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Un placement pour amateurs / investisseurs avertis
Le vin continue de susciter l’intérêt des investisseurs. Mais pour éviter les déboires, quelques précautions s’imposent.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Cette célèbre citation d’Alfred de Musset laisse sans doute de marbre les investisseurs dans le vin, qui considèrent les grands crus du Bordelais ou de Bourgogne comme des actifs financiers moins risqués que les actions par exemple. « Le vin est un actif tangible, dont la rareté se construit avec le temps, ce qui fait mécaniquement augmenter les prix », explique Angélique de Lencquesaing, directrice générale déléguée d’iDealwine. L’engouement qu’il suscite est encouragé par de solides performances. En un peu plus de dix ans, l’indice des 100 plus grands crus français (WineDex 100) a augmenté de 147,5 %. Pour autant, l’AMF invite régulièrement les amateurs de bonnes bouteilles à ne pas écouter le chant des sirènes. Le mois dernier encore, le gendarme de la Bourse a regretté « le développement d’offres émanant d’acteurs qui proposent des investissements, aux rendements annoncés flatteurs, dans des secteurs aussi divers que le vin, les œuvres d’art, les panneaux solaires, les timbres, les diamants ou autres secteurs de niche ». Or, « si le produit proposé n’est pas régulé par l’AMF, alors les documents commerciaux établis par la société ne seront pas non plus examinés, et, en cas de problème, les recours seraient limités », rappelle l’institution. Cette dernière appelle donc les épargnants à la plus grande vigilance. « Il n’existe pas de rendement élevé sans risque élevé. L’épargnant pourra notamment se référer au taux du livret A », actuellement à 0,75 %, indique l’organisme.
Pas de garantie en cas de moins-value
Au-delà du risque d’arnaque classique déjà vu sur le Forex (la société de courtage se volatilise avec les fonds des épargnants) l’investisseur dans le vin doit être conscient qu’il s’expose à d’autres écueils, différents selon qu’on achète directement un vin en primeur, en ventes aux enchères ou via des caves patrimoniales clefs en main. Les deux premières solutions sont réservées aux connaisseurs. Pour cela, il faut suivre les actualités du secteur, se rendre aux foires aux vins et lire la presse professionnelle. La mode joue aussi sur les cours et il faut veiller à ne pas surpayer son vin. « De 2009 à 2011, le prix du second vin de Lafite Rothschild, Carruades de Lafite, a flambé sur le second marché, soutenu notamment par la demande chinoise jusqu’à dépasser les 300 euros la bouteille, soit la valeur d’un premier grand cru. La bulle s’est ensuite dégonflée entre mi-2011 et 2015 et je doute que les épargnants qui ont acheté à ce niveau de prix puissent rentrer dans leur frais au cours des prochaines années », estime Saad Ralph, associé gérant chez R&S Corp. Jugeant d’ailleurs globalement les prix des primeurs dans le Bordeaux trop élevés, le spécialiste n’a jamais investi car il n’y a plus ou très très peu de marge de progression (rendement) entre la date de sortie des primeurs et l’arrivée des primeurs physiquement dans votre cave. « L’investissement nécessite patience et prudence. Avec la forte augmentation des prix des primeurs, il faut s’inscrire dans une perspective de très long terme – au moins dix ans – pour espérer un bénéfice significatif », déclare Angélique de Lencquesaing.
Attention à la conservation
Aux enchères, où les prix sont censés représenter fidèlement l’état du marché, les investisseurs se doivent également d’être vigilants. Dans ce cadre, il est fortement recommandé de passer par des maisons d’enchères qui ont pignon sur rue comme Artcurial, Christie’s, Sotheby’s, iDealwine ou Tajan. En revanche, il faut vraiment éviter des sites internet de ventes entre particuliers (leboncoin, ebay) où l’acheteur ne connaît ni l’historique de la cave (risque de mauvaise conservation, de contrefaçon), ni la fiabilité du vendeur. « Avant de mettre du vin aux enchères, je me déplace personnellement pour vérifier l’état de la cave, son hygrométrie, sa température et si elle est protégée des vibrations », explique Ariane Brissart, directeur département vins et spiritueux chez Tajan. « Ce risque de mauvaise conservation est toutefois à nuancer. Un amateur qui a investi au fil des ans des milliers d’euros en vin a, en effet, tout intérêt à bien le stocker », ajoute-t-elle. Toujours est-il que l’enjeu est d’importance puisqu’il n’existe aucune assurance ou garantie couvrant la dégradation d’un vin.
Bien sélectionner son site
Enfin, les investisseurs qui n’ont pas le temps de suivre avec précision le marché peuvent se tourner vers des sites internet proposant de l’investissement en direct dans des grands crus à l’image de Patriwine, Cavissima, U’Wine ou R&S Corp. Ces entreprises achètent, pour le compte des particuliers, des bouteilles, et les stockent. Ces sociétés conservent les bouteilles plusieurs années dans des entrepôts spécialisés avant de les revendre en espérant une plus-value conséquente. « Le placement dans le vin offre sur longue période un rendement supérieur à 6 %. Pour dégager un tel rendement, il faut conserver ses vins quatre voire six à dix ans et consentir à ne jamais les boire », prévient Saad Ralph. Sa société propose à ses clients de conserver 100 % des vins d’investissement ou de leur en livrer un pourcentage « pour le plaisir ». Côté pratique, le site se charge du stockage et propose des assurances contre le vol et/ou le transport. Ce mode d’investissement dans le vin souffre toutefois de quelques défauts. En premier lieu, son ticket d’entrée est élevé, souvent à partir de 10 000 euros. Les frais (de gestion, d’assurance, de revente), ne sont pas toujours très lisibles et peuvent être également conséquents. Enfin, certains reprochent à ce système son opacité. « Pour des raisons fiscales, certaines sociétés conservent les vins de leurs clients dans les ports francs de Genève où la TVA n’est pas acquittée ce qui nuance les performances des fonds de placement. Par ailleurs, les conditions de sortie ne sont pas toujours très claires », estime Ariane Brissart. Pour éviter toute mauvaise surprise, la spécialiste conseille aux investisseurs de rester propriétaires de leurs bouteilles. Au moins, en cas de risque de moins-value, ils peuvent les boire !
Pierre-Jean Lepagnot