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La France reste le premier pays d’accueil touristique au monde. Les fleurons du secteur, Club Med, Air France ou encore AccorHotels, surfent sur cet engouement. Du coup, côté start-up , c’est l’explosion. Quelles sont-elles ? Quels sont les leviers de leur réussite ?
En 2017 encore, tous les chemins sont passés par la France. Le pays qui a attiré le plus de touristes, devant l’Espagne et les États-Unis, à en croire l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), avec 83 millions de visiteurs en 2016 (89 millions en 2017 ?). Selon la même source, le secteur a rapporté 34,3 milliards d’euros à l’hexagone en 2016 (et selon Capita, 54 millions en 2017). Plusieurs fleurons de l’industrie, comme Club Med, AccorHotels, Air France et la Compagnie des Alpes sont à la hauteur des enjeux. Du coup, le terreau se montre plutôt favorable pour les jeunes pousses du tourisme. Elles œuvrent dans des domaines aussi variés que l’hébergement, les transports, l’accueil, l’événementiel, les visites guidées ou encore la création et la commercialisation de voyages. Nombre d’entre elles jouent de l’économie collaborative, comme GuestToGuest (échanges de logements) et Click & Boat (location de bateaux, lire encadrés). D’autres se placent en services additionnels aux sociétés de l’économie du partage, à l’instar de Bnbsitter, un service de gestion et de conciergerie pour les propriétaires et locataires qui proposent leur logement sur Airbnb : création de l’annonce et prise de photos, accueil des voyageurs, ménage et blanchisserie… Créé en 2013 à Paris par Piero Cipriano et Biagio Tumino, l’entreprise a levé 2,6 millions d’euros depuis sa création.
Incubateurs et fonds spécialisés, la valeur or du tourisme
Les start-up françaises du tourisme s’appuient sur un écosystème favorable. Elles bénéficient d’incubateurs dédiés particulièrement actifs dans le tourisme, comme le Welcome City Lab. P orté par Paris&Co, l’agence de développement économique et d’innovation de Paris, il fut créé en 2013 avec le soutien de la Ville de Paris, Bpifrance et l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris, et compte parmi ses membres fondateurs Aéroports de Paris, Air France, RATP et Galeries Lafayette. Parmi les start-up qu’il a incubées, figurent Eelway (service de consigne mobile de bagages), Nannybag (stockage de bagages), Destygo (chatbot dédié aux acteurs du tourisme, il a levé 1 million d’euros en juin 2017 auprès de Partech Ventures, AccorHotels et le fonds parisien Pole Capital), Groupeer (boîtiers électroniques pour assurer la sécurité des groupes de voyageurs), The City Helpline (service téléphonique d’accompagnement des touristes) ou encore Victor & Charles (intelligence artificielle qui aide le personnel des hôtels à personnaliser le séjour de leurs clients).
Un deuxième incubateur dédié au secteur a ouvert en septembre 2017 à Aix-Marseille, Provence Travel Innovation. Il accompagne notamment Beforgo, une plate-forme de mise en relation des internautes avec des agences de voyage. Puis Bpifrance a créé en 2015 un fonds d’investissement dédié, France Investissement Tourisme. Fort d’une dotation de 100 millions d’euros, il investit 500 000 à 5 millions d’euros dans des PME et des ETI en fonds propres ou quasi fonds propres. Depuis sa création, il a misé plus de 50 millions d’euros dans une trentaine d’entreprises, dont France Tourisme, Orchestra, Bnb Sitter et My Travel Mate.
Créé en 2010 par André Linh Raoul et Stéphane Thioly, le fonds d’investissement Pole Capital est l’un des plus actifs dans le domaine du tourisme. Parmi la trentaine de sociétés qu’il compte dans son portefeuille, s’épanouissent Séjourning (plate-forme de location courte durée), Very Last Room (réservation de chambres d’hôtels), Destygo déjà cité ou encore Misterbnb (hébergement et location… gay !). Lasociété de gestion a également lancé son propre incubateur dédié aux start-up du tourisme en mars 2016, au nom évocateur d’Écurie !
« En France, les start-up ont la chance d’avoir accès à un grand nombre de financements, d’aides et d’accompagnements. Il faut donc s’appuyer dessus au maximum, car cet écosystème joue un rôle important dans notre réussite », juge Charles-Édouard Girard, le co-fondateur de GuestToGuest (lire encadré). Sa société a été lauréate du Welcom City Lab, de l’accélérateur Scientipolepuis du Réseau entreprendre, du Pass French Tech et sélectionné dans le programme d’initiation aux marchés financiers pour les PME innovantes Techshare pour 2019.
Start-up en « compét »
Pour gagner en notoriété, les jeunes pousses du secteur s’inscrivent aussi régulièrement à des concours dédiés comme ceux qu’ont créés l’Organisation mondiale du tourisme et Globalia, par exemple. En juin, c’est Untwo Tourism Startup Competition qui a mis en compétition des jeunes pousses en lien avec le futur des voyages, l’expérience touristique, l’impact environnemental ou le développement communautaire, dans 164 pays (les inscriptions étaient encore ouvertes début septembre). Des salons spécialisés, comme Next Tourisme et IFTM, en organisent aussi. Un think tank, baptisé Club tourisme et technologies (CTT), qui réunit des décideurs du tourisme et de l’e-tourisme, propose depuis 2013 aux gagnants de son concours de « pitcher » en six minutes leur projet devant ses membres. Le lauréat reçoit 2 500 euros. L’initiative provient parfois d’organismes publics. En 2017, la Chambre de commerce et d’industrie du Morbihan a créé un concours dédié aux start-up du tourisme nautique.
Les start-up du tourisme piquent où ça fait du bien…
En quête d’innovations de rupture, la plupart des grandes entreprises françaises du tourisme déploient des stratégies d’open innovation pour identifier et accompagner les jeunes pousses prometteuses. AccorsHotels, par exemple, a créé un département Disruption & Growth pour renforcer ses liens avec les start-up, il est partenaire de The Camp, un « tiers lieu »◊ dédié à la ville de demain, co-organise un concours, Spark Life Contest, et parraine le salon Viva Technology, le fameux Viva Tech. Et pour cause, nombre de start-up du tourisme aident les grandes entreprises du secteur à optimiser l’utilisation de leurs équipements. TravelCar, par exemple, se propose de rentabiliser mieux les parkings des aéroports (lire encadré). Alors que de nombreuses chambres d’hôtels restent vides le dimanche, Staycation les aide à les remplir. L’entreprise créée en juin 2017 par Mathieu Ecolland, Mathieu Dugast et Kevin Hutchings propose aux Parisiens une plate-forme où réserver à des prix cassés la dernière nuit du week-end dans un hôtel quatre ou cinq étoiles de la capitale. Staycation compte 50 grands hôtels partenaires, dont Molitor, Grand Pigalle Hôtel ou encore Le Pavillon de la Reine. Dans le même esprit, Dayuse propose aux hôtels de louer leurs chambres dans la journée. La société française, créée par David Lebée en 2010, a levé 15 millions d’euros en 2016 auprès d’Idinvest Partners et Partech Ventures.
Première par le nombre de touristes, la France n’est que paradoxalement troisième en chiffre d’affaires : et si les jeunes pousses en finissaient avec cette anomalie ?
GuestToGuest : leader tout simplement mondial
- Quand ? Paris, 2011
- Qui ? Charles-Édouard Girard et Emmanuel Arnaud
- Quoi ? Plate-forme d’échange de maisons entre particuliers.
Très vite, GuestoGuest s’est senti des appétits d’ogre. Cinq de ses concurrents ont fini dans son estomac, l’anglais Itamos en 2013, le français Trampolinn et l’espagnol HomeForHome en 2016, l’américain HomeExchange – clientèle luxe – en 2017 et le canadien Echangedemaison.com en avril 2018. De quoi apporter quelque 450 000 maisons à échanger dans 187 pays. « Ces acquisitions nous placent en position de leader mondial, avec plus de 70 % de parts de marché », lâche tranquillement Charles-Édouard Girard. L’entreprise a levé 38 millions d’euros depuis sa création, dont 33 millions en février 2017 auprès de la MAIF, Alyan Group et des business angels, plus 4 millions en 2014.
Une idée innovante signe le succès : l’échange non réciproque. Les membres ne sont pas obligés d’échanger leurs maisons en simultané, ils reçoivent une monnaie virtuelle, des GuestPoints, à chaque fois qu’ils accueillent des membres chez eux qu’ils consacreront à choisir destination et période. L’inscription est gratuite. Le business model repose uniquement sur les services associés aux séjours, en particulier les cautions et les assurances, mais également la vérification et les GuestPoints payants. Or 89 % des échanges réalisés sur la plate-forme comptent désormais au moins un service payant. Le leader mondial ne compte qu’une centaine de salariés dans ses bureaux de Paris, Boston et Zagreb.
Click&Boat : 50 % de clients étrangers
- Quand ? 2014
- Qui ? Édouard Gorioux et Jérémy Bismuth
- Quoi ? Plate-forme de location de bateaux entre particuliers.
Dans la lignée de Drivy et Airbnb, Click&Boat offre aux propriétaires de rentabiliser leurs bateaux et aux particuliers de naviguer à moindre coût. Les fondateurs ont surfé sur la vague des levées : 200 000 euros puis 500 000 auprès de business angels, 1 million en novembre 2016 auprès d’Olma Fund, puis 4 millions d’euros en juin 2018 auprès du même investisseur. Objectif , s’internationaliser, notamment par rachats de sociétés similares. En 2016, le développement externe a prix aux filets le pionnier Sailsharing, créé en 2012. « 50 % de nos clients sont étrangers. C’est la différence majeure avec nos principaux concurrents dont aucun n’a encore franchi les frontières de son pays d’origine. Notre objectif est de construire la première plate-forme mondiale », explique tout aussi calmement que son homologue d’échanges de maisons Édouard Gorioux. À bord d’une péniche à Boulogne-Billancourt, Click&Boat compte 75 salariés pour 22 000 bateaux enregistrés. L’entreprise ne communique pas son chiffre d’affaires, mais affirme sa rentabilité depuis 2015 pour un versement de 40 millions d’euros aux propriétaires de navires depuis sa création. À partir de décembre 2017, elle a ouvert l’offre aux loueurs professionnels sur sa plate-forme. Modèle économique : une commission de 15 % sur chaque transaction.
PerfectStay : voyages sur-mesure
- Quand ? 2017
- Qui ? Raphael Zier, Laurent Curutchet, Stéphane Libre et Ludovic Bailly
- Quoi ? Plate-forme de location des voitures
C’est un tour opérateur BtoBtoC des grandes marques du tourisme, dans le transport aérien et l’e-commerce, comme Air France, Emirates, venteprivee.com et Corsair. PerfectStay crée des voyages sur-mesure que ses clients présentent sur leur propre site, se charge de la promotion et de la relation clients. Les 80 salariés actuels seront 200 fin 2018. Son chiffre d’affaires a atteint 13,4 millions d’euros dès sa première année d’activité. Levée de 15 millions d’euros en série A en juin auprès de la société de gestion française Partech et de Felix Capital, basé à Londres, pour poursuivre son développement technologique et se développer à l’international.
TravelCar : sur tous les services de mobilité terrestre
- Quand ? 2012
- Qui ? Ahmed Mhiri et Lofti Louez
- Quoi ? Plate-forme de location des voitures parquées aux aéroports
Comme Drivy et OuiCar, TravelCar est parti de la location entre particuliers. Mais sa clientèle se révèle très précise : les voyageurs qui paient une fortune le parking des aéroports vont s’envoler en gagnant de l’argent… avec leur voiture. L’idée : la louer à d’autres voyageurs. TravelCar s’est casé dans les principaux aéroports français, dont Roissy, Orly, Lyon et Marseille. Levée de 5 millions d’euros en 2016 et 15 millions en février 2017 auprès de la MAIF – son assureur – et de PSA, notamment pour financer son implantation aux États-Unis, avant de racheter son concurrent français Tripndrive en avril 2017. Lofti Louez : « Notre spécificité est de proposer une solution à tous les internautes qui veulent se rendre dans un aéroport ou qui y arrivent : prendre leur voiture et la garer sur le parking, en louer une, prendre les transports en commun ou un véhicule de tourisme avec chauffeur… Nous sommes présents sur tous les services de mobilité terrestre. » Modèle économique : une commission prélevée sur les transactions. La société propose aux professionnels du secteur, style Opodo, MisterFly ou Marco Vasco, d’intégrer sa plate-forme en marque blanche ou grise sur leur site, en échange d’une commission. L’entreprise de 80 salariés – dont une quinzaine dans sa filiale américaine – ne communique pas son chiffre d’affaires, mais assure être rentable en France. « Notre objectif est désormais d’étendre notre réseau d’agences de voyage partenaires, en particulier les agences de voyage en ligne, pour les connecter à nos réseaux de parking. »
Louis Marquis