Les start-up de la sécurité et de la protection

A ce stade, les dommages collatéraux ne sont pas encore trop graves...
A ce stade, les dommages collatéraux ne sont pas encore trop graves...

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Les grandes manœuvres de la Tech

Défense, start-up du civil ou du militaire, acteurs de la protection civile et de la sécurité travaillent à un écosystème qui influencera directement nos usages quotidiens.

Synopsis. En 2054, la ville de Washington crée « Pré-crime », nouvelle division de la police, censée arrêter les criminels et meurtriers en puissance, avant même leur passage à l’acte. John Anderton, chef de ce nouveau service, pris dans un imbroglio d’intrigues, traverse différents tableaux qui mettent en scène bâtons à vomi, casques immobilisants, « scanoptic » de reconnaissance faciale partout dans la rue, prisons-greniers. Outre le fameux Minority Report de Spielberg, les romanciers et prospectivistes ne font pas dans la dentelle dès lors qu’il s’agit de traiter d’innovation, de sécurité et de défense. Georges Orwell nous en dépeint un super-état où le télécran de Big Brother est perpétuellement en train d’épier les faits et gestes de Winston Smith. James Cameron avec Terminator ou les frères Wachowski avec Matrix, moins poétiques, nous dépeignent deux trilogies où les machines se sont émancipées de leur mission d’aide et de protection. Nous sommes loin du rêve d’Asimov. Pour l’heure, les alliances entre start-up et défense n’en sont qu’à leurs débuts en France. Côté marché de la protection civile et de la sécurité, l’innovation va bon train et se développe en réponse au risque terroriste et au climat anxiogène véhiculé par les médias. L’heure pour EcoRéseau Business de décrypter les dernières tendances en la matière.

Défense et start-up : la grande vadrouille de la tech ?

Les grands industriels de la défense et de la sécurité accusent un certain retard dans la manière de sourcer et travailler avec les start-up, au regard de ce qui se passe aux Etats-Unis. « Cela se traduit également par une différence d’investissements : les trois milliards alloués au budget de la Défense en France correspondent à celui de la DARPA (Defense Advanced Research Project Agency). On ne vit pas dans le même monde », précise François Mattens, directeur de la communication et des affaires publiques du GICAT (groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres). Aussi, collaborer avec les start-up consistera-t-il l’essentiel du temps à les absorber en les rachetant. « La clé d’une bonne collaboration passe d’abord par une adaptation du processus en matière d’achats, de qualification des fournisseurs et de gestion de la propriété intellectuelle ; chantiers toujours en cours », ajoute Jérémy Vigna, directeur commercial et marketing au COGES (salons internationaux de défense et de sécurité). Des ponts qui se réalisent doucement en raison aussi d’une histoire où l’Etat gardait la main en matière d’innovation de la défense, notamment via l’ONERA et la DGA.

Un pont trop loin ?

Mais le secteur de la défense s’ouvre et s’inspire des pratiques inhérentes aux start-up. Le MIP (Mission Innovation Participative) qui souffle en 2016 ses 27 bougies, entre autres, fonctionne davantage aujourd’hui comme un incubateur et autorise n’importe quel militaire à proposer son idée en vue d’un financement et d’un développement de son projet, tout en récompensant les initiatives avec son prix de l’audace. Cela dit, François Mattens observe « un renversement de l’innovation. Notamment suite à l’ouverture des brevets au civil en matière d’impression 3D qui ont investi le secteur de l’aéronautique en Chine, en Israël et aux Etats-Unis. Ce changement dans la manière de concevoir l’innovation amène même l’armée depuis deux ans à envoyer une délégation au CES de Las Vegas pour détecter les tendances. La démarche intellectuelle évolue ». Autre ouverture également et non des moindres, celle des sites militaires vers le tissu économique local. La « Smart Base » d’Evreux (cf. encadre 2), projet pilote de l’armée, a accéléré les relations entre start-up et défense par la création d’une pépinière au sein même de la base 105. Une première en France qui s’est poursuivie par la création d’un centre de formation de pilotage de drones à Salon-de-Provence. L’idée, ici, est double : celle d’une part d’améliorer la vie des militaires dans leur quotidien. Adieu Spartes, bonjour Athènes. Et d’autre part, de faire participer l’innovation civile à l’amélioration des performances militaires. S’il semble peu aisé pour une start-up, en raison de la lourdeur des process d’achats, de couvrir uniquement le marché de la défense, certaines performent pour l’armée, notamment dans le gaming et le serious game. « Layer Cake s’est spécialisé dans la mise en situation complexe et la gestion de crise. La tendance nous vient des Etats-Unis mais cela se développe fortement en France », explique François Mattens. De même avec les jeux et simulations en réalité augmentée, avant d’entraîner les militaires sur le terrain. Les dynamiques pour nourrir l’innovation sont nombreuses. Elles peuvent émaner du milieu de la sécurité à l’image de Star Asterion qui met en œuvre une technologie proche de l’Oculus Rift aujourd’hui pour le milieu de la défense. Ailleurs, le vent de la nouveauté peut également provenir d’initiatives civiles qui nourrissent ensuite les secteurs de la protection et de l’armée. A l’image des start-up qui proposent des solutions de géolocalisation des victimes – aux USA après les ouragans Sandy ou Christina et en France avec le hackhaton « Nec Mergitur » (cf. encadré 1), tout en envoyant des alertes sur un rayon de plusieurs centaines de mètres dont l’épicentre seraient les coordonnées géographiques de la catastrophe, de l’agression ou de l’attentat. « Aujourd’hui, l’une des nouvelles missions du groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres est d’encourager les start-up à décliner leur potentiel vers la défense et la sécurité », assure le directeur de la communication François Mattens, pour préciser les rapports entre donneurs d’ordres et entrepreneurs.

Protection et sécurité : des innovations tous azimuts

Cybersécurité, vidéosurveillance, protection de la personne, sécurité des entreprises… Le secteur concerne bien évidemment tout le monde. Du code pin sur un téléphone, en passant par l’appli de son alarme privée, les liens avec la sécurité et le grand public sont ténus et expliquent, au regard de l’actualité, un marché en plein essor. « La sécurité se développe en termes de chiffres et les attentats vont clairement accroître cette tendance », commente François Mattens. Et Jérémy Vigna de compléter : « Le développement du marché de la sécurité s’explique par le public qu’il cible. En global, d’après les données de l’annuaire “En toute sécurité”, la France recense 10000 sociétés privées dans la protection physique, les services de sécurité, et les solutions contre la cybercriminalité. Cela représente 1,3% du PIB et 300000 emplois marchands. D’ici à 2020, les prospectivistes projettent la création de 50000 emplois avec un revenu de 30 milliards par an, avec 5% de croissance par an ». Des chiffres qui devraient être revus à la hausse car publiés avant les attentats du 13 novembre 2015 …

En matière de tendances, la protection des sites, le contrôle des accès et le cyber sont trois tendances qui se dégagent en matière de sécurité. L’IoT, les algorithmes, le Big data et le cloud investissent chaque segment de la sécurité, en particulier dans la vidéosurveillance et dans l’analyse des comportements, technologie similaire pour l’analyse du parcours d’un consommateur dans un point de vente… Qui n’envoie pas un texto pour rassurer ses proches après un long courrier ? Kiwatch, start-up dans la vidéosurveillance, illustre ce nouveau rapport à la sécurité. « Notre parti est de mettre un maximum d’intelligence sur le cloud et non pas sur la caméra, et de travailler sur la reconnaissance du son et de voix. Nous ciblons le grand public et les petites entreprises. Selon nos tableaux de bord, un client se connecte en moyenne 66 fois par mois : c’est un moyen de lever le doute sur une fenêtre ouverte ou simplement surveiller une personne âgée, constater que ses enfants vont bien, jeter un œil en temps réel à ses stocks ou à sa résidence secondaire », résume Cédric Williamson, son fondateur. Un marché en plein expansion avec +24% par an en matière de ventes de caméras IP.

Gros succès également des applications géolocalisées d’alerte et du traitement des infos urgentes. L’application « Quidam », à l’aide d’un bouton « alerte », permet d’appeler les secours et d’envoyer un message de détresse ou de dissuader l’agresseur.

La plateforme Guardio, elle, participe à « l’uberisation » du secteur de la sécurité privée. « Suite à une expérience personnelle négative en matière d’événementiel, nous avons décidé de réinventer l’expérience d’achat pour ce segment. C’est un marché vieux comme le monde mais qui ne s’est pas encore digitalisé. En parallèle, il fallait apporter de la transparence et de la fluidité dans un secteur opaque doté de sites désuets et de prestations sans prix direct », explique le fondateur Laurent Selles. Un secteur qui bouge vite via les start-up et qui est soutenu par la bonne santé de belles PME, ETI et grands groupes à l’image des HGH en surveillance infrarouge, Multix dans la détection, Surys dans l’authentification de documents… Sans oublier les Thales, Airbus, Oberthur Technologies…

Hackhaton & Protection

Quand la société civile et l’entreprise s’emparent des questions de sécurité

La mode du « hackhaton », contraction de hacking et de marathon, tout droit venue des geeks de la Silicon Valley, se décline aussi en France aux secteurs de la défense et de la protection. Tenue à la mi-janvier 2016 durant deux jours au sein de la fameuse école 42 de Xavier Niel dirigée Nicolas Sadirac, sa version « Nec Mergitur », en réaction aux attentats, a réuni 400 ingénieurs, développeurs, entrepreneurs, graphistes ou simples citoyens autour de six « défis » à relever : prévenir la radicalisation, concevoir et diffuser les contre-discours, aider les plateformes de réception des appels d’urgence face à un afflux massif ; recevoir et traiter l’information des citoyens ; construire un nouvel outil pour diffuser l’information en temps réel à destination du grand public ; détecter et contrer les rumeurs en temps réel. Dix projets sur 17 mentions spéciales ont été retenus parmi lesquels on peut retrouver : « Détection », outil d’identification de niveau du risque de radicalisation d’un individu à travers ses différents profils sur les réseaux sociaux et l’analyse du contenu de ses messages ; « Chasseurs de rumeurs », solution de détection automatisée de rumeurs sur les réseaux sociaux et diffusion de contre-discours ; ou encore « Aztec », système de capteurs audio distribué dans une zone urbaine ou un établissement pour détecter les alertes. Ce glissement vers la société civile de la prérogative régalienne de sécurité engendre également d’autres hackhatons, qui gardent cependant un aspect business. Comme l’illustre l’Innovhaton du groupe Allianz, mené en cette fin septembre, réunissant dirigeants et innovateurs de tous bords pour accoucher de nouvelles solutions concernant la satisfaction client, qui comprenait bien évidemment un important volet cybersécurité.

Pont armée/tech

La Smart Base d’Evreux

Inaugurée en juin 2015, la « Smart Base » d’Evreux préfigure une nouvelle ère en matière d’infrastructures militaires. La Défense souhaite ainsi s’ouvrir à la société civile, à l’image des bases américaines qui fonctionnent telles des villes à part entière et qui sont connectées à leur environnement. Projet pilote ayant pour vocation d’être essaimé au sein d’autres sites, la « Smart Base » souhaite encourager les nouvelles technologies et les approches innovantes qui permettront d’améliorer la capacité opérationnelle des bases aériennes et la qualité de vie des aviateurs. La Base 105 d’Evreux est également soucieuse de participer à la numérisation de l’administration. Les premières briques sont testées à Evreux parmi lesquelles Aviactor, plateforme d’informations utiles à la vie quotidienne sur le site ou Auxylium, prix de l’audace du MIP (Mission Innovation Participative), qui connecte un groupe d’intervention en associant géolocalisation et transmission de données cryptées sur une plateforme. Une façon d’innover malgré des restrictions budgétaires. L’inauguration d’une pépinière numérique, en partenariat avec le Grand Evreux Agglomération et la Chambre de commerce et d’industrie de l’Eure, constitue aussi l’ouverture souhaitée vers le monde civil. Cinq start-up ont ainsi intégré le Système d’information et de communication des armées et dix autres, les locaux de la chambre consulaire. Ce pont créé vise à dynamiser le tissu économique local et les jeunes pousses et à faire interagir deux mondes qui se connaissent peu. Mais l’innovation n’est pas le seul fait de la base d’Evreux. À Salon-de-Provence, un « centre d’excellence drones », pour des formations de pilotage de drones, a vu le jour récemment et s’adresse tant aux militaires qu’aux civils et entreprises concernés par ces problématiques, à l’image d’ERDF et de GRDF.

Geoffroy Framery

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