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L’autodidacte en 2015, véritable phénomène de société ou conte pour adultes ?
En Afrique, la tribu des Baoulé livre à eux-mêmes les enfants considérés comme dotés des droits du génie. Pas question d’avoir un mentor, ni de rentrer en apprentissage. Tels des ascètes, ils apprendront par eux seuls l’art de la sculpture ou celui de la cire perdue pour façonner des masques rituels, festifs ou décoratifs et feront autorité en matière d’art traditionnel une fois de retour dans leurs pénates. L’autodidaxie s’apparente à cette manière de créer ou d’apprendre par une voie non conventionnelle. Et les exemples sont pléthoriques. Jimi Hendrix ou plus récemment Matthew Bellamy, leader de Muse. Steve Jobs ou Gérard Mulliez, à la tête de l’empire Auchan. Ghislaine Arabian, deux macarons Michelin au compteur et jury du médiatique «Top Chef» ou encore par Jean-Marc Borello (cf notre rubrique électron libre). Tant de noms plus ou moins évocateurs qui tracent des trajectoires filantes non ornées de diplômes ou d’un parcours classique. Si bien qu’à l’image d’un conte pour adultes, l’histoire heureuse de l’autodidacte, celle du (de la) self made (wo)man, s’impose à nous. Le prestige de leur vécu ayant vaincu le déterminisme. Les figures connues de l’autodidaxie nous amènent à écrire une page supplémentaire d’une histoire contemporaine qui vante la méritocratie et critique avec véhémence les élites traditionnelles bardées de diplômes, profitant de réseaux puissants. Mais plus important encore, l’idolâtrie de ces nouveaux mythes sociaux reflète l’envie contemporaine d’une société à l’égard du savoir et de son accès à l’éducation, à la formation ainsi que des possibilités d’ascension sociale permises par le monde de l’entreprise et l’entrepreneuriat. L’occasion pour la rédaction d’EcoRéseau de dresser le portrait d’autodidactes faisant référence dans leur secteur d’activité et de se demander dans quelle mesure la France de 2015 est un terreau propice à l’émergence de ces profils atypiques, dont le moteur essentiel demeure leur seule volonté de réussir. Enquête.
Longtemps décriés, maintenant récompensés
Autrefois considérés comme des usurpateurs, les autodidactes ont reçu leurs lettres de noblesse par une France contemporaine et par ses auteurs qui ont alimenté une certaine mythologie. Flaubert, Sartre ou encore Zola. Que dit donc notre époque sur ses «Georges Duroy» ? Les années 2000 nous montrent déjà que le monde des autodidactes reste dans son immense majorité un milieu d’hommes. 2015, marquée par le sceau du néolibéralisme, encense aussi l’autodidacte parce que l’homme doit, de fait, faire preuve d’adaptabilité. L’agilité n’est-elle pas un terme que l’on nous sort à toutes les sauces ? Qu’il s’agisse d’entrepreneuriat ou de virage de carrière… Et ce d’autant plus en période de crise où l’étroitesse du marché du travail oblige nos populations actives à actualiser leurs connaissances et cultiver leur jardin pour en faire jaillir un élan créateur de nouvelles compétences qui accoucheront d’un nouveau métier. Vous l’aurez compris, l’autodidacte se définit, non pas tant par son manque de diplôme mais plus par sa capacité à apprendre pour créer. Ainsi se pose rapidement la question du rapport entretenu entre la société et les institutions avec l’éducation et la formation. « Le terme d’autodidacte désigne davantage une attribution identitaire. C’est une manière d’essentialiser un personnage, remarque Hélène Bézille-Lesquoy, maître de conférences, chercheur au Laboratoire Éducation et Culture de l’Université Paris VIII. D’autant que nous le sommes tous à des degrés divers. L’enjeu actuel de l’autodidaxie consiste entre autres à se pencher sur la différence des parcours scolaires par rapport aux années 1960. L’école n’est plus la même, la formation pour adultes non plus. Nous sommes aujourd’hui confrontés à la question du décrochage scolaire et à la fragilisation des institutions académiques. Dans ce contexte, l’autodidaxie et les pratiques voisines sont invoquées telles des bouées de secours. » Dans l’air du temps ? Apparemment oui. D’autant que les gouvernements successifs désentravent les chemins vers l’entrepreneuriat via les législations et dispositifs incitatifs connus de tous. Les institutions ne les boudent pas. Au contraire. Mais s’agirait-il d’une certaine manière d’avouer un manque de reconnaissance de nos diplômes – hors cursus d’excellence – dû à l’inflation de ces derniers et à l’obtention du Baccalauréat chaque année par plus de 80% d’une tranche d’âge, indépendamment du socle de compétences acquises ? Rien n’est moins sûr. « Nous sommes confrontés à un marché où il y a une dévalorisation du diplôme, avec une problématique majeure pour la plupart des Bac +5 qui éprouvent des difficultés à trouver un poste correspondant à leur qualification. Aujourd’hui, le diplôme moyen n’assure plus le poste », constate Laurent Hurstel, directeur France de Robert Walters. Autrement dit, louer l’autodidacte pourrait signifier que la capacité à s’insérer dans le monde professionnel pour les futures générations ne dépend que de leur capacité à s’auto-former. En attestent par exemple « les Victoires éponymes fêtées annuellement à l’Assemblée nationale et qui décernent un prix à un entrepreneur non diplômé mais reconnu », illustre Hélène Bézille-Lesquoy.
Nouveau modèle de pédagogie pour accompagner l’autodidaxie ?
Si l’autodidacte se définit par sa capacité à se former lui-même hors de l’école, du lycée, des établissements d’enseignement supérieur et des chemins tout tracés, que penser des facilités offertes par le numérique, l’apprentissage dans le milieu associatif, la VAE, l’université du temps libre, l’école de la seconde chance ? Certes le Web exige de trier le bon grain de l’ivraie et modifie le rapport au savoir, qui s’apparente davantage à de la consommation d’information plus qu’à sa réelle maîtrise, mais il autorise une autodidaxie protéiforme et de qualité inégale. Le Big Data sur Wikipédia versus le dernier Mooc accouché par une grande école. Se dessine donc selon les dires de Georges Le Meur, maître de conférences à l’Université de Nantes, le portrait d’un néo-autodidacte(1). Et d’une fracture entre ceux qui profiteraient des bienfaits de la Toile et ceux qui n’auraient pas cette capacité à s’y mouvoir avec recul. « Malgré une accélération de l’accès à la connaissance, une sorte d’alphabétisation numérique est nécessaire. Il ne suffit pas d’avoir Internet », note Hélène Bézille-Lesquoy. Ce qui explique pourquoi le nouveau modèle de pédagogie tel que conçu dans le cadre de l’école primaire ou celui des grandes écoles via le blended learning (mix entre le distanciel asynchrone et des temps de formations en présentiel plus qualitatives) devient en quelque sorte celui de l’accompagnement à l’autodidaxie.
L’ascension sociale, toujours motrice ?
« La figure de l’autodidacte se structure progressivement au cours du XIXe siècle alors que se développe dans le monde ouvrier une autodidaxie «émancipatoire», comme en témoignent les récits d’écrivains. Puis, la figure de l’autodidacte retrouve une certaine actualité dans les années 1960, quand les classes populaires se trouvent engagées dans un mouvement de promotion sociale », analyse Hélène Bézille-Lesquoy. Encore aujourd’hui, la reconnaissance des autodidactes ne passe pas seulement par le biais de la création d’entreprise, ni par leur talent artistique. La VA (Victoire des Autodidactes, créée par le Harvard Business School Club France en partenariat avec le groupe Mazars) reconnaît une majorité d’entrepreneurs parmi ses lauréats depuis 1989. Mais pas seulement. Reza Joomun, Senior Manager Mazars, représentant du groupe pour ce trophée, explique : « Gérard Dorey fut lauréat national il y a deux ans – aujourd’hui au comité exécutif du groupe Carrefour. Il a su grimper les différents échelons sans fondamentaux théoriques. S’il est difficile de devenir entrepreneur, être dirigeant d’un groupe du CAC 40 sans diplôme semble l’être encore plus au regard de l’importance des études, même avec 20 ans ou 30 ans d’expérience ». Moins notoire que la figure du créateur d’entreprise parti de rien, l’autodidaxie peut s’exprimer aussi dans la reconnaissance de l’expertise. Ce qui peut se concrétiser en d’autres termes par le passage à un statut cadre sans petit bout de papier passé par les rotatives de l’imprimerie nationale. « Si en 2008, 72% des cadres avaient un niveau de diplôme supérieur au Bac, il faut souligner qu’ils étaient 52% en 1985. L’ascenseur fonctionne toujours car il y a toujours une proportion de non cadres qui le deviennent, mais ces deux dernières années on constate une baisse notoire du passage des non cadres au statut de cadres. De 45000 à 50000 en moyenne ces dernières années, nous sommes tombés à un chiffre de 40000 », analyse Pierre Lamblin, directeur des études à l’APEC. Cette question de la promotion sociale est sujette à de nombreuses variations selon les secteurs d’activités. « Les banques et le secteur des assurances bénéficient du plus fort taux de promotion interne encore aujourd’hui, en raison d’un secteur qui traditionnellement fidélise et profite d’entreprises de tailles importantes. De même le BTP est aussi un secteur au taux de promotion fort mais qui s’explique par la faible attractivité du secteur », complète Pierre Lamblin. Les professionnels du recrutement s’accordent aussi sur certains métiers qui se prêtent davantage à accorder leur chance aux autodidactes. A l’image des secteurs du retail, de la logistique ou encore de la fonction commerciale. « Si la filière commerciale s’est structurée, ce type de métiers exige avant tout des objectifs de performance qui permettent aux autodidactes de s’exprimer », note Catherine Dervaux, directrice des grands projets de recrutement et Assesment chez Menway. A défaut de diplômes, certains autodidactes reconnaissent également la chance d’avoir été pris sous l’aile de mentors. A l’image de l’actuel maire de Boulogne-Billancourt, autrefois animateur et chef d’entreprise puis député qui a rencontré sur son chemin André Santini et Michel Péricard. « Deux hommes qui m’ont mis le pied à l’étrier », confie l’édile de Boulogne-Billancourt.
Un besoin de construction de mythes contemporains…
« Aujourd’hui, se pose davantage la question de l’usage du terme plutôt que de son concept », renchérit Hélène Bézille Lequoy. On préférera d’ailleurs parler d’auto-formation et d’auto-apprentissage que d’autodidaxie lorsqu’il s’agira de décrire le processus. » La persistance du thème de l’autodidacte dans le milieu des affaires, épouse les traits du (de la) self made (wo)man. L’idée étant de donner un discours plein d’abnégation pour faire du self made man une personne au cœur de l’action. L’autodidaxie serait en quelque sorte la figure de celui qui innove. « Notre handicap principal est aussi notre force. Nous nous sentons plus redevables que les diplômés. Ce manque de diplôme nous le compensons d’ailleurs par du travail tout en cultivant un esprit pragmatique qui a les pieds sur terre. C’est une autre manière d’appréhender les dossiers. Et notre point de vue intéresse parce qu’il diffère des autres profils formatés par les formations d’excellence », remarque Pierre-Christophe Baguet. En d’autres termes, la réussite relayée des autodidactes « garde souvent une part d’ombre (les dons, le hasard, la chance) tout en s’expliquant par des qualités ordinaires : ardeur au travail, sens des relations, goût pour l’action par exemple », commente Hélène Bézille. D’où une valeur qui nous est chère à tous, l’aspiration à l’autonomie que nous ressentons et admirons à travers la figure de l’autodidacte. L’autodidacte ressemble ce faisant au héros de la mythologie grecque, « il se mesure à l’arbitraire du pouvoir, il sait résister, refuser, se rebeller au prix de grandes souffrances. C’est un peu Prométhée volant le feu à Zeus », complète la spécialiste. Pourtant ne nous méprenons pas, avec la puissance de la figure de l’autodidacte dans la mesure où l’autodidaxie est un mode d’apprentissage commun à tous et constitue un « mode d’apprentissage que nous «activons» comme une ressource en quelque sorte première quand les ressources externes ne nous suffisent pas, ne nous conviennent pas, ou, pour des raisons diverses, viennent à manquer, quand nous sommes par exemple contraints d’inventer des solutions inédites à un problème particulier », complète la spécialiste. Et Laurent Hurstel de compléter avec son corollaire en matière de formation : « Au regard des prix des formations, il existe une vraie dichotomie entre investissement initial et retour sur investissement. Le modèle classique évolue et les nouvelles générations ne veulent pas reproduire le même problème ».
… et les dépasser par la reconnaissance d’une expertise avérée
Les spécialistes de la question mettent en exergue le fait que l’autodidaxie fleurit volontiers aux lisières des savoirs non encore contrôlés. Ce qui explique que le chemin de l’autodidaxie est davantage une seconde peau pour les chercheurs, artistes, innovateurs et bien sûr les entrepreneurs. « Mais ces pratiques ont encore une faible lisibilité et sont peu valorisées parce qu’elles ne relèvent pas directement du champ d’intervention des institutions d’éducation et de formation. Elles sont de ce fait peu évaluées, ne font pas l’objet de financements ni de discours autorisés de légitimation », explique Hélène Bézille-Lequoy. Malgré tout, les travaux anglo-saxons ont contribué à redorer le blason des autodidactes en démontrant le potentiel formateur de l’expérience. Autrement dit, les autodidactes possèdent un art de faire qui se concrétise par un rapport à l’environnement souple et ingénieux et par la capacité à tirer parti de l’incertain et de naviguer à vue. « Une conscience présentielle, conceptualise Hélène Bézille-Lequoy, qui mobilise aussi un certain rapport au savoir : goût pour la recherche et l’exploration, intuition, tolérance à l’incertitude ; propension à faire des synthèses inattendues entre différents champs de savoirs ; capacité à mettre en réseau des ressources diverses ; développement de capacités «méta-cognitives». » Et Jean-Claude Bourrelier, fondateur de Bricorama, de témoigner : « Nous sommes des exceptions. Les autodidactes cherchent avec énergie une voie qui ne leur est pas tracée et ils se fracassent souvent face à des portes fermées, ce qui exige pour réussir d’une grande capacité d’adaptation ». Il n’est donc pas surprenant de considérer l’autodidaxie comme une ressource importante au regard de la conjoncture actuelle… Les mœurs évoluent doucement vers une meilleure reconnaissance de ces qualités relationnelles. En particulier celles liées au soft skills. « Malgré une culture forte du diplôme en France, nos process de recrutement intègrent de plus en plus de l’assessment qui consiste à étudier en situation le comportement des candidats au-delà de leur(s) diplôme(s). Les autodidactes doivent ainsi valoriser leur CV en mettant concrètement ce dont ils sont capables : capacité à faire évoluer un chiffre d’affaires, développer un portefeuille… pour passer le premier filtre qu’est le tri de CV. L’assessment permettra ensuite de calibrer les candidatures », conclut Catherine Dervaux, directrice des grands projets de recrutement et Assesment chez Menway.
- Les nouveaux autodidactes, coordonnée par Georges Le Meur, revue française de pédagogie, 2000.
Geoffroy Framery
Bonjour je suis écrivain .Et méne des rechersches scientifiques dans divers domaines.Actuellement je m’intéresse à la notion de temps .Ou comment connaitre le temps réel à partir des letters de l’alphabet français.Ces découvertes ont un lien direct avec la géomancie,la génétique,les mathématiques,la biologie,etc.Présentement j’ai un cahier de 200 pages rien que sur l’étude des lettres de l’alphabet.Je recherche des partenaires pour publication et pour donner des conférences.Enfin ou puis-je avoir des financements pour poursuivre mes recherches.Je précise que je mene ces travaux en autodidacte.