Sébastien Forest : Expérience nourrissante

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Idée trop précoce, levées de fonds démentes, bulle Internet et happy-end. Sébastien Forest a tout connu avec AlloResto. Récit.

Détendu, le jeune dirigeant fait une pause dans sa vie professionnelle. A 42 ans, il se consacre à ses enfants et à sa vie de famille. « J’ai gagné de l’argent, j’en profite. Partir toutes les vacances scolaires n’est pas compatible avec la direction d’une entreprise. J’ai décidé de faire un break pendant deux ou trois ans. » Pourtant, le trublion du Web n’a pas complétement mis de côté son appétence pour l’entrepreneuriat. Il investit dans des start-up et les fait bénéficier de son expérience. Ironie du sort, il accompagne des entrepreneurs dans le cadre du fonds d’investissement Petit Poucet. « Les candidats sont des entrepreneurs toujours étudiants ou à peine sortis de l’école. Nous avons le même parcours. »

Car c’est bien quand il était étudiant que tout a commencé. Un dimanche soir de révisions pour sa licence de sciences éco, la faim se fait sentir. Un frigidaire vide, peu de restaurants ouverts, il aurait bien aimé se faire livrer. En 1997, Internet est encore peu développé mais il est convaincu qu’il tient une idée. Il déserte la Fac. Le jour où il aurait dû passer sa maîtrise, il dépose les statuts d’AlloResto. « Nous étions le 2 juin 1998, à quelques jours du coup d’envoi de la Coupe du Monde de foot, se souvient-il. Ce fut tout de suite un vrai succès commercial sur Paris et la première couronne, ainsi qu’à Lyon. Nous enregistrions deux ou trois commandes par jour : une prouesse alors que le Web balbutiait et qu’il fallait convaincre les restaurateurs du chiffre d’affaires additionnel potentiel. » Tout roule : AlloResto est élu meilleur site web de l’année 1998. La première levée de fonds s’opère en 1999. « Les 10 millions de francs servent à passer d’un one-man show – j’étais seul à l’époque – à un business structuré. Nous débauchons les directeurs commerciaux et financiers de très grands groupes à grands coups de stocks options. C’était une période folle ! »

Des livraisons de repas qui ont connu l’ombre et la lumière…
Des livraisons de repas qui ont connu l’ombre et la lumière…

Dépenser sans compter

L’argent ne manque pas. Les NTIC bouleversent le business et des idées naissent tous les 15 jours. « Nous y allions à tâtons. Nous apprenions tous les jours. » Mars 2000, la bulle Internet explose. « La première start-up ferme sans que ses investisseurs, les plus prestigieux de la place, ne lèvent le petit doigt. C’est un signal fort. » En parallèle, celles toujours sur le marché doivent dépenser, presque sans compter. « Le modèle consiste à vite utiliser l’argent car d’autres levées de fonds arrivent, avec en ligne de mire la Bourse, détaille Sébastien Forest. Le schéma est frénétique et encouragé par les financiers qui étaient censés être les plus mesurés. Tous les ingrédients de la bulle s’autoalimentaient : les investisseurs qui donnaient, les analystes qui sortaient des prévisions dithyrambiques, les marchés annoncés comme colossaux. »

AlloResto continue à se structurer, relève 10 millions de francs, ouvre de luxueux bureaux à Paris et Londres. « Même si notre gestion est prudente, nous dépensons le cash très vite. Lever de l’argent revient à repousser l’échéance… » Malgré l’affluence des commandes, le site n’est pas rentable. « Le business croît de 5% par mois. Il devrait progresser de 15 à 20%, nous n’y sommes pas. Le déficit se creuse. »

Sébastien Forest croit toujours en son idée, en même temps qu’il découvre la réalité des fonds d’investissement. « Ils ne voient pas d’intérêt à continuer de s’occuper d’un business dans lequel ils n’ont plus d’espoir. » Abandonné, il licencie 27 personnes sur 30. « Malgré le licenciement, l’entreprise n’est toujours pas rentable. » Vente du beau mobilier de bureau, déménagement dans des locaux modestes, mais aussi hébergement chez des amis, car l’absence de salaire l’oblige à quitter son propre appartement. « J’ai pu faire face à cette traversée du désert grâce à mes racines tourangelles et à mes proches, qui m’avaient permis de garder les pieds sur terre. »

L’euro symbolique

Quasiment revenu à son point de départ, Sébastien Forest, le tenace, reprend les fondamentaux du business : « Nos clients commandent alors en moyenne tous les trois mois. Si nous les incitons à commander tous les 1,5 mois, l’équilibre est de retour. Ce n’était pas une ambition délirante ». Le jeune dirigeant rachète pour l’euro symbolique leurs parts à ses investisseurs, démarre un sondage auprès de ses 15000 clients et découvre un réel affect pour la marque. « Trois leçons en sont tirées : les internautes veulent voir les photos des plats, ils souhaitent être récompensés de leur fidélité et ils veulent des avis sur les restaurants. Difficile pour AlloResto de répondre à ce troisième critère. On demande alors aux internautes de donner leur avis. C’est révolutionnaire à l’époque. » Une amélioration de l’activité se fait sentir dès 2003. L’arrivée de l’ADSL est providentielle. « En 2004, le chiffre d’affaires atteint 1 M€, à l’équilibre. L’entreprise a, depuis, toujours été rentable. » A partir de 2007, les taux de croissance avoisinent les 50%. « Nous redevenons une entreprise «normale».

Chaque euro gagné est réinvesti et doit rapporter. »

Just eat, le leader anglais de la livraison de repas à domicile, rachète des parts d’AlloResto en 2011. « Nous aurions pu nous internationaliser dès 2009 mais il aurait fallu beaucoup de cash, reconnaît Sébastien Forest. La prise de risque était trop importante. S’adosser à un groupe international était plus judicieux. » Progressivement, le dirigeant laisse s’installer Just eat et ne conserve que 20% du capital depuis 2014. Le fondateur opère à la direction du board d’AlloResto, qui a traité 100 M€ de volume d’affaires en 2015.

Entre deux périodes de vacances scolaires, il soutient des start-up (Popmyday, Cariboo), des projets dans le secteur des économies d’énergie ou investit aux côtés de Pierre Kosciusko-Morizet dans le fonds Isai. Et les porteurs de projets qu’il côtoie entendront souvent de sa personne le même conseil : « Toujours interroger et écouter ses clients, pour éviter de se gratter la tête seul dans son bureau ».

Stéphanie Polette

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