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Après un siècle d’activité, le constructeur automobile Heuliez SAS a déposé le bilan en octobre dernier. Mais l’héritage de l’entreprise deux-sévrienne se perpétue dans la prometteuse Mia electric.
Le 31 octobre 2013, à Cerizay, petite commune de 4700 habitants dans le nord des Deux-Sèvres, les ouvriers de l’équipementier automobile Heuliez SAS donnaient à voir un étrange spectacle. Sur les grillages entourant le site de leur usine, ils ont accroché leurs blouses de travail ; sur la pelouse à côté du parking, ils ont déposé des gerbes de fleur et un cercueil. Sur des banderoles, ils ont écrit « Adieu Heuliez » ; et sur les yeux de la statue du fondateur, Louis Heuliez (1887-1947), ont pudiquement placé un bandeau, pour lui épargner le spectacle de la fermeture d’Heuliez SAS et le licenciement de ses 287 salariés. Une précaution bien dérisoire, tant l’histoire récente a été mouvementée, avec trois faillites depuis 2006. Mais, bien que parcellé, l’héritage de Louis Heuliez ne s’est pas encore tout à fait évaporé : il se perpétue chez le constructeur de bus Iveco (450 salariés) et chez le constructeur de voitures électriques Mia electric(210 salariés), auxquels on peut à la rigueur ajouter le fabricant de voitures sans permis JDM (36 salariés), tous installés dans les Deux-Sèvres et proches voisins de feu Heuliez SAS.
1922-1960 : Sur les chapeaux de roue
Lorsqu’il succède à son père Adolphe en 1922 à la tête de la petite affaire familiale, Louis Heuliez est le représentant de la quatrième génération d’une lignée de charrons, qui fabriquait et réparait des roues de charrettes et de charrues à Cerizay depuis le début du XIXe siècle. Il prend alors le parti de se spécialiser dans la fabrication de carrioles (qui donneront au groupe son emblème), en suivant des méthodes semi-industrielles. Dès 1923, ce visionnaire invente un procédé de caoutchoutage des roues, dont le succès va permettre un développement rapide des ateliers. Deux ans plus tard, en 1925, Heuliez fait ses premiers pas dans la carrosserie automobile, en réalisant pour Peugeot un break sur le châssis d’une utilitaire Peugeot 177 B.
En 1947, Henri Heuliez succède à son père avec la volonté de développer un grand pôle industriel, en se positionnant sur la carrosserie utilitaire, si bien que la production d’autocars devient l’une des principales activités de l’entreprise. En 1949, le carrossier de Cerizay expose pour la première fois au salon de l’Automobile et du Poids Lourd, au Grand Palais, à Paris. Dans les années 1950, l’entreprise se diversifie avec la fabrication de camions publicitaires, d’ambulances, de fourgons, et même de mobilier scolaire.
1960-2000 : Souplesse et innovation
A partir des années 1960, grâce aux efforts de l’ingénieur Gérard Quéveau (beau-fils d’Henri Heuliez) et de son bras droit Christian Chéron, l’entreprise va connaître un essor et une industrialisation rapides. Grâce à ses nouvelles presses d’emboutissage, elle peut prendre des commandes pour Peugeot, Citroën, Simca… D’une cinquantaine d’employés au sortir de la Guerre, Heuliez monte ses effectifs à 2000 en 1970. Les années 1980 et 1990 sont florissantes : sa taille moyenne lui permet d’être suffisamment réactif et innovant pour devancer et suivre les évolutions de ses grands partenaires. Au début des années 1980, le groupe fonde Heuliez Bus à Rorthais, à quelques kilomètres de Cerizay, dont il cèdera 75% du capital à Renault et Volvo en 1991.
Les années 2000 : un sous-traitant comme un autre
Mais les choses se compliquent dans les années 2000. Le constructeur deux-sévrien ne s’est jamais appuyé sur une automobile portant sa marque, et en dépit de son importance sur la scène régionale, il n’est qu’un sous-traitant parmi tant d’autres de l’industrie automobile. A ce titre, la crise financière entamée en 2007 lui fera beaucoup de mal. Mais les choses s’étaient déjà compliquées bien avant. En effet, suite à un changement de direction à la tête de PSA, les relations se sont tendues avec le groupe français, si bien que le partenariat qui unissait le constructeur au sous-traitant a pris fin en 2001, contraignant Heuliez à supprimer une centaine de postes. Par la suite, les commandes passées par PSA se font de plus en plus rares. Une éclaircie tout de même en 2004, lorsqu’Opel lui confie la construction de l’Opel Tigra TwinTop. Le sous-traitant automobile compte alors 2400 salariés. Mais le petit coupé ne connaît pas le succès espéré et, en mai 2006, un nouveau plan social est décidé pour assurer la pérennité de l’entreprise.
Les difficultés s’accumulent et une procédure de sauvegarde est déclenchée dès octobre 2007 pour préserver les emplois tout en apurant le passif. Les dirigeants cherchent de nouveaux partenaires pour prendre le relai d’Opel. L’entreprise dépose de nombreux brevets, en particulier dans le domaine des toits rétractables et des voitures électriques. Après une tentative avortée de partenariat avec l’Indien Argentum Motors, le dépôt de bilan est prononcé en avril 2009, et 400 salariés sur 1200 sont licenciés. D’autres tentatives de rachat vont suivre, par Bernard Krief Consulting et l’homme d’affaires turc Alphan Manas. Sans succès.
2010-2013 : tentative de relance par BGI
Finalement, l’ancienne pépite est rachetée en juin 2010 par le groupe familial français BGI (Baelen Gaillard Industries), présidé par François de Gaillard. Mais pour rendre l’opération possible, l’entreprise est scindée en deux parties qui deviennent indépendantes, dans deux sociétés distinctes mais voisines, sur le site de Cerizay. D’un côté, Heuliez SAS, équipementier automobile repris par BGI avc 287 salariés ; de l’autre, Mia electric, constructeur de voitures électriques, avec 210 salariés. En septembre 2010, le constructeur de voitures sans permis JDM intègre le groupe BGI et emménage à Cerizay. En se recentrant sur la sous-traitance automobile, moins gourmande en capitaux, Heuliez SAS retrouve une situation légèrement plus saine. Mais dans le secteur, les constructeurs préfèrent faire tourner leurs propres usines que de faire appel à leurs sous-traitants traditionnels. Le chiffre d’affaires chute de 43 millions d’euros en 2011 à 35 millions en 2012. L’accalmie sera de courte durée, puisque dès avril 2013, BGI dépose le bilan d’Heuliez SAS. Après une période d’observation de six mois, faute d’avoir trouvé un repreneur, le tribunal de commerce de Niort prononce la liquidation judiciaire le 30 septembre 2013 avec poursuite de l’activité pendant un mois, afin d’assurer la fabrication des commandes en cours, dont celles destinées à Mia electric.
Une infime lueur d’espoir
La région Poitou-Charente a mis à profit ce délai pour constituer une Société d’économie mixte (SEM) afin de reprendre l’outil industriel (usine, machines, brevets) et tenter de relancer l’activité. Pour la présidente de la Région Ségolène Royal, il s’agit de ne pas assister « à ce qu’on voit ailleurs, c’est à dire une vente aux enchères des usines, une dispersion avec des vautours qui viennent vendre des outils de travail pour faire des profits sur le dos des ouvriers ». Certains observateurs dénoncent un « acharnement thérapeutique » autour d’une entreprise dont la disparition semble inéluctable. La Région espère notamment trouver un chevalier blanc pour Heuliez SAS. En effet, la reprise par le groupe espagnol Cosmos XXI est conditionnée à l’obtention d’une importante commande de pièces détachées émanant de Volkswagen et l’arrivée de nouveaux clients. Pour entretenir les machines, une dizaine de salariés restent employés par la SEM.
Mia electric
En 2010, la division voiture électrique d’Heuliez se met à voler de ses propres ailes, tout en restant physiquement sur le site de Cerizay et en gardant pour client Heuliez SAS. La production de la petite et robuste Mia electric a démarré en juin 2011 avec un peu plus de 200 salariés. Le jeune constructeur doit faire face à la concurrence de mastodontes comme Renault, Nissan ou Peugeot, et peine à atteindre son objectif de 12000 voitures produites par an. De 2010 à juin 2013, seule 15000 voitures ont été produites. En juin 2013, un nouvel actionnaire, Focus Asia Gbmh, et une nouvelle présidente, Michelle Boos, reprennent les rênes de l’entreprise. Ils se donnent trois ans pour redynamiser les ventes, notamment grâce à une politique de prix plus agressive et la recherche de nouveaux débouchés. Suffisant pour adapter l’héritage de Louis Heuliez au XXIe siècle ? Des carrioles à la voiture électrique, le symbole ne manque pas de classe..
Aymeric Marolleau