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Cette Franco-Allemande polyglotte de 24 ans qui fait ses études à Londres s’apprête à révolutionner l’énergie dans les campagnes indiennes.
Sélectionnée par le MIT parmi les dix personnes de moins de 35 ans les plus innovatrices en France, Clémentine Chambon n’en demandait pas tant pour médiatiser son idée (1) : créer des centrales à technologie hybride – solaire et biomasse – pour électrifier l’Inde, et ainsi participer au développement économique et social du pays. « Le concept principal est de transformer des déchets agricoles en électricité pour approvisionner des villages qui n’y ont pas accès », explique celle qui s’est associée à Amit Saraogi, un Indien diplômé de Columbia, pour créer Oorja – qui signifie «énergie» en hindi.
Aboutissement d’une longue réflexion
Les deux associés ont naturellement cherché de l’argent pour mettre au point un pilote de centrale hybride. Une part des financements est venue des Etats-Unis avec Echoing Green ou Climate-KIC. « Nous avons levé des fonds philanthropiques pour pouvoir mener des études villages. Puis nous avons noué des partenariats avec d’autres entreprises indiennes qui sont déjà présentes dans les campagnes pour former des entrepreneurs, car nous allons travailler avec des redistributeurs locaux. Nous nous sommes aussi tournés vers des entreprises travaillant dans le paiement par téléphone mobile », raconte celle qui attend désormais le pilote pour janvier 2017. « Nous générons de l’électricité dans un mini-réacteur et la transmettons via un mini-réseau qui approvisionne des villages trois kilomètres autour », détaille-t-elle. L’électricité ainsi produite est destinée aux micro-entreprises mais aussi aux particuliers – les revenus générés grâce aux premiers permettant de subventionner les seconds. Le but ? Inclure tout le monde dans ce changement vers une électricité renouvelable. Pour ce faire, « il nous faut comprendre le système de castes, de religions et toutes les divisions sociales ». L’énergie plus fiable et abordable est une étape pour faciliter l’accès des populations d’agriculteurs à des services concernant l’éducation, la santé… Au programme des réseaux intelligents, des systèmes prépayés par mobile, et une récolte de données pour comprendre l’évolution de la demande. « Nous comptons bien initier une nouvelle approche. D’autant plus que le modèle de franchise, que nous mettons en place avec des entrepreneurs locaux pour financer le système et distribuer les produits, est encore très peu développé dans le sous-continent », insiste celle dont la fierté est de remplacer les générateurs à moteur diesel qui polluent. Une mise en place d’un modèle duplicable à grande échelle donc, qui implique de grandir. « Nous sommes quatre, et trois salariés à temps partiel. Mais nous avons recruté une équipe de quelques dizaines de personnes pour installer le matériel en local. Et cela ne fait que commencer », annonce-t-elle, tout en terminant sa thèse sur les biocarburants à Londres.
Une passion suivie de bout en bout
Cette citoyenne du monde s’intéresse aux sciences et au changement climatique depuis toujours – « Je me souviens d’un livre que je lisais enfant et qui s’appelait “50 choses que vous pouvez faire pour sauver la planète” ». C’est donc tout naturellement qu’elle s’inscrit en génie chimique à Cambridge puis en bioénergie à l’Imperial College. « Les deux tiers de mes camarades se destinaient au secteur pétrolier, ce qui ne m’intéressait pas du tout. J’étais dès le début tournée vers les énergies propres. » En 2014, lors d’un programme d’été de cinq semaines organisé par Climate Geek, Clémentine Chambon rencontre celui qui deviendra le co-fondateur de son entreprise, et décide avec lui de se tourner vers l’Inde. « Le fait d’être issue de plusieurs cultures et d’avoir grandi aux Etats-Unis et en Belgique m’a probablement donné envie de m’intéresser à cet ailleurs exotique et dépaysant. Un parcours qui a facilité mon intégration. »
Des ambitions très larges
Oorja a pour but de couvrir un maximum de territoire. « Nous ne cherchons pas forcément le gain financier mais l’impact, énonce-t-elle en bonne entrepreneure sociale. Les gens dépenseront trois à quatre fois moins d’argent et pollueront moins localement. » L’électrification permettra d’éclairer les rues « pour améliorer la sécurité ». Les magasins pourront ouvrir plus tard le soir, générer plus de revenus, créer des emplois. « Et ces revenus pourront rester dans la communauté plutôt que d’être utilisés pour acheter du diesel ou du kérosène de basse qualité. » Cela impactera également l’éducation puisque les jeunes pourront travailler plus tard le soir et que les écoles seront éclairées plus longtemps. C’est aussi l’émancipation des femmes qui est visée. « Ce sont elles qui sont le plus victimes des énergies traditionnelles qu’elles utilisent pour cuisiner, devant souvent aller très loin chercher le bois. » Le plan prévoit la construction de 20 centrales dans l’année, puis d’une centaine l’année suivante, afin d’impacter à terme des millions de paysans. « Un tiers des gens qui n’ont pas accès à l’électricité dans le monde sont dans ce pays », ce qui représente 450 millions de personnes si on compte ceux qui ne bénéficient pas d’accès continu. Le projet pilote sera lancé dans l’Uttar Pradesh, un état de 200 millions d’habitants, où les déchets agricoles sont importants et où les régions sont peu raccordées au réseau national. « Et quand c’est le cas, ce n’est pas très fiable. Les populations n’ont alors que quatre heures d’électricité par jour », déplore Clémentine Chambon. Oorja prône la décentralisation. « Les gouvernements penchent pour des centrales gigantesques de nouvelle génération, avec des systèmes très centralisés. Là nous sommes dans le local, moins cher, et surtout renouvelable », insiste-t-elle, alors que le gouvernement indien a lancé un plan d’électrification « totale » de l’Inde à horizon 2022. « Pour eux électrification signifie qu’au moins 10% des foyers ont accès au réseau, cela ne concerne pas nécessairement l’ensemble de la population. » Et surtout cela passe par la construction de centrales à charbon. Les systèmes décentralisés qui pourraient être connectés au réseau national via des mini-réseaux interactifs ont donc toute leur place. Oorja organise un sommet rassemblant politiques, entrepreneurs, ONG, pour exercer un lobbying. La jeune co-fondatrice n’exclut pas de s’étendre en Afrique un jour, « à condition de comprendre le contexte local sur place ». Pour l’instant, elle se concentre sur l’Inde, où le travail ne manque pas…
* oorjasolutions.org
Julien Tarby