Les start-up de la food

« Votre blanquette revisitée par un chef étoilé français ? Elle arrive, elle traverse la Manche… »
« Votre blanquette revisitée par un chef étoilé français ? Elle arrive, elle traverse la Manche… »

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Agitateurs de papilles… et de secteurs !

Une nouvelle génération d’entrepreneurs pointe le bout de son nez dans la restauration et l’hôtellerie traditionnelles, avec un état d’esprit et des outils neufs…

«Ton concept est beau sur le papier, mais il ne fonctionnera pas »… Damien Marty, cofondateur de RoomSeasons, a encaissé ce genre de prévisions « Cassandresques » de managers de l’hôtellerie durant sa dernière année de « training » à Miami. Ce qui n’a pas empêché le jeune diplômé de l’Institut Paul Bocuse de revenir avec son associé Nicolas Frison près de Lyon, à Ecully, pour concrétiser durant six mois cette idée de room service pour les hôtels 3-4 étoiles qui n’en ont pas ou perdent de l’argent dans ce domaine. A la clé un système de livraison par jarres et boxes en 45 minutes basé à Londres, qui connaît le succès auprès de 150 hôtels ! « Bien sûr la carte de la cuisine française donne un coup de main, mais c’est surtout la flexibilité de notre solution, avec une rétribution par commission aux hôtels, qui a plu », nuance le cofondateur. Ce n’est pas un hasard si l’Institut Paul Bocuse, école de management de l’hôtellerie-restauration et des arts culinaires, vient d’inaugurer une spécialisation entrepreneuriat. « Sur 150-200 étudiants par promotion sortante, 20 à 30% créent leur société », rappelle Dominique Giraudier, DG de l’institut qui a aussi créé en 2011 un incubateur. Pas de doute, il se passe quelque chose au pays des plats mijotés et des hôtels clinquants. Ces univers redevenus glamours attirent une nouvelle génération d’entrepreneurs venus avec la ferme volonté de les revisiter. « Il y a 20 ans la mère de famille cachait que son fils faisait carrière dans la restauration ou un commerce de bouche. C’est l’inverse aujourd’hui », ironise Olivier Faure, associé dans l’Echappée Bière, première agence de tourisme et d’évènementiel brassicole (1). Et l’entrepreneur lillois d’observer une nouvelle vague de jeunes profils s’intégrant bien dans le paysage : « Nul conflit avec les vieux brasseurs à l’ancienne qui affectionnent les produits classiques. De jeunes hipsters débarquent pour monter des micro-brasseries différentes, créant des bières osées, très houblonnées, très amères par exemple. Mais tout le monde a compris que toute la filière profitait de cette diversité. » Coffee shops communautaires, restaurants décalés et avant-gardistes… la liste est longue de ceux qui revisitent à leur manière un véritable art de vivre à la française.

Fast-good et émulation

« Parcourir la rue du Faubourg Poissonnière à Paris permet de prendre conscience du foisonnement de nouveaux concepts. La restauration standardisée a des soucis à se faire », constate ainsi Dominique Giraudier. Ces nouveaux arrivants doivent répondre à l’évolution des modes de vie des consommateurs, et donc bouleverser les codes historiques des 15 dernières années. « Bien sûr l’influence de la digitalisation a joué. Mais les plateformes de livraison, de réservation ou de mise à disposition de repas concoctés par des grands chefs ne sont que des effets collatéraux », entrevoit Dominique Giraudier qui a constaté une véritable industrialisation durant les 20 dernières années. « Au vu des nouveau profils d’élèves et des concepts qui émergent, je dirais que nous sommes entrés dans une ère de post-industrialisation. » Et la rupture n’est pas forcément technologique. Ces jeunes innovent pour proposer de nouvelles expériences à des gens qui ont de moins en moins le temps, à l’exemple du restaurant Jumble récemment inauguré au cœur de Lyon par deux anciens de l’Institut Bocuse également : au programme une nouvelle forme de service. « Il fallait faire des économies dans les process. Nous posons donc le plat sur la table pour que les gens se servent, ce qui limite les déplacements des serveurs. La nourriture peut être amenée pour deux tables de six en un voyage, grâce à cette planche de service qui possède des poignées et se replie quand on pose un plat et des cocottes d’accompagnement, mise au point conjointement avec la Cité du Design de Saint-Etienne », explique le cofondateur Arnaud Boukez qui propose un plat à 8,5 euros et une entrée à 4 euros… Une accessibilité qui oblige à innover, avec cette idée d’entrée et de plat du jour uniques constitués de produits frais de saison et ces grandes tables. Des inventions de logistique et de marketing qui n’empêchent pas ces nouveaux explorateurs d’être intransigeants quant à la qualité des produits. « Nous concentrons nos efforts sur la marque, le packaging, la communication, mais sans jamais oublier la qualité des ingrédients. Notre yaourt à la vanille, par exemple, est un format de distribution atypique au kilo et sous la forme d’un seau pour le côté convivial. Mais aussi un produit réalisé grâce à l’infusion de vraies gousses de vanille de Madagascar, et non pas d’arômes artificiels », illustre Augustin Paluel-Marmont, cofondateur de Michel et Augustin. « Simples, sains et savoureux », tels sont les termes employés par Régis Halbert, directeur du développement de la franchise Pitaya qui excelle dans la tendance street food d’influence Thaï en France. Ce petit restaurant de 18 mètres carrés ouvert en 2010 à Bordeaux, proposant 14 plats thaï, a trouvé d’une part ses clients pressés et avides de retrouver des saveurs extrême-orientales saines et sans gluten, et d’autre part ses entrepreneurs franchisés. Et Olivier Faure d’évoquer ces jeunes chefs qu’il côtoie à Lille dans le business : « Ceux-ci mettent peut être leurs plats sur Facebook, mais la sensation est juste merveilleuse quand on les goutte ! »

Entrepreneurs futés

Magiciens de l’effet gustatif ? Certainement, mais aussi véritables entrepreneurs qui ont les pieds sur terre. « On le voit dans ces brasseries créées récemment, par des moins de 40 ans ou des seniors en reconversion. Tous viennent avec leur bagage financier et marketing », observe Olivier Faure, qui organise des circuits dans le Nord et propose des animations autour de la bière lors d’évènements d’entreprise. Lui-même a de nouveaux projets en tête, comme cette plateforme de réservation de visites de brasseries. « Grâce aux nouvelles technologies, notre vision sera d’emblée européenne », précise l’associé de l’Echappée Bière. Une ouverture internationale qui résonne comme une constante. Damien Marty de Room Seasons l’illustre : « Notre étude de marché européenne nous a montré qu’il était judicieux de commencer à Londres : deuxième ville en nombre d’hôtels, taux d’occupation très élevé, voyageurs d’affaires plus à même de solliciter le room service nombreux, ticket moyen de dépenses élevé, et surtout climat pluvieux qui engage les gens à rester dans leur chambre. » Et l’entrepreneur de s’étendre désormais à Paris, Francfort et Bruxelles. Autre point fort de ces nouveaux profils, le courage de la créativité. « On ose en cuisine et tout autour en France. Nous n’avons pas racheté un fonds de commerce et avons commencé dans un local », rappelle Arnaud Boukrez de Jumble. L’art de la débrouille et celui de l’imagination doivent désormais se rejoindre. « Nous nous cantonnions au room service au début, puis nous nous sommes diversifiés dans les petits déjeuners, et dans le “grab & go” aux réceptions (salades et sandwiches) », énumère Damien Marty de Room Seasons. Autre lieu, même état d’esprit à Dijon, où Yann Lavigne a repris la Fromagerie Porcheret qui faisait référence de longue date mais périclitait. Sollicitant de nouveaux fournisseurs et soignant l’affinage, il est passé à l’offensive par des fromages lointains comme le « Shropshire Blue », intrigant par sa couleur et sa forme, le « Pecorino Toscano », tomme de brebis sèche, ou encore l’Irlandais « Porter Cheese » à base de bière brune. Il se risque aussi aux mets cuisinés : « Dans mon laboratoire sont concoctés tzatziki, yaourts, Panna cotta, cheese cakes, chèvres aromatisés avec coulis de fruits… L’univers du fromage se découvre. A nous de tisser des liens, d’organiser des dégustations gratuites, de solliciter la curiosité. Nous essayons aussi d’instaurer des à-côtés comme les crackers anglais, bricelets suisses, bières et cidres, confiture du Pays Basque pour accompagner brebis et chèvres… », décrit ce grand créatif, selon qui la population, avide de proximité et de nouvelles expériences, encourage l’imagination.

Volonté de revisiter la tradition

Le chef étoilé Thierry Marx résume ce nouvel état d’esprit qui ne confond plus conventions et traditions : « Le talent est de désobéir. Mais en parallèle, tous les jours, il faut entretenir le geste. Être franc-tireur, oui… à condition de maîtriser les codes ». Message reçu pour Nicolas Julhès, qui a réussi à ouvrir dans le Xème arrondissement de Paris, à côté de l’épicerie gastronomique familiale rue du Faubourg Saint-Denis, la Distillerie de Paris. « Nous sommes toujours en quête du bon et de l’esthétique, loin des tendances marketing. Mais nous restons aussi ouverts aux collaborations atypiques pour innover. Nous ne voulons pas nous enfermer dans des traditions sclérosantes. Prenez l’exemple des fûts : les gens croyaient que nous allions travailler avec des fûts d’occasion hérités de Maisons anciennes, comme cela se pratique dans le whisky. Mais nous avons passé un accord avec le tonnelier Seguin Moreau qui nous en a concoctés des plus petits que la moyenne, adaptés à la micro-distillerie. Le volume bois différent fait donc varier le goût », déclare ce passionné, avouant s’inspirer du Cognac, « où la tradition de distillerie date de cinq siècles ». Le Galabé est à l’origine un jus de canne concentré de la Réunion, dont la recette a été quelque peu oubliée. « Ce breuvage est intéressant aromatiquement, nous le diluons et le distillons ensemble, en faisant du co-branding, pour créer le premier rhum de Paris », ajoute Alexis Rivière qui a fondé la société Payet & Rivière du nom de ses père et grands-père, important du sucre et travaillant avec de nombreux chefs étoilés. Des créatifs donc qui suivent plutôt leur instinct, leur sensibilité pour ensuite utiliser de la technique.

Autre manière de communiquer

Ce vent de fraîcheur tient aussi au fait que ces food entrepreneurs sont de plus en plus accompagnés. « Notre communication est externalisée, pour la tenue de Facebook, Instagram, TripAdvisor… Il nous faut rester restaurateurs, pour être plus crédibles vis-à-vis de nos partenaires franchisés », assure Régis Halbert chez Pitaya. Il est aussi plus facile qu’il y a 15 ans de transmettre une passion pour les bons produits. « Le contexte a changé. Au salon Omnivore nous avions l’impression d’être le G8 de la nourriture, le centre de la planète. Les gens s’y intéressent vraiment, redécouvrent le patrimoine, le bon et l’élégant », remarque Nicolas Julhès de la Distillerie de Paris, dont l’histoire et le lieu insolite de production ne laissent pas insensibles. Et l’effet communautaire marche plein, avivé par le financement participatif par exemple. « Le crowdfunding n’est pas une simple lettre au Père Noël, nous avons mené une campagne sérieuse deux mois durant, récoltant 40000 euros sur KissKissBankBank. Cette opération a aussi permis de constituer une communauté de sympathisants au-delà des frontières, aux Etats-Unis par exemple », décrit le champion des flavoured vodkas et autres Brandys. A l’Echappée Bière, Olivier Faure est aussi passé par le crowdfunding pour lancer ses boxes cadeaux Zyteo de dégustation de bières, afin d’activer les « bières geeks ». Nul doute donc que de nouvelles générations frappent à la porte de la restauration, des commerces de bouche et de l’hôtellerie. « Sensibilité à l’environnement, volonté de chasser le gaspillage et de vivre des expériences communautaires sont leurs caractéristiques », remarque Dominique Giraudier, qui organise en septembre le premier Start-up Week-end de l’Institut Paul Bocuse…

Regroupements et organisations

La « Generation Food »

La nouvelle vague de food entrepreneurs est-elle prête à s’organiser, voire se fédérer ? Telle est la question. « Les mentorings par des top level managers sont les premiers rapprochements », cite Damien Marty, qui a fondé Room Seasons, système de room service dans les hôtels. Un collectif d’entrepreneurs du culinaire s’est constitué et cherche à échanger des bonnes pratiques et faire connaître ses initiatives. L’association “Génération Food” regroupe 11 food start-up, de la bière à l’huile d’olive, en passant par la pâtisserie, le snacking et même les insectes comestibles : Kalios, Carré Suisse, L’Atelier des Lilas, Mariette, Jimini’s, Nubio, Woos, Payet & Rivière, Gallia, Borderline et Matahi ont pour vocation de promouvoir l’entrepreneuriat dans l’agroalimentaire. « Nous avons ce même esprit communicatif et collaboratif, propre à certains entrepreneurs évoluant dans l’alimentation », remarque Alexis Rivière, membre du collectif. Outre le fait de créer des synergies et de louer en commun des espaces aux salons professionnels, le but affiché est aussi de former un contre-pouvoir face aux géants de l’agro-alimentaire.

(1) L’échappée Bière va par exemple approvisionner en bières artisanales le festival d’art de rue Kermezzo(o) de Bruxelles les 31 avril et 1er mai.

Julien Tarby

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