Temps de lecture estimé : 3 minutes
Mariage de raison
Le Made in France a deux visages, le premier qui reflète nos traditions et savoir-faire professionnels et le second qui n’évite pas d’angliciser le « Fait en France » pour mieux plaire et montrer son côté innovant… Retour sur cet aspect bipolaire de notre savoir-faire qui trouve écho tout autant dans le patriotisme du consommateur que dans les innovations proposées par les entrepreneurs.
Dans les années 90, rares étaient les enseignes à se vanter du « Made in France ». La couturière Agnès B. était à cet égard un précurseur en affichant, en caractère gras sur l’étiquette de certaines de ses chemises, la phrase « fabriquée en France ». Certes, ces chemises étaient un peu plus chères que celles des collections plus mainstream en provenance du Maroc, mais, il faut le reconnaître, elles étaient et continuent d’être mieux coupées et d’un coton plus noble. Depuis, l’avalanche made in France s’est abattue sur le pays, avec, parmi les détonateurs, Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique sous la présidence Hollande. Si le livre La bataille du made in France, rédigé par le thuriféraire d’une hypothétique sixième République, ne passera sans doute pas à la postérité, chacun se souvient de l’engagement de ce dernier pour une « cause nationale » et de sa communication tricolore sur la marinière et le robot mixeur.
Toujours est-il que le concept du « Made in France » a fait depuis son petit bonhomme de chemin. Selon un sondage Ifop d’octobre 2016, « 90 % des Français considèrent la thématique du «made in France» comme importante pour l’avenir et 79 % déclarent même s’y intéresser de plus en plus ». Pour 93 % des consommateurs, acheter un produit fabriqué en France est une manière de soutenir les entreprises françaises et de participer au maintien de l’emploi dans l’Hexagone, selon un autre sondage Ifop de septembre 2017.
Le made in France plébiscité
Les résultats de ces sondages suscitent des interrogations. Les Français seraient-ils devenus « trumpiens », reprenant à la sauce franchouillarde le slogan « America First » (« L’Amérique d’abord ») ? Certes, 91 % des Français considèrent qu’acheter français est un moyen permettant de préserver des savoir-faire français. En outre, 88 % estiment également qu’il s’agit d’une garantie d’avoir un produit fabriqué selon des normes sociales respectueuses des salariés. Pour 75 % des interrogés/sondés, acheter français c’est aussi l’assurance d’avoir un produit de meilleure qualité tandis que 72 % sont sensibles à la garantie d’avoir un service après-vente. Entre les lignes, apparaît clairement l’attachement des Français pour les traditions, le « savoir-faire » français vanté à longueur d’émissions consacrées aux « compagnons du devoir » et autres « meilleurs ouvriers de France ». Cela dit, les Français, tout autant que le reste du monde, restent avides d’innovation comme en témoigne le succès constant des nouveaux modèles d’iPhone dans l’Hexagone….
Cette volonté des Français d’associer tradition et innovation a été très bien comprise par les entrepreneurs qui ne cessent de s’adapter à l’évolution de la demande et des modes de consommation. Présentes depuis cent ans sur la table de nuit des Français, les fameuses boules Quies ne s’endorment pas sur leurs lauriers. « Notre notoriété nous a permis ces dernières années d’innover avec succès. Au-delà de nos célèbres boules de cire ou en mousse et silicone, nous produisons désormais des produits auditifs pour les professionnels – les musiciens ou les sociétés de sécurité », explique Olivier Denis du Péage, PDG et héritier du groupe familial. Cette soif d’innovation est partagée dans moult secteurs comme les sous-vêtements masculins (Le slip français), et la grande consommation.
Traditions-innovations, le combo gagnant
Depuis le mois dernier, une jeune marque de glace compte bien faire fondre les Français. What the French ?! entend bien bousculer le marché de la glace et celui du bio. Lancée par French by Nature, une start-up lyonnaise, What the French ?! est une gamme de glaces et sorbets bio, autoproclamant ses produits « gourmands, funs et authentiques ». La marque dévoile une offre de pots de glace bio made in France aux parfums décalés : Do You do You, Cuba Lover, French Kiss… « Nous visons en priorité la génération des millenials qui apprécient les produits bio, authentiques et innovants. Nous sommes ainsi les seuls en France à proposer dans chaque glace une association de trois ingrédients qui créent l’identité des glaces What The French ?! : un coulis de fruits/caramel, une crème glacée ou un sorbet, des inclusions gourmandes », expliquent les deux fondateurs, Philippe Varloud et Thierry Honoré. Belle innovation, la marque propose également une glace alcoolisée saveur Mojito ! Le « Made in France », savant combiné tradition et innovation, a, en réalité infusé tous les pans de l’économie… jusqu’au pressing à domicile. Fondé en 2014, Le Lavoir Moderne a choisi de démocratiser le pressing en proposant aux clients un prix concurrentiel de 4 euros le kilo de linge, qu’ils prévoient encore de diminuer à 2,50 euros d’ici à la fin de l’année 2018. Les investissements réalisés en recherche et développement ont rendu possible la fixation de tels prix. « Lavoir Moderne a ainsi développé une puce RFID permettant une traçabilité du linge en temps réel ou encore un scooter électrique utilisé par leurs lavandiers et doté d’un coffre adapté au transport de vêtements pour lequel nous avons déposé un brevet », explique l’un des fondateurs Alphadio Olory-Togbé. « Pour répondre aux demandes des clients et parce que nous sommes conscients des enjeux écologiques, nous avons diminué par cinq la quantité de détergent, nous recyclons les eaux usées, utilisons des produits biodégradables, etc. », ajoute le dirigeant. Finalement, les entreprises, loin de se contenter de surfer sur « un engagement patriotique » des Français, ont fait le choix de la qualité et de l’innovation. Gagnant/gagnant donc pour le consommateur citoyen !
Street marketing et made in France
Le « Made in France » bat le pavé
Comme un clin d’œil. C’est dans la rue du Vertbois, dans le troisième arrondissement de Paris, jusque-là essentiellement connu pour abriter le bistrot typiquement français L’Ami Louis où se croisent David Beckham, Woody Allen et tous les patrons du CAC 40, que s’est installée depuis le 15 mai et jusqu’au 15 juillet l’opération « rue made in France ». Dans les magasins loués pour l’occasion, on trouve les savoir-faire français et ils se nichent partout ! « Si vous êtes de passage, vous pourrez y acheter des jeans, chaussures, sous-vêtements mais aussi des jouets, de l’équipement pour la maison ou même votre brosse à dents ! », explique Françoise Naudet, co-organisatrice de cette initiative. « L’objectif est de donner une visibilité à des marques qui veulent relancer l’industrie et la fabrication françaises. L’idée de la rue est aussi de sensibiliser les consommateurs à leurs actes d’achats et de les convaincre de se tourner davantage vers les produits tricolores », souligne l’organisatrice, également présidente de Savoir french. Enfin, l’objectif est de prouver que made in France ne rime pas toujours avec luxe. Ainsi, les tee-shirts éthiques et écologiques sont étiquetés à 30 euros tandis que le sachet de pâtes est vendu moins de 2 euros. Un savoir-faire français plus accessible que le poulet de L’Ami Louis facturé à 92 euros (pour deux) …
Pierre-Jean Lepagnot