Osons les organisations bio-inspirées !

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Dans la nature, les récifs coralliens ou la forêt primaire constituent des écosystèmes matures, dits de type 3, c’est-à-dire qu’ils s’auto-organisent en une communauté intégrée pour se maintenir et utiliser au mieux les ressources disponibles sur le long terme. Quid de notre civilisation humaine si élaborée ? Pour un écologue, elle serait de type 1… Faible diversité, utilisation gourmande des ressources nutritives, croissance forte basée sur une consommation excessive d’énergie et une production de nombreux déchets. Éphémère, et minoritaire dans la nature… De quoi rendre plus humbles les hommes dont les organisations sociales et économiques devraient s’améliorer en copiant les relations que les espèces entretiennent entre elles au sein de leur écosystème. Avec les pénuries qui s’annoncent, le monde complexe de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui amélioré à la marge. Or, Nature Corp aligne 3,8 milliards d’années de R&D d’avance et montre les meilleures orientations, peaufinées à l’issue de longues phases d’essais-erreurs. « La vie entretient la vie. Les espèces s’approvisionnent localement, utilisent des déchets comme matériaux, ne surexploitent pas leur environnement, récoltent en permanence des informations pour améliorer leurs process… », énumère à Biomim’Expo Gauthier Chapelle, co-animateur de la chaire Regenerative economy à l’université catholique de Louvain.

Plus loin que la copie des formes, matériaux et procédés

Certes, Léonard de Vinci étudiait déjà les organismes afin de développer de nouvelles technologies. Mais Janine Benyus, biologiste américaine auteure d’un ouvrage de référence en la matière, a relancé l’approche dans les années 1990. Les ingénieurs japonais se sont servis du bec du martin-pêcheur ‒ à la pénétration dans l’eau exceptionnelle ‒ pour profiler le TGV nippon, réduire sa consommation énergétique et ses nuisances sonores. Aujourd’hui, les concepteurs de drones s’inspirent des abeilles ou des mouches pour gagner en autonomie, les constructeurs d’avions ajoutent des ailettes à leurs appareils sur le modèle des aigles ou inventent des revêtements calqués sur la peau de requin pour gagner en aérodynamisme. Les matériaux aussi sont à l’honneur. La start-up Cine’al utilise la chair ultra-absorbante des méduses, constituée à 90 % d’eau, pour concevoir des couches culottes biodégradables. Autant de réponses à des problématiques industrielles, environnementales ou de santé, plus efficaces, moins énergivores, polluantes ou coûteuses qui ne demandent qu’à être recueillies chez les plantes, animaux ou champignons. « La nature allume des lumières dans nos têtes en matière d’ingénierie, de communication, d’énergie », s’enthousiasme Maria Fabra-Puchol, responsable R&D chez Isover du groupe Saint-Gobain. Les feuilles de lotus hydrophobes l’ont inspirée pour concevoir une vitre autonettoyante. « Pour mettre au point le bâtiment durable de demain, nous recherchons des matériaux qui interagissent différemment avec leur environnement selon le rayonnement – à l’exemple des ailes de papillons qui absorbent ou réfléchissent la lumière selon la température », relate Christophe Ménézot, professeur à l’université Savoie Mont Blanc. Mais les chercheurs ne se contentent plus d’observer les propriétés des filaments de moules pour concevoir des adhésifs. Au-delà des formes, des matériaux et des procédés, il existe un biomimétisme à plus grande échelle capable de tirer parti des écosystèmes et processus de la nature pour s’appliquer aux villes, territoires et entreprises. « Un système économique et social », annonce Gil Burban, fondateur de Polypop Industries qui décontamine des sols et crée du compost grâce à des cultures de champignons.

« Permaéconomie »

Ce concept, cher à Emmanuel Delanno, économiste et consultant, appréhende toute la production comme des écosystèmes en boucle, grâce à des combinaisons d’organismes dotés de spécialités. Le but ? Connecter sur un territoire de multiples productions aujourd’hui indépendantes pour générer des bénéfices environnementaux. « Quand les feuilles tombent, on n’organise pas un ramassage. La nature produit en cycle, quand nos industries produisent en ligne des choses dont personne ne veut », illustre Idriss Aberkane qui enseigne à Centrale Supelec et multiplie les conférences sur le sujet. Chaque déchet est transformé en source d’énergie pour un autre organisme. Autant s’en inspirer, dans des boucles toujours plus ouvertes, complexes et flexibles. « Les publications académiques sur le bâtiment vu comme un organisme vivant qui optimise l’eau, l’énergie et qui contribue à la régénération de l’écosystème, se multiplient », illustre Kalina Raskin, directrice générale du Ceebios, pôle de recherche à Senlis qui fédère laboratoires, PME, start-up autour du biomimétisme. « Les agences économiques essaient de boucler les cycles du carbone tout en dynamisant et densifiant le tissu économique local. Multiplier les liens entre les entreprises existantes crée de nouveaux marchés et augmente la résilience du territoire », approuve Gil Burban. L’approche permaéconomique mise sur les besoins de chaque acteur, sur les relations qu’il entretient avec les autres, sur ce qu’il apporte au groupe en maximisant les échanges d’information et de flux, les coopérations. Ce qui passe par la mobilisation des acteurs. « Nous trouvons des analogies avec des espèces “totems” qui invitent notre client à prendre conscience des externalités que produit son organisation ‒ pas seulement environnementales et négatives, mais aussi sociales et positives, utiles, vitales pour d’autres acteurs, pour le territoire… », explicite Paul Boulanger, président associé de Pikaia, société de conseil en solutions biomimétiques pour les entreprises et collectivités. Le dirigeant appréhende mieux ses contraintes et ses dépendances vis-à-vis d’autres acteurs ou ressources. En s’interrogeant sur son utilité dans l’écosystème, il imagine de nouveaux services, de nouvelles synergies et co-créations. « Le décideur doit acquérir une approche systémique de son modèle d’affaires car il n’existe pas d’économie hors sol », rappelle-t-il, lui qui prône la coopération. « La loi de la jungle n’est pas si omniprésente dans la nature car la compétition, bonne en période d’abondance, coûte cher aux espèces qui s’affrontent lors des pénuries. Les grands arbres nourrissent les petits, il y a redistribution et le flux s’inverse à une saison plus propice, par l’entremise du mycélium sous-terrain. » Veiller sur la santé des autres pour assurer la sienne… « Nous élargissons la manière de penser des chefs d’entreprise dans le temps, sur leurs actions conjointes avec des concurrents ou des territoires », résume Bruno Lhoste, président d’Inddigo. Lui propose des solutions d’ingénierie pour le traitement des déchets ou l’énergie des bâtiments.

Le management revisité

Les organisations pyramidales ont privilégié avec succès le « faire », le « produire » et les économies d’échelle pour aboutir à une configuration insolite, non connectée au monde vivant. « L’organigramme en pyramide, inventé par les civilisations agricoles, n’existe pas dans la nature car c’est le schéma d’organisation qui présente le moins de connexions entre ses membres et donc le moins d’intelligence collective », illustre Paul Boulanger. Selon les études, même un arbre dans une forêt est connecté à 47 autres grâce aux racines et au mycélium. Hier, les gagnants étaient ceux qui excellaient en surveillance et contrôle, désormais ce sont ceux qui exploitent au mieux les capacités de leurs équipes. Il leur faut rester à l’écoute de leur écosystème, des clients, des marchés, puis ajuster leur trajectoire en conséquence. Sont-ils armés pour devenir plus agiles ? Non. « La verticalité empêche bien souvent les salariés d’exister en tant qu’individus. Les champs émotionnels, intuitifs et relationnels ont peu de place », déplore Olivier Pastor, cofondateur de l’université du Nous, laboratoire d’expérimentation de la gouvernance partagée. Selon ce conseil d’ONG et grands groupes comme Danone ou Auchan, les organisations doivent désormais être considérées comme des organismes, dotés de cellules décentralisées de prise de décision. Plus facile à dire qu’à faire… « Elles ont besoin d’équipes transversales, mouvantes selon les compétences, connectées entre elles », décrit Gilles Martin, associé fondateur de PMP, conseil en innovation managériale. Comment redistribuer l’autorité, comment chaque membre pourrait agir de manière souveraine dans sa sphère de compétence ? « Fourmis ou abeilles le réalisent, tout en interagissant avec les autres », énonce Olivier Pastor, intervenant à l’Institut des futurs souhaitables. Des leçons d’intelligence collective à puiser dans la ruche ? Henry Duchemin, apiculteur et fondateur de Melilot Consulting, conseille entreprises et collectivités sur leur stratégie en s’inspirant des organisations collectives des abeilles. Il n’en démord pas : « La reine ne commande pas tout et la logique contributive compense celle d’autorité. L’ensemble fonctionne grâce à la phéromone de cohésion qu’elle produit et que se partagent les abeilles jours et nuits. Dans une telle organisation, la cohésion doit donc être le souci permanent du manager pour générer sentiments de sécurité et enthousiasme des salariés », serine le conférencier. Car le succès dépend de leurs contributions personnelles. « Sans chef, tout le monde œuvre à un projet commun, en interrelation avec les autres parties prenantes. L’abeille qui produit la cire aménage l’intérieur de la colonie en relation avec les autres. Durant sa vie, elle changera jusqu’à six fois de métier », décrit le spécialiste. Autant d’exemples éclairants pour un management repensé.

Ce n’est qu’un début…

L’écomimétisme pourrait aider les organisations à sortir des silos fonctionnels et à mieux s’intégrer dans leur environnement. À condition d’exploiter les bonnes analogies. Économistes, écologues, biologistes… doivent travailler de concert pour engranger toujours plus de connaissances utiles. « Durant les dix dernières années, les papiers académiques ont été multipliés par 15 sur le sujet. En France, 175 équipes de recherche travaillent sur le biomimétisme aujourd’hui », se réjouit Kalina Raskin. Peut-être à cause des contraintes environnementales, économiques et règlementaires qui reproduisent désormais celles de la sélection naturelle… .

Julien Tarby

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