Emmanuelle Duez : Néo-féministe Y

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Dépoussiérer les entreprises pour accueillir la génération Y, remodeler le féminisme moderne. Des défis alléchants pour cette serial entrepreneure d’énergie et de panache. Portrait d’une pile électrique de moins de 30 ans.

En toute simplicité, elle a cofondé à moins de 30 ans deux organisations, WoMen’Up et The Boson Project, par ses idées et sa force de conviction. WoMen’Up œuvre à la mise en place d’un triptyque génération Y, mixité et réseautage, au travers d’une association qui revendique d’être la première créée pour et par la génération Y. The Boson Project, qu’elle a lancé en 2012, se veut être un laboratoire de développement du capital humain, accompagnant la réorganisation d’entreprises pour mieux impliquer les salariés. Dans une démarche de co-création, des solutions ultra-innovantes visant à créer de la valeur et des valeurs en misant sur les individus sont élaborées afin de fabriquer l’entreprise de demain. Avec 15 salariés et une création de contenu toujours plus sérieuse, la société semble avoir gagné ses galons de légitimité. Et sa fondatrice aussi.

Précocité de conceptualisation et de création

Cette propension à créer très tôt tient peut-être au parcours éclectique de la jeune femme, qui se dit passionnée par l’observation des interactions en entreprise. Après la fac de droit pour devenir avocate, Sciences-Po pour espérer être commissaire, puis l’Essec, elle a parfait sa formation en Italie à l’université Bocconi à Milan, parlant aussi bien anglais, espagnol qu’italien. Cette ambassadrice pour la France de One Young World n’en n’a pas moins été désabusée au sortir de huit années d’études supérieures. « Comme beaucoup de jeunes de ma génération, je me suis retrouvée sur le marché du travail avec une certaine incapacité à m’adapter au moule de l’entreprise. Je me suis aperçue que ma quête du “quoi faire” n’était pas la bonne, qu’il valait mieux m’intéresser au “comment”. Je ne peux poser mes fesses derrière un bureau durant 12 heures par jour. Je suis faite pour être entrepreneure, j’ai besoin d’embarquer des gens avec moi, de mener des combats, des projets, de rencontrer de l’opposition », explique celle qui a décidé de s’emparer du sujet de l’entreprise sachant accueillir ce genre d’aspiration de la génération Y. « Je suis allée voir des DRH, des dirigeants pour les convaincre que cette réticence des jeunes diplômés est un signal annonçant que l’entreprise doit changer. » The Boson Project a grandi sous son impulsion, créant même un pôle recherche en interne, afin de produire de la data. « Il nous faut nous appuyer sur des faits pour amener la preuve d’obligation d’évolution aux directions. Avec leur accord nous transformons des salariés en interne en consultants. Nous ne faisons pas du consulting, pas du coaching non plus, mais du “corporate hacking” pour accompagner la transformation », résume celle qui attire désormais les dirigeants convaincus que l’entreprise traditionnelle est menacée. « Un client nous a dit que nous étions des “néo-syndicalistes”. Nous démontrons aux gens que si l’entreprise périclite c’est aussi leur faute. Nous les mettons en responsabilité », ajoute celle qui rencontre parfois une certaine résistance du corps social. Certains rejettent le fait de sortir de leur zone de confort, n’aspirent pas à changer ou à proposer de nouvelles solutions. Certains sont soulagés d’une telle évolution, d’autres sont dans la crainte et veulent conserver ce confort qu’ils ont acquis. « Des quadras ont respecté les statuts et la politique de l’entreprise auxquels ils ne croyaient pas, et refusent donc de tout oublier pour une organisation plus plate, plus technologique et plus basée sur la méritocratie. Il y a bien sûr un travail pédagogique à fournir, quasi militant », rappelle Emmanuelle Duez qui s’appuie désormais sur des enquêtes internationales menées par sa société. La stratégie consiste maintenant à convertir des ambassadeurs, un « cercle d’initiés ».

WoMen'Up, pour en finir avec le patron qui vole les idées de la petite jeune fraîchement arrivée...
WoMen’Up, pour en finir avec le patron qui vole les idées de la petite jeune fraîchement arrivée…

Caractère de battante

Ce beau tableau ne doit pas faire oublier des débuts chaotiques. « Je suis allée chercher deux jeunes femmes de WoMen’Up mais cela n’a pas fonctionné : démarrer une telle entreprise était un sacerdoce, et nous n’avions pas les mêmes volontés d’investissement. J’ai donc continué seule, en adoptant une autre stratégie : je me suis entourée de collaborateurs et non d’associés, avec une organisation beaucoup plus “flat” et une tribu quasi militante », synthétise l’entrepreneure qui a su rebondir. Ses antennes sont connectées sur la sociologie du travail. Peut-être en réaction à son histoire familiale, avec un père qui a été licencié à 50 ans. Son souhait est en tout cas d’incarner quelque chose par cet élan entrepreneurial. « Il est impossible de déterminer ce que nous ferons dans cinq-dix ans, mais nous produisons du contenu, avec des gens qui ont une idée sur l’entreprise de demain. En participant à des évènements comme le forum de l’économie positive au Havre, nous augmentons nos connexions. Notre destin est celui d’un think tank, ou plutôt d’un do-tank. Nous ne sommes en tout cas pas dans l’ESS, nous travaillons avec le Medef et les grandes entreprises », précise cette réserviste d’une enseigne de vaisseau 1ère classe de la Marine nationale, qui veut être sur le terrain et surtout éviter l’incantation.

Féministe engagée

WoMen’Up est en revanche une association. « J’ai été envoyée en mission dans un grand cabinet d’audit pour comprendre pourquoi les femmes n’accédaient pas à des postes à haute responsabilité. A 23 ans, je pensais comme beaucoup d’autres personnes de ma génération que la mixité était le combat de nos mères et grand-mères, qu’il s’agissait d’un non-sujet. Mais j’ai pu constater un plafond de verre, et finalement un véritable sujet de société : un tel blocage démontre une facette de ce que nous sommes. » La jeune femme établit un diagnostic : le phénomène découle de causes exogènes, comme la gouvernance, mais aussi endogènes comme les freins que s’inventent les femmes elles-mêmes, l’autocensure qu’elles se créent. « Or nous nous sommes aperçus que pour la génération Y le fait que tout le monde bénéficie des mêmes chances dans l’entreprise résonnait comme une évidence et un acquis. Il s’agit donc d’un problème générationnel avant tout. En outre le problème est de moins en moins éthique, et de plus en plus économique : les dirigeants doivent veiller à éviter de perdre des talents. » Les membres de l’association vont donc voir de grands patrons pour leur faire comprendre qu’ils doivent agir pour toute la génération Y et pas seulement les femmes, et que le jeu en vaut la chandelle pour des raisons pécuniaires avant tout. Là aussi des enquêtes à grande échelle ont été menées : « L’étude Mazars a été conduite dans 68 pays. Avec la fusée WoMen’Up, nous organisons un réseau d’élèves encore en études ou en première année de vie active, en leur faisant passer une formation sur le sujet, afin qu’ils “pollinisent” les entreprises dans lesquelles ils vont travailler », se réjouit la vibrionnante Y soutenue par de fameux mentors comme Joël de Rosnay, Aude de Thuin ou Marie-Laure Sauty de Chalon…

Julien Tarby

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