Temps de lecture estimé : 2 minutes
Intégrer l’erreur à la performance
C’est dans nos gènes ! L’erreur n’a pas bonne presse en France. Mais, un vent venu tout droit d’outre-Atlantique semble faire bouger les lignes. A petits pas.
Errare humanum est ! Le latin s’invite dans le management. A dire vrai, parfois attribuée à Sénèque, la locution est escamotée, tronquée. Complète, elle dit : « Errare humanum est, perseverare diabolicum. » En français dans le texte : « L’erreur est humaine, l’entêtement est diabolique. » Tout l’enjeu des débats qui animent les entreprises en 2018. Où se situe la frontière ? Quelle erreur accepter ? Quelle dose supporter ? Plus de deux mille ans après Sénèque, le management français commence à s’intéresser à cette thématique.
Ca se joue dès l’enfance
Rien à voir avec la mentalité au pays de l’Oncle Sam. Aux Etats-Unis, les banquiers demandent aux entrepreneurs de leur raconter les erreurs commises avant de signer un prêt. Quelqu’un qui a échoué saura ne plus recommencer. Une telle trajectoire rassure. Ce n’est peut être pas un hasard d’ailleurs si Jean-Marie Messier, ancien PDG de Vivendi Universal, a filé tout droit outre-Atlantique sitôt son « crash ». L’état d’esprit y est tout autre. Peu à peu, cette culture-là imprègne l’Hexagone. « L’évolution est palpable », explique Isabelle Rey-Millet, directrice générale d’Ethikonsulting, cabinet spécialisé en management, créé en 2006. « Se planter n’est pas mourir. Ce n’est pas contre-productif. Depuis trois ou quatre ans, on peut noter un retournement de situation. » Et Isabelle Rey-Millet de citer Charles de Gaulle, Churchill, Gainsbourg ou bien encore Mandela qui ont additionné des échecs… Le Premier ministre britannique avait d’ailleurs dit : « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. »
« L’erreur fait partie de l’apprentissage », souligne Sylvain Max, professeur associé au sein de Burgundy school of business (BSB) de Dijon. « Or, à l’école encore, la sanction tombe en cas d’erreur. Tous les enfants doivent agir de la même manière. Pour preuve, le cadeau de la fête des pères. Ils réalisent tous le même, au lieu de les laisser faire ce dont ils ont envie… La créativité est très encadrée. Promulgué à la fin de l’année 2017, le droit à l’erreur administrative est un signe d’évolution venu d’en haut. Cela donne de l’espoir ! »
Le sacre du retour d’expérience
Ce changement de paradigme n’est pas sans lien avec l’explosion des start-up – Blablacar l’a érigé en valeur centrale, comme au sein des Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) –, avec le recours massif aux nouvelles technologies. C’est moins le cas sur les chaînes de production, par exemple. Par ailleurs, la génération X ou Y avide de marges de manœuvre plus lâches ou larges n’y est sans doute étrangère non plus.
Des pointures bien installées dans le paysage économique ont intégré l’erreur à leur mode de management. Pêle-mêle, citons 3M, McDo, Renault, Edf, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou bien encore PSA. Les constructeurs automobiles lancent, en parallèle, plusieurs équipes de designers ou créateurs de nouveaux modèles. L’erreur fait partie intégrante de leur schéma de développement. La MAIF, assureur, l’a écrit noir sur blanc dans le cadre d’un accord collectif dédié à la qualité de vie au travail. C’était en 2014. « En parler avec les partenaires sociaux était important, pour l’inscrire dans une dynamique de management de confiance, explique Bernard de Laportalière, directeur adjoint des richesses humaines. C’était même un point final. Nous étions prêts à aller jusque-là, pour rendre nos collaborateurs plus autonomes, pour contribuer ensemble à leur épanouissement. » Nombre d’initiatives générées, réunions mises en place… Autant d’indicateurs suivis de près. Mais, pour que la mécanique ne se grippe pas, cette politique a été accompagnée de formations des managers. Comment gérer un conflit ? Comment gérer les émotions ? Comment faire la part entre une erreur et une faute ? Quels sont les éléments dont dispose le salarié au moment où survient l’erreur ? L’encadrement est parfois poussé à se remettre en cause à cette occasion.
Bilan et effet positifs
Quatre ans après l’introduction de ce droit à l’erreur dans les textes de gouvernance de l’assureur, le bilan est positif. « Plus vous faites confiance et qu’il y a du sens, plus les salariés le rendent, témoigne Bernard de Laportalière. Par ailleurs, une partie de la valeur de l’erreur est d’en tirer les enseignements. »
Il est un secteur dans lequel l’erreur a un statut tout particulier : l’aéronautique. « A chaque écart par rapport à la procédure, obligation nous est faite de le déclarer », tient à souligner Eric Prévot, commandant de bord sur Boeing 777, et par ailleurs porte-parole des opérations aériennes d’Air France. « Tout évènement doit être partagé, avec notamment le Pilot report (PIREP). Quel que soit le niveau de responsabilité, le niveau opérationnel, le travail sur l’erreur a permis depuis les années 60 d’aboutir à un système ultra-sur avec une exposition au risque. Il a construit le transport aérien. Les statistiques sont en 2017 les meilleures jamais obtenues. » Et le dispositif a été renforcé il y a moins de dix ans, repris par le Comité exécutif et le principe de la « non punition de l’erreur ».
Murielle Wolski