Pierre Fasquelle : Reconstruction après trahison

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La vie d’entrepreneur n’a pas été un long fleuve tranquille pour Pierre Fasquelle. De quoi en tirer quelques leçons dans son livre (1), véritable viatique de crise.

«Tout ce qu’il me reste, à 47 ans, c’est ce scooter », se lamente Pierre Fasquelle auprès de son avocat ce 12 mai 2012, sur le parvis du tribunal de Commerce après la liquidation judiciaire de sa société, dans laquelle il a englouti tous ses biens. Un moment douloureux, mais aussi l’occasion d’un nouveau départ. « Je suis reparti de zéro et j’ai tout reconstruit. De cette expérience, j’ai tiré une force et une philosophie de vie que je partage désormais régulièrement lors de rencontres et conférences », explique ce serial entrepreneur désormais tourné aussi vers le développement personnel.

Coup de massue

Le début de carrière de Pierre Fasquelle est orienté vers l’industrie, dans le Nord, mais il bifurque vers le métier d’agent général d’assurance, pour finalement investir ses fonds dans un cabinet niçois en 2005. Ses recherches entre 1994 et 2004 sur le besoin de reconnaissance et Abraham Maslow le conduisent en parallèle à écrire un livre sur le sujet, à créer le cabinet de conseil Oneos et à mettre en place des formations. En 2007 il revend les parts du cabinet d’assurances, après s’être effondré à l’aéroport de Nice, suite à un burn-out. En novembre 2007 un directeur de Philips lui apprend que les défibrillateurs deviennent publics, ce qui le conduit en mars 2008 à créer DEFIBRIL qui en un temps record passe de zéro à trois millions d’euros de CA grâce à un réseau d’agents commerciaux sur le pays. En 2011 sa mère tombe gravement malade, l’obligeant à passer l’été à Paris et à confier les rênes à ses seconds. Lorsqu’il reprend la direction, le CA entame une baisse anormale, pour même fondre de 50% en septembre. « Je suis allé voir le président de la CCI pour lui annoncer que quelque chose n’était pas clair. Après avoir placé la société en mandat ad hoc puis enquêté, nous avons constaté une vaste opération de détournement de clientèle par une association d’agents commerciaux que j’avais recrutés. Ceux-ci ont même cherché à créer une structure propre en décembre, ce que j’ai empêché », s’insurge l’entrepreneur qui a dû se résoudre à la liquidation et la revente des actifs, alors que la marque DEFIBRIL existe encore. « Le juge a voulu aller au fond des choses, nommer des experts pour une affaire qui partait pour traîner deux ans. Il valait mieux jeter l’éponge très vite, car les clients ne voulaient pas se mouiller. J’ai laissé 200000 euros en trésorerie, que les avocats ont allègrement piochés », se souvient-il amer.

De la désolation à la renaissance personnelle, il n’y a qu’un pas pour Pierre Fasquelle…
De la désolation à la renaissance personnelle, il n’y a qu’un pas pour Pierre Fasquelle…

Le goût de l’aventure malgré tout

Après toutes ces épreuves, qui passent par des nuits courtes, des échéances juridiques, des licenciements et le business à continuer jusqu’au bout, trois mois de repos lui sont nécessaires. Il devient alors directeur commercial d’une société d’import-export à Monaco. « Les gens me connaissaient et heureusement la confiance n’avait pas été effritée par l’affaire. Un de mes anciens fournisseurs chez DEFIBRIL, spécialiste des interfaces homme-machine comme les claviers souples, les écrans… est venu me trouver. » Ses clients voulant traverser de plus en plus de choses pour éviter les boutons ou écrans cassés l’ont conduit à développer une solution qui reconnaît le contact de l’être humain à travers tous les matériaux. « Je ne voulais pas rester dans ma zone de confort. Nous nous sommes associés et avons créé Open App avec l’argent de notre entourage », se souvient ce père de deux filles.

Leçons retenues

« Open App est innovante. Mais, en réalité, ma véritable innovation, c’est ma façon de vivre aujourd’hui », déclare celui qui a développé une nouvelle philosophie de vie et de travail, faisant preuve de plus de détachement et laissant une distance appropriée dans le travail. « Certes, je suis moins naturel, mais je fais plus attention à moi. Je ne prends pas les choses personnellement, me ménageant des plages de repos et d’évasion. Il faut savoir se régénérer pour être un patron qui rassure. » Une approche qui a été appliquée à Open App, développée avec beaucoup plus de prudence et d’humilité que par le passé. Les statuts ont été déposés en novembre 2013, et le premier brevet ne date que de janvier 2014. « Nous avons pris notre temps en phase d’exploration, obtenant au passage une médaille au concours Lépine. » Puis les deux compères ont levé par crowdfunding 300000 euros sur WiSEED, et 140000 euros auprès de Bpifrance qui va ajouter 100000. « En septembre 2015 il n’y avait encore ni salariés ni locaux. C’est en train de changer, mais la société restera un bureau d’études et d’engineering. Nous accordons des licences et percevons des royalties des fabricants distributeurs de matériel électrique ou de sécurité. » Une voilure radicalement différente, mais plus adaptée à sa personnalité. « Je ne voulais plus d’agents commerciaux. Je serais certes allé plus vite mais j’estime que ce genre d’organisation est dépassé. Ici nous fonctionnons en réseau avec des partenaires développeurs, en externalisant au maximum et en restant concentrés sur notre cœur de métier. J’aurais pu directement traiter avec Leroy Merlin mais il fallait une équipe logistique. Notre métier est de co-développer constamment, de garder avant tout une longueur d’avance car nous serons copiés. » Pour l’entrepreneur-conférencier, il importe de se concentrer sur ce en quoi on excelle, à savoir pour lui les partenariats, la diplomatie, l’ouverture de marchés. « Le management m’est une source d’effort, et j’ai choisi de l’éviter », explique celui qui semble avoir ouvert les yeux. « A DEFIBRIL je n’étais pas préparé, je n’avais eu que huit salariés dans l’assurance. Je me suis tout à coup retrouvé à la tête d’une organisation nationale, avec des indépendants à gérer où la relation est forcément plus complexe. En outre j’avais plus confiance en ces gens au caractère fort – je les avais sélectionnés pour ça –, qui siégeaient au comité et avaient donc accès à l’information puisque je la partageais presque entièrement, naïvement. » En chat échaudé qui craint l’eau froide, Pierre Fasquelle retient que le secret est important pour le dirigeant. « Une certaine vision de l’entreprise est à garder pour soi, même par rapport au comité d’administration. Les financiers ont besoin qu’on leur parle d’actions et de chiffres, les équipes d’objectifs opérationnels de court terme. Une idée de cloisonnement qui n’est pas dans l’air du temps, mais qui génère une situation plus saine. Dire à un salarié qu’on va manquer d’argent à terme signifie pour lui qu’il va être licencié. Ce qui n’est pas forcément le cas. » Le Niçois d’adoption a aussi récupéré la partie financière, qu’il déléguait auparavant à un directeur financier. Autant de résolutions qui découlent de son expérience passée, douloureuse, mais fructueuse…

(1) « Je n’en ai rien à faire », de Pierre Fasquelle, Ed. Ovadia, juin2015.

Julien Tarby

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