La France des micro-entreprises : le désir de créer

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Boosté par des évolutions réglementaires, l’entrepreneuriat séduit un nombre croissant de Français/es. Mais comment franchir le pas ? Quelles sont les clés du succès ? On le serine sur tous les tons, l’entrepreneuriat ne s’est jamais aussi bien porté en France. Les dernières données de l’Insee font état d’un degré record de création d’entreprises en septembre 2019 avec 70 605 nouvelles immatriculations, soit une hausse de 4,2 % (mais on frise la disparition de 50 000 TPE/PME par an).

Et cette tendance s’installe depuis plusieurs années. Tout de suite un bémol, au cas où l’on s’imaginerait que ces entreprises nouvelles sortent tout droit du néant avec président, DG, personnel salarié et site de production : la flambée est portée par les microentreprises lancées par les micro-entrepreneurs. Autrement dit, vous, moi, nous improvisons créateurs de notre propre emploi, par goût, opportunité ou nécessité. En 2018, déjà année record en la matière, près de la moitié des 691 000 créations enregistrées étaient des microentreprises. Encore ne s’agit-il pas toujours d’un job autosuffisant. Ceux que l’on nomme les slashers cumulent plusieurs activités, aussi bien en salarié qu’en indépendant, ils/elles participent à cette confusion des formes. L’entrepreneuriat est aussi, comme le souligne la Direction générale des entreprises (DGE), un « objet médiatique, en proie aux effets de mode ».

Devenir entrepreneur, une perspective de revalorisation

Pareil engouement s’inscrit dans une évolution culturelle. « Aujourd’hui, l’a priori est positif.
Ce n’était pas le cas il y a seulement dix ans. Ce qui a changé, c’est la création du statut de micro-entrepreneur qui autorise à se lancer et à tester un projet à moindre coût », constate Matthieu Douchy, président fondateur de Créactifs – il propose des modules de formation sur la création et la reprise d’entreprise. Créé en 2009 par Hervé Novelli, alors secrétaire d’État aux PME, ce statut a levé l’un des freins à la création en abaissant la barrière financière. « Les évolutions réglementaires telles que l’entreprise à 1 euro ou le statut de micro-entrepreneur ont diffusé l’idée que tout le monde pouvait entreprendre », constate Bernadette Sozet, déléguée générale d’Initiative France, réseau associatif de financement et d’accompagnement des créateurs et repreneurs d’entreprise. Excellente mentalité. Ne nous leurrons pas, le contexte économique joue aussi un rôle. L’installation durable d’un fort taux de chômage dans le paysage a modifié notre perception des parcours professionnels. « Nous sommes sortis du déroulé de carrière “formation-salariat-retraite”. Avec l’arrivée du chômage, les parcours sont bouleversés. Ils deviennent moins linéaires. Devenir entrepreneur s’intègre de mieux en mieux dans une carrière », analyse Alain Bosetti, cofondateur d’En Personne et des salons SME (microentreprises) et SME Online.

De nouvelles figures emblématiques ont participé à l’image attractive de l’entrepreneuriat. « Le phénomène des start-up et les récits autour des “héros” du numérique ont créé un mythe et donc des aspirations », reconnaît Alain Bosetti. Les formes prises par l’entrepreneuriat traduisent une envie d’indépendance. Le boom du micro-entrepreneuriat et du freelancing (travail indépendant) illustre le phénomène, qu’a contrario Bosetti compare aux « grandes organisations, avec leurs lourdeurs et leurs routines, qui n’attirent plus. La création de sa propre activité apparaît comme une perspective de revalorisation ».

Âge moyen du créateur d’entreprise, 36 ans

Et quelle revalorisation ! Elle s’associe à la recherche de sens, au désir d’expression de sa créativité ou encore à une volonté d’être utile. « Une nouvelle tendance apparaît avec l’envie des jeunes d’entreprendre. Ils ne veulent plus seulement gagner de l’argent ou être patron. Ils/elles veulent être utiles et agir positivement sur la société. L’idée de liberté et d’indépendance est toujours une aspiration, un moteur, mais elle n’est plus la seule », confirme Bernadette Sozet. Du reste, l’âge moyen des créateurs d’entreprise s’est abaissé de deux ans en 2018 : il était alors autour de 36 ans, selon l’Insee. Et les secteurs des services à la personne, de la silver économy (économie du grand âge), de la croissance verte et du développement durable comptent un nombre croissant d’initiatives.

Dernier élément associé à ce boom de l’entrepreneuriat, la révolution numérique. Les grandes plates-formes de mise en relation entre clients et entrepreneurs ont par exemple ouvert un nouveau champ de possibles. Bien sûr, Uber et sa conséquence en France en sont l’exemple : l’explosion du nombre de chauffeurs VTC au statut de micro-entrepreneur. De nouveaux outils sont venus faciliter la concrétisation d’un projet en levant des freins et des coûts. En matière de communication, par exemple, avec les réseaux sociaux, en matière juridique avec les legal tech (services juridiques numériques) ou encore du côté du financement avec le crowdfunding.

Trois questions à se poser

Dans ce contexte favorable et en plein bouleversement, plusieurs fondamentaux demeurent. « Quand on pense à se lancer, il est important de comprendre ses motivations – autonomie ? image sociale ? raison financière ? envie de se réaliser ? Il faut ensuite trouver la bonne idée, c’est-à-dire identifier un manque, un besoin à satisfaire », rappelle Pascal Grémiaux, PDG et fondateur d’Eurécia, une PME toulousaine spécialisée dans les RH, et attaché aux basiques de l’entreprise, à l’image de Xavier Delaunay, cité en introduction. Qu’il s’agisse de l’ouverture d’un restaurant en franchise dans une zone non couverte par une enseigne ou le développement, à partir d’un travail de recherche, d’une start-up dans les biotechnologies, le cheminement d’un entrepreneur vers le succès ne peut s’affranchir de quelques règles.

« Quand on a une idée, trois questions sont à poser. Ce que je veux faire : mon objectif, mon ambition, mes valeurs. Ce que je sais faire : mes compétences. Et enfin, existe-il un marché solvable ? C’est à l’intersection de ces trois réponses que l’on dispose d’une activité à développer », insiste Alain Bosetti. D’une certaine façon, l’étonnant développement, depuis des décennies, de la franchise et du commerce associé en France (l’entrepreneur acquitte un droit d’entrée puis des royalties auprès d’un franchiseur qui lui apporte son enseigne et son savoir-faire) s’inscrit dans cette dynamique, alors même qu’un franchisé connaît deux fois plus de chances de passer le cap des deux ans par rapport à une entreprise indépendante : il existe en France en 2018 plus de 75 000 franchisé/es

Les réseaux d’accompagnement, un passage obligé mais ils sont pléthore…

L’entrepreneur du XXIe siècle est une espèce en danger qui se doit de limiter les risques. « Un prérequis est l’identification des points bloquants et des freins. Dans le cas d’un projet de restaurant par exemple, le point bloquant peut s’identifier à l’apport financier et le frein au manque de connaissance spécifique comme les normes d’hygiène. C’est la manière de répondre aux problématiques et de faire évoluer son projet qui fait la différence », assure Matthieu Douchy. Il suggère de confronter rapidement son idée au regard de son entourage et de ses futurs clients. « C’est du résultat de cette confrontation que naîtront les prochaines étapes. »

Dans cette logique de confrontation de son idée, de nombreux réseaux (1 680, et c’est trop, opinent certains) accompagnent les porteurs de projet de création d’entreprise. Ils sont institutionnels, à l’image des initiatives de Bpifrance ou de CCI Entreprendre en France, ou associatifs comme c’est le cas d’Initiative France qui, à côté d’un appui financier via des prêts à taux zéro, propose un accompagnement par des professionnels aguerris (entrepreneurs, juristes, banquiers). « Les porteurs de projet sont ainsi challengés sur leur plan d’affaires, conseillés dans la finalisation de leur plan de financement et dans les premiers contacts avec une banque, détaille la déléguée générale, Bernadette Sozet. Il s’agit par exemple de s’assurer que le plan de financement est bien dimensionné. En la matière, plusieurs risques existent : sous-estimer les besoins et ne pas disposer des fonds de roulement et de la trésorerie nécessaires ou engager son patrimoine personnel plutôt que d’emprunter. »

Se confronter à un regard expérimenté est un « premier crash test », selon Alain Bosetti. « Il existe un effet miroir, une mise en lumière des zones d’ombre du projet. De quoi affiner l’idée, définir le modèle de création – reprise, franchise, société, etc. » Le passage par une structure d’aide, un réseau d’accompagnement ou encore un accélérateur mûrit son projet. Ce type de suivi ou d’accompagnement améliore le taux de survie de l’entreprise. « Sans appui, le taux de survie d’une entreprise à cinq ans ne franchit pas 55 %. Avec un suivi par un réseau, ce taux dépasse les 70 % », insiste Bosetti. Chez Initiative France, le taux de survie à cinq ans dépasse même les 90 %.

Ça se prépare, comme une grande randonnée…

Ces réseaux constituent bien sûr avant tout une porte d’entrée vers les acteurs du financement. À côté des « traditionnels » que sont les banques, les plates-formes de crowdfunding deviennent le réflexe pour lever les fonds nécessaires (l’emprunt moyen d’un entrepreneur en phase de création de son activité ne dépasse pas 10 000 euros). Sans oublier les produits financiers directement conçus pour les créateurs/trices : les prêts d’aide à la création d’entreprise (PCE), à taux zéro avec des facilités de remboursement ou l’aide financière de Pôle Emploi pour les demandeurs d’emploi créateurs d’entreprise, par exemple. En prime, l’insertion dans un réseau professionnel local.

Car côtoyer ses pairs favorise le partage d’expériences. « C’est essentiel pour se remettre en question et prendre le recul nécessaire, estime Matthieu Douchy, d’autant que les entrepreneurs ne disposent pas de l’ensemble des compétences indispensables ». Un réseau identifie les opportunités de partenariat, voire d’association. « Avant de s’associer, il faut se demander pourquoi on le fait : contre l’isolement ? pour des compétences ? pour un apport financier ? », met en garde Pascal Grémiaux. « Comme le mariage, c’est un engagement de long terme : il faut aussi être compatible. »

Pour ce spécialiste des RH, il est en outre essentiel de se ménager. « Il est nécessaire de s’octroyer des pauses. Travailler beaucoup ne signifie pas toujours être efficace. Savoir décrocher peut s’avérer le plus dur. Pourtant, c’est dans des moments qui semblent improductifs que les idées peuvent se former et émerger », témoigne Pascal Grémiaux.

Entrepreneuriat, aventure de long terme. Bernadette Sozet image : « La création d’entreprise s’apparente à une randonnée : il faut s’y préparer, s’équiper, placer dans son sac ce dont on a besoin pour l’ensemble du voyage ou prévoir des étapes pour arriver au bout. » Entreprendre au XXIe siècle, au fond, millenials et start-up ou pas, reste une aventure humaine individuelle. Rassurant.

Elsa Bellanger

Au Sommaire du dossier 

1. La France des micro-entreprises : le désir de créer

2. Les régions qui créent, incubent et accélèrent

3. Entrepreneur au XXIe siècle sur la planète

4. Le journal du futur

 

 

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