Temps de lecture estimé : 4 minutes
Par Lina Berji et Avigael Haziza, étudiantes Audencia Grande École. Dans le cadre du concours des meilleures copies étudiantes de la business school nantaise.
Un consultant est un professionnel qui fournit des conseils aux entreprises dans tous les domaines de spécialisation. Afin de remplir leur rôle et leurs missions, les consultants doivent établir une relation de qualité et de vérité avec leurs clients. Et c’est là que se situe leur position délicate : ils peuvent parfois adopter le point de vue des clients afin de leur plaire et de choyer la relation. Le problème éthique, c’est qu’ils risquent au passage d’oublier leur mission première, celle d’analyser la situation et de proposer les solutions les plus adaptées.
Le consultant, en tant qu’employé d’un cabinet de conseil et au service d’un client, est en position de subir la pression de son manager pour vendre les solutions les plus chères alors que le client n’en a pas forcément besoin…
Entre la pression du manager et les attentes du client, où se situe le devoir d’objectivité du consultant ? Quels sont les outils qu’il va utiliser pour rester objectif et donner les meilleurs conseils à ses clients sans abuser de leur confiance ?
Afin d’éclairer ce sujet et d’émettre des recommandations, nous avons interviewé Omar Berji, un consultant fort de dix ans d’expérience. Il travaillait auparavant pour des sociétés de conseil avant de devenir indépendant. Il est spécialisé dans la stratégie et la transformation numériques. Ce domaine est particulièrement intéressant pour notre recherche car il s’agit d’un secteur en constante évolution dans lequel les solutions aux problèmes sont variées.
Le point de vue du client et son influence sur le travail du consultant
Selon Omar, le constat est très clair. Ne pas déployer toutes les solutions pour le compte du client est un comportement contraire à l’éthique. « Cela revient à ne pas faire le travail pour lequel nous sommes payés de manière objective et à ne pas apporter de valeur ajoutée. Le mythe qui dit que nous devons suivre toutes les demandes du client pour maintenir une bonne relation avec lui est complètement faux et inexact. Tous les consultants expérimentés vous diront que la chose la plus importante est de construire une relation de confiance à long terme et de toujours proposer au client ce qui sera bénéfique pour son entreprise et pour lui-même. »
Lorsque nous avons demandé à Omar s’il s’était déjà trouvé dans une situation où il devait adopter le point de vue de son client au profit de la relation, il nous a expliqué qu’il n’avait jamais vécu une telle situation mais qu’il s’agissait d’une pratique très courante dans le domaine du conseil. En outre, il est très fréquent que les clients aient déjà choisi une solution avant de demander l’avis d’un cabinet de conseil. Comme nous l’a confié le consultant, « nous entendons toujours parler de clients qui demandent des conseils mais qui ont déjà une solution en tête. Ils demandent un avis externe simplement pour suivre le protocole. On parle beaucoup de “missions fantômes” ».
Cependant, les solutions choisies à l’avance ne sont souvent pas les plus adaptées, car le client risque de se focaliser à l’excès sur certains détails et oublier de regarder la situation dans son ensemble. De plus, il omettra des éléments clés dans son analyse parce qu’il peut ne pas être au courant de certaines nouvelles solutions innovantes sur le marché ou manquer d’expérience dans la gestion de certains types de projets. Pour toutes ces raisons, il est du devoir des consultants de garder la tête froide et de convaincre le client de la meilleure solution. « Dans le monde du conseil, la règle, c’est de ne jamais s’opposer au client parce qu’il est roi. Il paie pour recevoir les conseils et nous devons avoir un bon relationnel avec lui. Nous devons comprendre la situation. Pourquoi la solution à laquelle il pense est la meilleure selon lui ? […] En fait, nous devrions prendre en compte les opinions et les arguments du client, puis lui prouver que l’autre solution est la meilleure en s’appuyant sur des faits, des chiffres et des études de référence. Nous devons lui faire comprendre qu’il est dans notre intérêt à tous les deux de connaître toutes les solutions disponibles et les mieux adaptées en fonction d’éléments factuels. Ensuite, c’est le client qui prend la décision. »
Comment prévenir une telle dérive
Maintenant que nous savons comment convaincre le client de rester ouvert aux conseils du consultant, la difficulté est de ne pas adopter, même inconsciemment, le point de vue de son client sans analyser la situation. Selon Omar, la solution est claire : toujours rester fidèle à la méthodologie du consultant. « Même si le client essaie de nous influencer d’une certaine manière, nous devons nous en tenir à la méthodologie et envoyer les livrables afin d’offrir les meilleures solutions et celles qui sont les plus adaptées. Il ne faut pas oublier que le rôle du consultant est de conseiller et en aucun cas de forcer une décision. »
Même s’il peut sembler qu’un client est ouvert à tout ce que le consultant a à dire, son besoin de contrôle le pousse parfois à façonner la mission à sa façon de penser. À ce stade, le travail du consultant est inutile car il ne sera pas en mesure de réfléchir à la situation de manière objective et d’un point de vue extérieur. Ce phénomène s’intensifie lorsque les missions sont longues et que le consultant travaille à temps plein chez le client. Selon Omar, pour éviter une telle impasse, il existe une solution : faire en sorte que tout soit clair dès le début. « Il faut toujours être diplomate, bien expliquer au client comment la mission va se dérouler et à quelle phase nous aurons besoin de lui – c’est-à-dire au début de la mission –, bien déployer la méthodologie utilisée, le planning à suivre, à quelle phase le cabinet de conseil intervient et à quelle phase le client interviendra aussi. De cette façon, tout sera clair dès le début. Dès le coup d’envoi, on explique tout, tout le monde est d’accord et cette mise au point servira de référence en cas de conflit. »
Les managers font également pression sur leurs équipes pour qu’elles vendent davantage d’expertise aux clients
Ce n’est un secret pour personne que les cabinets de conseil sont très concurrentiels entre eux. Et fidéliser un client requiert de nombreux efforts… parfois contraires à l’éthique. Les affaires et la rentabilité sont les seules préoccupations des managers, ce qui signifie souvent facturer le plus grand nombre de jours possibles et vendre toujours plus de services aux clients. Selon Omar, « il en résulte une pression de la part de la direction sur les consultants pour augmenter le nombre de jours facturés sur les propositions commerciales. Les managers connaissent généralement le budget des clients et savent jusqu’où ils peuvent aller. Ils ne rechignent donc pas à ajouter des services à facturer dont le client n’a pas forcément besoin. »
De quoi placer les consultants dans des situations très délicates, remettre en question leur éthique et la valeur de leur travail. Lorsqu’on a demandé à Omar comment agissent les consultants « honnêtes » face à leurs clients lorsqu’ils sont confrontés à ce genre de pression, sa réponse s’est voulue limpide : « Ce que nous faisons habituellement pour rester honnêtes, c’est de toujours apporter la plus grande valeur ajoutée au client, même si nous finissons par lui vendre plus de services que ce dont il a besoin. Nous essayons de l’accompagner sur des sujets pour lesquels il n’attendait pas notre aide en apportant plus de valeur que ce qui a été demandé initialement. »
On comprend bien que la position du consultant reste très complexe et nécessite un équilibre. Ces dernières années, le devoir d’objectivité est devenu le principal atout des consultants pour se distinguer parmi le nombre croissant de consultants dans le monde. Ils doivent toujours faire preuve de diplomatie lorsqu’ils interagissent avec les clients afin d’établir une relation solide basée sur la confiance. En ce qui concerne la relation entre les consultants et leurs managers, on constate une réelle évolution avec l’apparition de nouveaux modèles de conseil basés sur la transparence, l’indépendance et la bienveillance.
Sources :