Ce qui est accroché à l’hameçon n’en vaut souvent pas la peine.
Ce qui est accroché à l’hameçon n’en vaut souvent pas la peine.

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Souriez… Vous êtes piégés !

Vous hallucinerez quand vous saurez à qui profite cette pratique honteuse !!!
Les clickbaits, ou pièges à clics, polluent l’Internet depuis des années. Et ils ne sont pas près de s’arrêter.

Le format, bien travaillé, est toujours le même. Pas plus de 100 caractères (pour pouvoir être partagé dans un tweet), souvent une interpellation directe du lecteur (Vous, Tu…), et surtout une hyperbole bien particulière, qui promet beaucoup mais ne dit rien. Vous l’avez reconnu, c’est un clickbait, un de ces titres bien racoleurs qui ont envahi nos écrans, et qui cachent le plus souvent des articles écrits à la va-vite d’une qualité plus que douteuse.

Assumez vos responsabilités

En soi, la pratique du titre sensationnel et racoleur n’a rien de nouveau : la presse people et la publicité, par exemple, l’utilisent depuis des décennies. Sa véritable explosion sur le Web coïncide en fait avec celle des réseaux sociaux, qui ont apporté un nouveau concept : la viralité. « On a vu apparaître en 2012 les premiers sites fondant leur stratégie purement sur la viralité de leur contenu, comme Viral Nova aux Etats-Unis, explique Éric Dupin, fondateur de Presse-citron, un media pure player. Les titres étaient définis selon un algorithme précis, chaque rédacteur devait proposer 20 titres différents… » Et face au succès foudroyant de la formule (20 millions de visiteurs uniques au bout de six mois), les émules ne se sont pas fait attendre. Car il ne faut pas s’y tromper : s’il y en a autant, c’est que ça marche – et ça marche grâce à nous. « Nous cliquons en connaissance de cause, estime Éric Dupin. Le clickbait est maintenant clairement identifié par les internautes pour ce que c’est. »

Ils se font de l’argent sur votre dos

Suivant fidèlement notre modèle, la « révélation » promise par le titre alléchant en haut de la page n’a en effet absolument rien de fracassant. « Il s’agit de méthodes légitimes, puisque l’action de l’internaute est volontaire, rappelle Gregori Polle, Digital Strategy Officer chez Kiwe, qui offre une application de business intelligence dédiée aux performances marketing. Son existence est motivée sur le plan économique par les annonceurs qui souhaitent drainer l’audience la plus large et par les éditeurs qui, étant rémunérés au clic, souhaitent le meilleur niveau de performance. » Pour savoir qui profite du clickbait, il suffit, dans un premier temps, de lire les noms en haut de la page web – OhMyBuzz, MinuteBuzz, UpWorthy, etc., qui se rémunèrent avec la publicité – et les noms sur ces irritants inserts en bas de page qui vous proposent de lire d’autres « contenus qui pourraient vous intéresser », comme Taboola ou Outbrain, qui sont des services payants. On ne peut pas en vouloir à une usine à clic d’adopter la stratégie la plus efficace.

Mais les choses se compliquent avec les réseaux sociaux, notamment Facebook. Il n’en tire pas lui-même profit, mais il en va autrement du propriétaire des pages. Certains médias et marques ont noué des contrats avec eux : publication de lien contre rémunération au clic. Avec des communautés de plus d’un demi-million de fans, les sommes montent rapidement. Et des pages comme ça, il en existe des centaines. Un exemple, pris au hasard dans le classement tenu par Socialbaker : IletElle, 1,5 millions de fans, un post publicitaire épinglé, beaucoup de memes, et un renvoi vers un site contenant uniquement des articles compilations (datant de 2016) et des publicités.

Et derrière ces pages, ce ne sont pas toujours des particuliers – ou, du moins, plus. Même si la pratique est prohibée, elles se vendent – ou plutôt, se sont vendues : dans une enquête menée par BuzzFeed France en 2015, Guillaume Rassemi, fondateur de l’agence Woocom, qui en a lui-même acquis, estimait que « 90% des pages Facebook en France ont déjà été rachetées. Le marché est bien mûr, tout a déjà été englobé ». Les entreprises acquéreuses, aujourd’hui, les rentabilisent, par exemple en s’en servant comme plateforme de diffusion de contenu – Woocom met ainsi à disposition de ses clients un réseau de 15 millions de fans. Mais cela a plutôt eu tendance à rehausser la qualité des contenus partagés : au moins, ils ne cachent pas leur affiliation à une marque.

Découvrez comment lutter contre l’invasion

Car tous les clickbaits ne sont pas égaux. Il faut différencier ceux qui tiennent du divertissement, qui sont assumés et consommés comme tels – BuzzFeed, le Démotivateur… – et ceux qui naviguent en eaux troubles. « Il y a un basculement progressif du clickbait vers la fake news invérifiable, souligne Eric Dupin. Et tout le monde peut se faire avoir. » Il s’agit typiquement d’un fait divers en provenance de Chine, de Russie, ou de Corée du Nord. Mais – et l’importance qu’a pris le terme le démontre – toutes les fake news ne sont pas bénignes. « Une partie significative de la population ne prend plus le temps d’analyser une information, estime Gregori Polle. Ils délaissent le fond pour la forme. C’est le terreau idéal pour la prolifération des clickbaits, y compris ceux de la pire espèce. »

Même si Facebook n’est pas particulièrement responsable de la prolifération de ces titres racoleurs, la nuisance apportée à son expérience utilisateur l’a poussé à entrer en guerre contre le piège à clic. En 2014, il a introduit l’analyse sémantique dans son algorithme, et il l’améliore régulièrement ; son outil de fact-checking est en place en France depuis mars dernier et depuis cet été, les fausses vidéos sont également filtrées. Mais un algorithme ne peut pas tout faire, d’autant que les éditeurs s’adaptent. (Il faut noter, par ailleurs, que Twitter ne fait aucun effort apparent de son côté.)

La seule véritable solution pour lutter contre les clickbaits, c’est l’attrition : bâtir des filtres (il existe de nombreuses solutions pour cela) et… arrêter de cliquer. « Lorsque les sites utilisant ces techniques ne trouveront plus d’annonceurs parce que les internautes s’en seront détournés à cause du manque d’intérêt, ces sites disparaitront d’eux-mêmes », estime Gregori Polle. Et en attendant, il reste l’humour. « Ce qui me gêne plus, c’est quand des grands médias utilisent les mêmes méthodes : c’est contre-productif », estime Éric Dupin. Il vient de lancer, pour son plaisir personnel, un site collaboratif ouvert à tous, sobrement nommé clickbait.fr, pour recueillir les plus beaux exemples. Autant dire qu’une visite est plus que conseillée.

Jean-Marie Benoist

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