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Comment entretenir la flamme professionnelle qui nous anime sans pour autant qu’elle nous consume ? De nouveaux enseignements.

Le stress vous a changé...et il n'y a pas que vos proches qui vous le disent.
Le stress vous a changé…et il n’y a pas que vos proches qui vous le disent.

En 2013, un stagiaire à la City, mourrait d’épuisement après 72h de travail sans interruption. Au Japon, le « karoshi » a été formalisé au début des années 1980 et signifie la mort subite, conséquence d’un stress et d’une surcharge de travail prolongés. Le mal est donc ancien. Au début des années 1990, le Bureau International du Travail (BIT) jugeait que ledit stress était devenu l’un des plus graves problèmes de santé de notre temps. Tandis que le Danemark signait un accord sur la prévention du stress au travail durant les années 1970, force est de constater que la France a ouvert les yeux tardivement sur ces risques psychosociaux.

Une première vague de harcèlements moraux, puis la série de suicides chez Orange ont tous deux conduit à une loi réprouvant le harcèlement moral au travail en 2002. 2008 sera l’année de la signature par l’ensemble des partenaires sociaux d’un Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la prévention du stress au travail. Malgré ces mesures, l’Institut de veille sanitaire (INVS) soulignait que près de 500 000 salariés se trouveraient dans un état de souffrance pathologique liée au travail, à savoir la dépression, les troubles anxieux et le burn out alors que le cabinet Technologia estime quant à lui  à trois millions le nombre de Français en situation de pré-burn out ou de burn out. Quelles nouvelles méthodes existent pour détecter la maladie ? Peut-on dire stop avant qu’il ne soit trop tard ?

Impossible diagnostic ?

Une combustion des ressources internes provoquée par l’activité professionnelle. Tel est le concept de burn out théorisé pour la première fois par le psychanalyste Herbert Freudenberger en 1971 pour décrire la perte d’enthousiasme de bénévoles consacrant leur temps à aider des usagers de drogues dures. Le flambeau théorique sera repris par la psychologue Christina Maslach qui, au début des années 1980, définit le burn out professionnel comme un état psychologique et physiologique résultant de l’accumulation de facteurs de stress professionnels s’inscrivant dans la durée. Malgré l’effort scientifique, le diagnostic reste toujours flou en 2016. « Les symptômes physiques pris en compte pour le burn out ne signifient rien s’ils sont pris indépendamment. D’autant que certains symptômes se chevauchent avec d’autres maladies. Cette maladie ne fait pour l’instant pas l’objet d’une définition médicale et est exclue des deux nomenclatures qui font office de bible (deux normes pour les troubles mentaux : Cim-10 et DSM-V). Il en résulte une confusion et un manque de hiérarchie entre les causes et les effets de la maladie. Nous œuvrons pour que le burn out ne soit pas qu’un enseignement en matière de management et devienne aussi une discipline médicale », explique Léa Riposa, présidente de l’AFBO (Association France burn out). L’OVAT (Observatoire de la vie au travail) pointe les mêmes difficultés : « Avec plus de 130 symptômes, il est complexe de procéder à une démarche étiologique », vulgarise Pierre-Eric Sutter, psychothérapeute et président de l’OVAT.

Toutefois au rang des professions les plus touchées, on retrouve les patrons de TPE, les professions de santé, le corps enseignant, les forces de l’ordre et les agriculteurs. « La personne en burn out continue souvent de travailler. Le travail reste un élément important dans son idéal de soi et son écologie psychologique. L’idéal de soi agit comme un tyran intérieur qui sacrifie tout le reste pour ses valeurs », précise Pierre-Eric Sutter. A ce sujet, l’OVAT recense que deux français sur trois qualifient la valeur travail comme positive mais ressentent de l’insatisfaction professionnelle. « Autrement dit, une idéalisation forte ajoutée à de l’insatisfaction mènent au sentiment de désillusion », précise Pierre-Eric Sutter.

La technologie pour lutter contre le stress ?

Dans la mouvance du « quantified self », la start-up allemande, Soma Analytics commercialise Keela qui permet selon ses créateurs un auto-diagnostic sur l’état de fatigue professionnelle de ses utilisateurs. L’idée ? Collecter des données telles que la qualité du sommeil, la coordination motrice ou les variations de la voix. Une fois collectées, les données sont ensuite analysées par un algorithme élaboré selon des critères psychologiques et psychiatriques utilisés pour les diagnostics évaluant le stress d’un patient en milieu médical. La traduction de ces données fait ensuite l’objet de plusieurs tableaux de bord. L’outil se veut préventif en indiquant les changements de comportements pour éviter l’épuisement professionnel et faciliter la résilience mentale. En France, Wittyfit entend également monitorer la qualité de vie au travail. Ce faisant, la jeune pousse a développé une plateforme innovante qui a pour objectif de mesurer en temps réel le bien-être physique, celui au travail ainsi que des données de nature psychologique. Concrètement, Wittyfit mesure en temps réel des indicateurs, sortes de mètres étalons qui établissent un seuil de qualité de vie et détectent par conséquent toute dégradation de ces indicateurs. La plateforme peut ainsi prévenir les responsables et cibler les axes d’amélioration. Le service Wittyfit entend également dispenser des formations sur les habitudes comportementales en lien avec la santé des salariés. La solution a été conçue en collaboration avec le CHU de Clermont-Ferrand et permet ainsi d’impacter la RSE et d’en faire un levier incontournable de la performance au sein des entreprises.

Autre tendance enfin, des chercheurs ont adapté un outil d’analyse comportementale des sportifs – pour les retardataires, la rédaction vous recommande le visionnage du film le Stratège – au monde de l’entreprise afin d’accroître la productivité des salariés. Notamment insufflée par le MIT, l’idée a accouché de badges dits sociométriques. Si l’outil souhaite au départ comprendre les interactions via capteurs bluetooth pour analyser et encourager la productivité des salariés, l’ensemble de la data croisé avec des enquêtes de comportement a permis aux sociétés récipiendaires de modifier leur manière de travailler tant au niveau de l’organisation des bureaux que de la manière de collaborer au sein de l’entreprise. Cas concret, le centre d’appel de Bank of America a enregistré une hausse de la productivité de presque 20% tandis que le niveau de stress baissait de 19 points.

Que faire quand il est trop tard ?

Deux recours sont désormais possibles. Soit le salarié opte pour une démarche qui prouve le manquement de l’entreprise à sa sécurité et à son intégrité. « Notons à ce sujet que la jurisprudence du 25 novembre 2015 a fait évoluer la loi en passant d’une obligation de résultats à une obligation de moyens renforcée, utilisée dans le cadre du droit de la sécurité sociale pour s’assurer que l’employeur n’a pas commis une faute inexcusable », précise Me Thibaud du Manoir de Juaye, fondateur du cabinet éponyme.

Soit la personne en situation de burn out peut décider de faire reconnaître sa souffrance au travail comme maladie professionnelle. « En l’occurrence, la reconnaissance de la maladie professionnelle est soumise à l’avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Pour le burn out, la maladie ne figure pas dans un tableau des maladies professionnelles, mais il peut être reconnu en tant que tel s’il est essentiellement et directement causé par le travail et qu’il a entraîné une incapacité permanente d’au moins 25 % », complète l’avocat.

Outre les devoirs de prévention et le besoin de détection de signaux faibles, l’entreprise, une fois le burn out avéré, doit prendre les mesures idoines. Me Ribeiro, du cabinet éponyme spécialisé dans le droit du travail, poursuit : « Si dans la plupart des cas un départ négocié avec l’employeur s’impose, certains de mes clients veulent rester dans la structure mais ne veulent pas revivre ce qui les a mis en arrêt de travail. Un aménagement ou un changement de poste et le renforcement des effectifs font partie des solutions envisageables».

Geoffroy Framery

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