaurer la confiance. Sans pour autant être faible. « Nul besoin de crier pour se faire entendre. Un principe que j’ai appris auprès d’un chef qui avait pour habitude de murmurer des propos blessants au coin de l’oreille. » Celle qui préfère la cuisine des herbes plutôt que des épices sait convaincre. Majid, son fleuriste de la boutique Muse dans le 18e arrondissement, qui est son cinquième coup de cœur pour son univers particulier de branches entrelacées et de vases colorés, s’est déjà rendu à Rungis pour lui dégoter des plats en verre de forme particulière. De la volonté avant tout. « Je suis une boule rouge au milieu des boules bleues. L’ambiance est bien souvent similaire à un vestiaire de football, la camaraderie masculine transparaît et une femme doit savoir rentrer dans le système. Beaucoup d’entre elles vivent mal ce climat ainsi que les lourds horaires et finissent par changer de carrière », déplore la chef de 34 ans.
Vie en Palace
Le principe d’un cinq étoiles est de ne presque jamais dire non, malgré les exigences parfois exagérées. « Ils peuvent nous demander du homard grillé à trois heures de l’après midi. Nous répondons alors qu’il est possible de l’obtenir à 20 heures le soir même. Une posture qui engage à être réactif et à cultiver un réseau d’approvisionnement performant. » Cette amoureuse des pièces de viande sobres, accompagnées d’un minimum de sauce, est interrompue par une livraison de truffes de Carpentras, exhalant leur parfum malgré les odeurs de cuisine. Amandine, qui a besoin de 300 à 500 grammes chaque semaine pour agrémenter les omelettes, les quenelles de volailles ou le chocolat praline, les soupèse et les sélectionne, tout en plaisantant avec le personnel. Des goûts affirmés ? Assurément. Le champagne La Colline Inspirée, qui l’épate par sa subtilité et sa finesse, est son sixième coup de coeur. Une bonne cuisine ne va pas sans bons produits. Le septième concerne donc un marché, celui de Nogent-le-Rotrou dans le Perche : « L’amoncellement de perdreaux à la saison de la chasse, les barquettes de tomates biscornues à la fin de l’été, les bacs du poissonniers remplis de homards, la gentillesse des gens… Il n’y a pas de touche discordante dans l’authenticité et la qualité. »
Univers personnel fertile
Marraine d’une association qui vient en aide aux enfants – sa filleule de Birmanie est son huitième coup de cœur – elle ne dispose pas d’assez de recul pour estimer l’impact de sa présence à l’émission Masterchef. « La télévision reste un outil efficace de rencontre avec les chefs de production ou les candidats. » L’ouverture, toujours l’ouverture pour celle qui aime se perdre chez Drouot, son neuvième coup de cœur, où « le suranné côtoie la modernité ». Taquinant un cuisinier qui ne trouve pas le plat demandé, elle parle en continu. Son dixième point concerne d’ailleurs la lecture de Céline par Fabrice Luchini, à cause de « l’ambiguïté instaurée entre le texte et les apartés ». Une éponge donc, qui se nourrit de toutes les expériences possibles pour perfectionner ses recettes et satisfaire une clientèle qui a changé. « Les scandales alimentaires, les Amap et le bio, la recrudescence d’émissions, de livres ou d’ateliers culinaires ont éduqué les clients, qui ont des palais plus ouverts, mais aussi plus critiques. » Un défi qui n’est certainement pas pour lui déplaire….
Julien Tarby