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Terminé le temps où le top management assénait d’immuables directives à l’égard des collaborateurs. Le chef, c’est moi. Et j’ai toujours raison. Révolution numérique oblige, l’époque est à l’agilité. Un bon leader s’adapte et apprend… l’humilité. Un changement de paradigme profond qui en dit long sur l’évolution de la société.
L’humilité n’est pas seulement une posture, mais une réponse à un contexte. Il y a vingt ans, la trajectoire économique d’une entreprise pouvait s’écrire. Le savoir était alors la clé du pouvoir du manager. Son rôle était de savoir garder le cap, coûte que coûte. Les règles étaient immuables. Le contexte est aujourd’hui totalement différent », analyse Emmanuel Buée, directeur de l’activité Management de transition au sein du groupe H30. Donc, le bon leader n’est plus celui qui garde un même cap durant des années, mais qui se montre capable de s’ajuster en permanence. « Il faut bien avoir à l’esprit qu’avec le développement de l’intelligence artificielle, les tâches routinières seront à l’avenir confiées à des robots. Les tâches qu’il ne sera pas possible de sous-traiter aux machines devront se confier à des profils à même de s’adapter constamment à leur environnement », explique Jérémy Lamri, auteur des Compétences du xxie siècle (Dunod). L’exigence d’efficacité ne se trouve plus dans le contenu, mais dans les processus. Du coup, les recruteurs sont en recherche de profils à même de provoquer l’inattendu pour innover. Il s’agit donc de chasser l’ego. Et de savoir accepter l’imprévu pour s’adapter sans cesse.
Chasser l’ego, un engagement du quotidien
Est-il possible de devenir humble ? Pas simple, répondent les experts en ressources humaines. « Les profils rigides ou contrôlant auront beaucoup de mal à devenir agiles. Ils seront tout à fait adaptés à des fonctions analytiques, mais s’épanouiront avec difficulté dans des postes qui exigent une remise en question permanente », explique Emmanuel Buée.
Il n’empêche, l’humilité en tant que trait de caractère se travaille au quotidien. À condition de prendre conscience de la nécessité de son degré d’humilité, démarche rare chez les cadres dirigeants. « L’ego est un moteur puissant d’ascension sociale. C’est lui qui propulse aux postes les plus élevés. Et du reste, le pouvoir et la sécurité participent à entretenir l’ego. Les managers qui arrivent aux plus hautes fonctions sont ainsi persuadés qu’ “ils ne sont pas arrivés là par hasard”. D’où leur incapacité à se remettre en question », explique Jérémy Lamri. À moins de le décider, très fortement, au prix d’un effort. « Faire la chasse à l’ego est un engagement du quotidien », confirme Jérémy Lamri. Schéma : plus un manager rencontre de succès, plus son ego se développe. Et plus son adaptation aux nouveaux critères de management devient problématique.
Le conseil des professionnels : regarder attentivement à quelles fins l’énergie est employée. Au service d’un projet ? Alors l’individu s’inscrit dans une démarche d’humilité. Pour maintenir un titre ou une position ? C’est l’ego qui a pris le dessus.
Commencez par repérer les « signes extérieurs d’ego », ces marqueurs sociaux que sont la place de parking dédiée, les bureaux privés de plus en plus grands, la douche à côté, le chauffeur…). Le Dr House qui voulait sa place près de l’entrée du Princeton-Plainsboro Teaching Hospital fait figure d’inadapté à côté des big boss de la Silicon Valley qui renoncent même à un bureau personnel ! Marqueurs à bannir dans une démarche d’humilité.
Vers la fin du jeunisme ?
Quels profils sont donc les plus aptes à adopter une démarche d’humilité ? Pour Jérémy Lamri, « il n’existe pas d’effet générationnel sur le sujet de l’humilité. » Emmanuel Buée, lui, est prêt à parier que les managers les plus expérimentés sont davantage disposés à se remettre en question. « Les managers expérimentés qui ont réalisé la majorité de leur potentiel n’ont plus d’enjeu personnel. Ils montrent alors une plus grande capacité à prendre des risques. Je constate qu’il existe chez les cadres seniors une forte stabilité émotionnelle et une vraie capacité de remise en question. Les plus jeunes, en revanche, auront plus de mal à lâcher des systèmes qu’ils connaissent et dans lesquels ils se sentent “confortables”. »
Une humilité à manier avec précaution
Attention ! Se faire humble ne veut pas dire jouer à se rabaisser. Au risque de se faire dévorer ! Pour Jérémy Lamri, « une démarche d’humilité ne portera ses fruits que dans le cadre d’une organisation bienveillante et dont les plus hauts dirigeants pratiquent eux-mêmes la chasse à l’ego. » Exemple tout proche : au sein de la tour de la Défense où se déploie Engie, ex-GDF Suez, l’étage supérieur n’abrite plus le top management. Là où s’étalaient moquette et bureaux dits de direction s’étend un espace de pause équipé. Et tous les étages, tous les collaborateurs y ont accès… Ҫa gaze à tous les étages.
Chloé Pagès