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Abracadabra, plus de technos visibles !
Rand Hindi, spécialiste IA des assistants virtuels intuitifs, veut faire disparaître écrans et technologies. Le fondateur et PDG de Snips est assurément un entrepreneur atypique et précoce.
«Rendre invisibles les technologies et leur complexité »… Rien que cela. La vision à dix ans de Rand Hindi claque comme une « punchline » bien léchée visant avant tout à interpeler l’investisseur. C’est pourtant bien le véritable but que s’assigne ce petit génie de l’IA, Parisien d’origine au tutoiement facile, qui a cofondé la jeune pousse Snips, fournissant des outils pour déléguer des tâches à des assistants intelligents qui devancent les besoins en analysant le langage et le contexte. C’est par hantise de nous voir devenir esclaves des milliards d’objets connectés qui déferlent – smartphones, mais aussi montres, voitures, vêtements, réfrigérateurs, tensiomètres… – et s’apprêtent à nous harceler d’informations ou de demandes de validations, que Rand Hindi, avec ses cofondateurs Maël Primet, mathématicien, normalien du corps des Mines, et Michael Fester, Danois qui étudiait la théorie des nombres à l’université de Cambridge, ajoute une voix à tous ces appareils. « L’objet peut ainsi anticiper certaines actions de la personne et les faire à sa place, comme réserver un mode de transport avant un rendez-vous inscrit dans son agenda », illustre celui qui mobilise désormais 40 spécialistes en mathématique et IA.
Enfant doué, entrepreneur acharné
Ce passionné de maths et de Big Data à la mèche rebelle ne laisse pas indifférent, de par son projet, mais aussi sa précocité. En 2014, la Technology Review du MIT l’inscrit d’ailleurs dans son palmarès annuel des innovateurs de moins de 35 ans. Puis le magazine Forbes l’élit dans son classement mondial 2015 des « 30 de moins de 30 ans » dans la catégorie des technologies numériques. Codant déjà à l’âge de dix ans, il monte son agence de développement web à 15. Parti étudier un an à Londres, il réalise finalement une thèse en bio-informatique à l’University College. Doué ? Assurément. Mais aussi entouré. Son père dans la finance et sa mère dans la mode, tous deux Libanais, venus en France pour fuir la guerre dans leur pays, lui ont souvent laissé une grande liberté, dont celle de quitter le lycée quatre mois avant le Bac pour le préparer à sa guise. « Ils m’ont poussé à faire ce qui me passionnait. Quand ma mère a vu que dès le plus jeune âge je démontais la télévision, elle a acheté un ordinateur et m’a offert des livres de programmation, sachant que j’allais accrocher. Sans cet appui je serais sûrement devenu entrepreneur, mais peut-être pas aussi vite », retrace celui qui tente d’appliquer l’IA dans la santé quotidienne à la fin de ses études : pour prouver que les régimes généralistes ne peuvent s’appliquer à tout le monde, et que son modèle de conseil d’alimentation s’applique à chacun selon son métabolisme et son mode de vie, il va jusqu’à prendre 35 kg ! « Mais en 2010 les gens n’ont pas confiance en la machine, ils préfèrent suivre les principes de Dukan ! », déplore celui qui, après avoir cofondé Snips, œuvre « à ce que les gens n’aient plus à s’adapter à la machine, mais plutôt l’inverse ». L’équipe de jeunes talents commence par une phase exploratoire dans les assistants intelligents pour mobile, avec une appli censée diviser par dix le temps nécessaire pour accéder à un service.
L’art « startuppien » de renverser la table
Puis leur création Tranquilien, application mobile collaborative de prédiction d’affluence dans les trains d’Île-de-France, est acquise par la SNCF. Mais alors qu’un gros contrat se profile à l’horizon avec l’opérateur américain de télécoms Sprint pour une autre appli, Rand Hindi… le refuse, pour réaliser le fameux « pivot » de toute jeune pousse qui se respecte, alors qu’au début les cofondateurs ne sont pas en mesure de se verser un salaire tous les mois. Vendre les données personnelles des gens à de grands acteurs n’est plus envisageable. Le principe de protection de la vie privée guide l’évolution de Snips, qui garantit désormais que 100% des données restent stockées sur le produit et n’ont pas besoin d’être transférées sur un serveur dans le cloud ; contrairement aux agissements des GAFA, « qui seront un jour non-conformes à l’esprit et aux nouvelles règlementations européennes ». Du caractère, il en faut pour mener une petite barque au milieu des colosses. Rand Hindi va jusqu’à refuser certains investisseurs malgré sa quête de financements. « Nous voulions des partenaires qui n’apportaient pas que du capital », justifie celui qui a bien fait de passer le tour, parce qu’il a finalement été soutenu par le fonds d’investissement américain The Hive spécialisé dans la donnée, Eniac Ventures tourné vers le mobile et 500 Startups, avec deux business angels, le Britannique Brent Hoberman fondateur de Lastminute.com et le Français Xavier Niel. Il faut aussi un véritable esprit start-up, appliqué au jour le jour dans ses rangs. « Je suis un adepte du leadership distribué : chez nous il y a des managers mais personne ne manage tout le monde. Les gens gèrent des cellules et y prennent des décisions », explique celui qui ouvre aussi un bureau à New York.
Lunettes sur le monde
Snips s’est tout de suite vue comme une start-up globale. « La langue utilisée est l’anglais, et nous avons veillé à ce que le recrutement initial se porte au-delà des frontières hexagonales. En gardant une mentalité franco-française, nous nous serions empêchés d’attaquer directement le monde. Car le pays est un terrain de jeu assez grand pour décoller, d’autant plus avec l’effet facilitateur de tout l’écosystème et de Bpifrance, mais pas pour se développer mondialement », évoque ce féru d’innovation. Une nécessité quand on se trouve en compétition avec des géants qui ont une infinité de ressources. « Il nous faut trouver des angles d’attaque différents des leurs », précise celui qui reste fasciné par ce que l’exploitation des données pourrait apporter à la médecine. « Le but n’est pas de remplacer le médecin, mais d’augmenter le médecin. » Une autre aventure en perspective ?
Julien Tarby