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C’est un torrent. D’histoires, de réussites, de défis. À 39 ans, Olivier Lefebvre dirige l’un des quatre pôles créatifs créés par Fred & Farid, l’agence initialisée en FF (Paris, Shanghai, Los Angeles, New York). La pub ? Yes, mais registre créa pure. Vous avez une page pour tourner sur l’orbite de cet électron très libre…
D’abord, vous avez affaire à un nul en français qui va passer un bac maths à Lyon. Mais le gamin sourd d’une oreille, dont la chambre s’emplit d’« inventions » en carton et en Lego, se met à 15 ans à écrire du rap, de la poésie, du slam, cornaqué par un certain Marco « qui m’a appris le sens des mots ». Ça se termine par un prix d’un concours du ministère de la Culture, par un 16 en français et le doute du père : « Des Lefebvre, il y en a beaucoup, il doit avoir une erreur. » Puis l’attention de la mère qui trouve dans la brochure Onisep la définition d’un concepteur-rédacteur en pub. Trouver les mots-inventer. Imaginer-écrire. Tout lui. Le voilà à Paris Sup de Pub. Lui rêve de campagne à 10 millions d’euros devant des profs qui rient en douce. En attendant, il court les stages, mais pas n’importe où : agences créatives only, style TBWA, Young & Rubicam… Il y passe peu de temps, avec son cahier et ses premiers scripts radio, sans ordi ni bureau, mais DDB Paris le recrute en octobre 2003. Son boss, Vincent Malone, ne fait pas dans le détail : « C’est de la merde, tu recommences… » Pas plus, sans savoir pourquoi « c’en est ». « Ça m’a construit. » Il « recommencera » pendant neuf ans (exceptionnel) dans cette même agence. Le temps de créer des « teams » concepteur-rédacteur/directeur artistique. Celle qu’il forme avec Benjamin Marshall va durer et gagner. Plusieurs prix chez DDB. L’Équipe, Lipton Yellow…
Rainbow Warrior mis en pièces… détachées !
Une image le berce, la vague. Un collègue la lui a mise en tête : on est au creux, on va forcément remonter. Son « creux », c’est le « numérique ». En 2009, il y a les concepteurs radio-télé vs les spécialistes du « digital ». Ça l’énerve, Olivier Lefebvre. Pour lui, le support n’est pas affaire de spécialistes. On est créatif, point. S’annonce un brief Greenpeace France qui veut promouvoir le nouveau Rainbow Warrior. On n’attend pas Lefebvre sur le « digital » ? Il s’y lance. L’affaire est de vendre virtuellement en ligne les 400 000 pièces du bâtiment, avec certificat de garantie, du boulon à l’hélice. Chez DDB, le directeur de créa prévient la team : « Faites gaffe, Lefebvre, Marshall, faites-le, votre site, mais je ne veux pas en entendre parler. » Il en entendra parler. Le buzz s’installe. Le Rainbow Warrior vend ses 400 000 composants et l’agence remporte le best of best du OneShow Festival, remis au… directeur de création DDB hostile au projet. Lefebvre en rit. On l’appelle aux États-Unis. Où il n’ira pas.
Réflexe de crise
« Une campagne de pub, c’est comme un problème de maths. Il faut trouver une solution créative qui inclue les contraintes. Imaginer une ligne simplissime qui contient tout. À la façon d’Einstein et de son MC2. Nous sommes des créatifs, pas des artistes. » En 2012, Olivier Lefebvre résout ses équations de 9 heures à minuit et quelques week-ends sous l’enseigne DDB. Trois ans plus tôt, Fred Raillard le Breton et Farid Mokart l’Algérien kabyle se sont lancés sous leurs deux prénoms, Fred & Farid (venus tous deux entre autres d’Euro RSCG BTC, TBWA, Publicis Conseil, Leo Burnett, CLM/BBDO, après l’intermède Marcel – dix personnes ! – chez Publicis où ils ont gagné le gigantesque budget Orange à 100 millions d’euros). Les deux concepteurs-rédacteurs qui inventent les campagnes les plus novatrices du moment vont cartonner entre autres avec Pepsi. Olivier les admire, ils sont à ses yeux le modèle absolu de l’audace créative. Un « coup » va germer dans sa tête, il restera dans les annales de la pub sous le nom de l’« Homme nu de la Redoute ».
4 janvier 2012. La campagne de La Redoute montre une ribambelle de gosses qui courent sur une plage. Or, malgré les escouades de vérificateurs chargés de contrôler le moindre détail d’une image, les internautes remarquent vite en arrière-plan un homme totalement nu en train de sortir de l’eau qui a échappé à tout le monde ! C’est le bad buzz assuré ! La Redoute est prise d’assaut par la déferlante de moqueries. Cellule de crise. L’e-commerçant va présenter ses excuses, assurer que ses campagnes sont passées au peigne fin, inviter les internautes à traquer l’intrus. Très vite, le bad devient good : La Redoute est citée des dizaines de milliers de fois et « son » nudiste incrusté dans tous les contextes possibles. Humour positif et carton mondial. Quand on relit la presse d’alors, tout est dit sauf l’essentiel : celui qui convainc La Redoute de s’autobrocarder se nomme Olivier Lefebvre. Huit ans plus tard, il ne s’en formalise pas : « Rirait-on, du reste, aujourd’hui, d’un homme nu derrière des bambins… ? » Le créatif doit vivre avec son temps. Il doit vivre aussi au contact de ses clients. Or le concepteur-rédacteur vedette de DDB se sent enfermé. On isole un peu le « sauvageon ». Alors quand il rencontre Farid Mokart, seul publicitaire français à triompher à l’étranger avec son associé Fred, au festival de la pub de Cannes, l’invite du maître le laisse songeur : « Quand quittes-tu ton agence ? »
Créatifs…
Olivier va rester deux ans à la tête de la création de CLM/BBDO. En septembre 2014, il répond enfin à la question de Farid en rejoignant Fred & Farid Paris au poste qu’il vit par cœur : directeur de la création. Il y apprend, dit-il, à gérer des budgets de A à Z, rencontrer les décideurs. L’agence va sortir des campagnes mythiques, Schweppes, redevenue une boisson de jeunes et de femmes à la Penelope Cruz ou Pulco la citronnade « C’est moi qui ne l’ai pas faite », slogan culte repéré par OL dans un brouillon de conceptrices… En 2015, le spectacle vivant en France, théâtres, cabarets, one man shows est aux abois après les attentats. Le 3 décembre, les représentants de la profession appellent des agences au secours. Olivier Lefebvre prend la mesure de l’urgence. Le 17, il présente les premières vidéos des artistes qui l’affirment : « Ma place est dans la salle. » Viral, le slogan va s’imprimer sur toutes les affiches à la place du titre du spectacle. Les Français/es se secouent, ils/elles retournent voir les artistes ! Quand Farid part créer FF New York en 2016, Olivier devient le président et partner de l’agence de Paris : un créatif à la tête d’une agence créative, cherchez l’erreur !
Olivier Magnan