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A 50 ans, il a connu les grands groupes, la reprise et la création de PME, les procès et la liquidation. Il a aussi trouvé le moyen de rebondir, grâce à l’association 60 000 Rebonds.
Les grands groupes réussissaient pourtant à cet agro-ingénieur diplômé. Ancien directeur Europe d’Orangina pendant dix ans et après 18 mois de mission en Asie pour la branche du groupe Pernod-Ricard, ce père de cinq enfants s’est tourné en 2000 vers le luxe, et a connu durant six ans LVMH, avec le cognac Hennesy – deuxième marque du groupe après Louis Vuitton – pour la zone Amérique, avant d’évoluer chez Moët & Chandon, autre marque du groupe. « Quand on m’a proposé de prendre la direction d’une maison de champagne, je me suis dit qu’il était temps que je vole de mes propres ailes, que j’en avais désormais la capacité », explique cet Alsacien d’origine. C’est ce qu’il fit, avant de déchanter.
Occasion en or
Après un stage à la Chambre de commerce de Paris, il se lance en 2006 en créant l’entreprise Part des Anges, spécialisée dans la recherche des champagnes et spiritueux d’exception oubliés. « Quand une distillerie ferme en Ecosse, c’est un goût qui part avec elle, et nous proposons d’aller à sa recherche pour des connaisseurs », résume celui qui a connu un développement rapide. Il s’est alors également tourné vers la reprise de la société normande de sculpture et décoration Leblon Delienne, spécialisée dans la confection de figurines de bande dessinée, comme Tintin… avec une diversification possible dans le mobilier et l’art contemporain. « En janvier 2007, j’ai laissé les clés à mon associé Part des Anges pour m’y consacrer », retrace l’entrepreneur, qui découvre que les vendeurs ne déclaraient pas la totalité des ventes pour réduire les royalties à verser. S’ensuivent un procès qui n’en finit pas, une réputation ternie, une défection de clients importants, des finances en berne. « En un an, nous avons perdu 25% du CA car la socité Moulinsart nous a lâchés, et notre dette a atteint les deux millions d’euros », explique ce dirigeant de 40 personnes, qui a saisi la Médiation du crédit. Il récupère ainsi 300000 euros – dont la moitié en provenance de la région – embauche des commerciaux et relance l’activité. Un temps seulement, puisqu’en février 2011, la société est mise en redressement judiciaire, puis liquidée à la fin de l’année 2014.
Engrenage
Laurent Buob était caution personnelle dans l’affaire et n’avait pas d’assurance-chômage, se retrouvant avec 250000 euros de dettes au début de l’année 2015, sans aucune activité. Il se retrouve fiché 040 – cotation supprimée depuis 2013 – à la Banque de France. Dès lors, la banque a suspendu son compte à Part des Anges, pourtant non endettée et dégageant 150000 euros de CA. Pas de CB, pas de chéquier et une grande solitude pour celui qui a trouvé des portes closes chez des « amis », et a connu le harcèlement des huissiers – il a été obligé de prendre un studio pour constituer une sorte de pare-feu – et le regard désapprobateur de ses enfants.
Nouveaux horizons
Laurent Buob, accompagné par 60 000 Rebonds qui accompagne les dirigeants post-faillite, parvient à convaincre la banque de lui ouvrir un compte. Après de nombreux échecs auprès de cabinets de recrutement – « je n’avais pas fait mon deuil, je n’ai pas été assez bon » – il se décide à relancer l’activité de figurines et de sculpture. La société Héritage Collection – entretemps choisie par le tribunal de Dieppe pour redémarrer l’activité – lui confie les rênes comme dirigeant-salarié. Un nouveau départ qu’il concrétise en orientant la société vers de nouveaux défis : diversification des licences de marques (Schtroumpfs, Star Wars, jeux vidéo…), e-commerce afin d’être en contact direct avec les clients et impression 3D. « J’ai pris le parti de continuer d’assouvir mes passions, de rêver pour intéresser les autres. Je me suis formé dans ces domaines, afin de bien négocier les prochains virages stratégiques et technologiques », explique celui qui a rejoint l’association digitale Normandie Web Xperts.
Leçons de maux de Laurent Buob
« Une caution personnelle et pas d’assurance »
Comment avez-vous compris qu’il y avait un problème après la reprise de Leblon Delienne ?
Des malversations me sont apparues lorsque j’ai dû payer les premières royalties correspondant au premier trimestre : les montants étaient supérieurs à ce qui était réglé auparavant. Mes prédécesseurs ne déclaraient pas tout, et ce malgré la certification par un commissaire aux comptes. Et ce n’était que la face émergée de l’iceberg. Trouvez une malversation, vous en trouverez forcément d’autres. La société Moulinsart a rompu son contrat – même si je n’étais responsable de rien – et ce sont 25% du CA qui sont partis en fumée. J’étais malgré tout persuadé de rebondir avec les 40 salariés.
Pourquoi avoir persévéré ?
L’aide obtenue à la médiation du crédit et à la région m’a donné espoir. J’ai embauché quatre commerciaux, le CA a grimpé à quatre millions, avec 350000 euros de résultat net. Mais les banques, malgré la garantie Oséo, ne s’en contentaient pas : les remboursements du LBO n’étaient pas respectés. En plein été l’une d’entre elle nous a coupé les crédits, nous sommes passés par une conciliation administrative, puis un redressement juridique en février 2011. Là encore les banques étaient trop gourmandes, acceptant de reporter un tiers de la dette. En 2012 nous avons été bénéficiaires, un plan de continuation a été accepté. En 2013 nous avons même signé Jeff Koons pour Dom Pérignon. En 2014 nous avons replongé, avec une crise de liquidité.
Quelles erreurs avez-vous commises avec le recul ?
J’ai sous-estimé le procès avec les cédants, qui ont bénéficié d’une clémence déroutante du tribunal de commerce. Les frais d’avocats me coûtent 50000 euros par an. L’affaire dure depuis dix ans, et nous ne sommes pas encore allés en première audience pénale ! Et puis en 2009, cédant aux banques, j’ai signé une caution personnelle, sans être assuré GSE. J’avais accumulé de mes expériences professionnelles précédentes un million d’euros, qui ont été engloutis dans ces deux aventures. Au 1er janvier 2015, ma dette personnelle s’élevait même à 250000 euros. J’ai arrêté de verser les pensions alimentaires.
Avez-vous un conseil à donner à ceux qui cherchent à rebondir ?
La dynamique est cruciale : continuez de vous intéresser, d’être curieux, malgré les difficultés. Et gardez les pieds sur terre en cultivant un réseau dans ces domaines. Pour atteindre vos objectifs, il faut aider ceux dont vous avez besoin à atteindre les leurs. Grâce à ces revers, j’ai pu m’investir avec cet état d’esprit dans le digital et le e-commerce.
Julien Tarby