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La territorialisation,
voilà un marqueur
de nos écoles

Il est à la tête du plus grand groupe d’enseignement supérieur privé français. Débrouillard et passionné par l’univers de l’éducation, Marc Sellam a fondé le Groupe IONIS en 1980. Lui l’ingénieur, formé sur les bancs de l’ESME Sudria, a voulu commencer par fonder une école… de commerce ! « C’était le plus facile, les formations tertiaires ne nécessitent pas de laboratoires par exemple », illustre l’entrepreneur. Après l’ISEG, 27 écoles et entités suivront au fil des décennies, et de plus en plus au sein des territoires. ISG, EPITA, IPSA… voilà des noms qui vous parlent sans doute, tous ces établissements appartiennent à la galaxie IONIS. Certaines ont été créées de toutes pièces, d’autres ont été reprises et redressées. Quoi de plus beau que d’entreprendre dans un secteur qui construit les nouvelles générations, les décideurs de demain ? Évidemment tout n’a pas été simple pour Marc Sellam et ses équipes, qui ont vu leurs écoles associées moult fois à des boîtes à fric. « Il a fallu combattre cela », concède le président directeur général de IONIS, qui rappelle que l’avenir des étudiants prime sur tout le reste. Des lieux de vie plutôt que de simples campus où l’on vient chercher un diplôme, voilà l’objectif des écoles de commerce et d’ingénieurs, entre autres, qui composent le groupe. Et surtout, et c’est un facteur clé de succès : l’innovation. « Aucun projet pédagogique ne doit rester figé […] Tous nos programmes évoluent et s’adaptent aux impératifs de l’époque », insiste Marc Sellam, conscient par ailleurs que les jeunes générations ne travaillent plus ni n’apprennent de la même manière que leurs aînés. Entretien.

LA GALAXIE IONIS EST COMPOSÉE DE 27 ÉCOLES ET ENTITÉS :
■ ISG
■ ISEG
■ EPITA
■ SupBiotech
■ Epitech
■ ISG Sport Business
Management
■ e-artsup
■ IA Institut
■ Concours Advance
■ Epitech Digital School
■ ISG Luxury Management
■ XP (the Esport gaming
school)
■ Ionis-STM
■ PHG Academy
■ SecureSphere by Epita
■ SUPINFO
■ Executive MBA Epitech
■ ISG RH
■ ICS Bégué
■ ESME
■ Coding Academy
■ ETNA
■ MOD’SPE
■ IONISx
■ IPSA
■ Web@cadémie
■ ISEFAC
■ L’incubateur IONIS 361
■ Fondation IONIS

Vous créez le Groupe IONIS en 1980 en commençant par l’ISEG. Pourquoi se lancer dans le secteur de l’éducation ?

La création de l’ISEG arrive en effet en 1980, mais avant, j’ai travaillé nombre d’années dans des grands groupes. Ingénieur de formation et diplômé de l’ESME en 1974, j’ai mis mes compétences au service d’entreprises comme Thompson (devenue Thalès aujourd’hui, ndlr), IBM, et de ce qui s’appelait à l’époque la Direction de l’enseignement supérieur des postes et télécommunications. Durant ces années-là, après mon diplôme la France préparait sa numérisation des réseaux, soit tout ce qui allait amener à Internet. Mon problème à moi, c’est que je n’étais pas si heureux.

Au cours de mes études, j’ai pas mal enseigné, donné des cours particuliers. L’éducation s’est imposée à moi, d’où la naissance de l’ISEG, première école du groupe IONIS. Un ingénieur qui fonde une école de commerce… vous allez me dire pourquoi ? Tout simplement parce que les formations du tertiaire étaient le modèle le plus simple à mettre en place. Cela réclamait moins de moyens, nous n’avions pas besoin de laboratoires par exemple. Le premier campus prendra racine à Paris, dans le Xe arrondissement.

Quel accueil avez-vous reçu parmi les acteurs de l’enseignement supérieur privé ?

Le modèle de l’apprentissage, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, est à bout de souffle

Dans les années 1980, souvenez-vous, l’enseignement privé concernait avant tout le secondaire, peu le supérieur. Lequel était marqué par la présence de grandes écoles de commerce et d’un enseignement supérieur public bien huilé, avec des universités qui pratiquaient encore une sélection. Nous avions le champ libre. L’ISEG s’est rapidement développée au cours des premières années, devenant une école à part entière avec des formations bac + 3 et bac + 5 dans les domaines du marketing, de la gestion et de la communication. Dès 1986, l’école s’étend en province. La territorialisation, voilà un marqueur de nos écoles, nous sommes les pionniers sur ce point. Un enseignement supérieur privé qui va à la rencontre des étudiants en province… cela n’existait pas à l’époque où tout ou presque se passait à Paris.

En 1994, vous reprenez une école en difficulté, l’EPITA, pourquoi ce choix ?

L’ISEG se forgeait au fil des années une jolie notoriété, et nous restions à l’affût de nouvelles opportunités. Et notamment dans le domaine de la tech, secteur d’avenir. L’EPITA, une école spécialisée dans l’informatique, a connu ses heures de gloire, mais en 1994, confrontée à une mauvaise gestion de ses dirigeants, le couperet tombe et l’établissement se voit contraint à un dépôt de bilan. Moi j’y croyais alors j’ai décidé de reprendre l’école. Le problème n’était pas le secteur, très porteur, mais la gestion des anciens. Au contraire, à l’époque Internet était tellement peu développé, que ces écoles faisaient le plein d’étudiants curieux et mordus
d’informatique, qui y trouvaient un moyen de se connecter au monde dès lors qu’ils se trouvaient dans l’enceinte de l’école. L’EPITA est devenue une école d’ingénieurs, et nous avons su redresser la barre.

Aujourd’hui, vous comptez 29 écoles et entités, existe-t-il un ADN commun ?

© Laurent Guichardon

Ce qui relie toutes ces écoles, une chose avant tout : mettre l’étudiant au centre de notre logiciel. L’avenir de l’étudiant prime sur le rendement économique de nos écoles, même si cela compte évidemment. A nos débuts, on renvoyait nos écoles à des boîtes à fric… je ne pouvais pas prendre la parole sans être associé à ce monde de l’argent, comme si nous ne pensions pas au destin des étudiants accueillis. Il a fallu se battre contre ce préjugé, aujourd’hui la situation s’est améliorée.

Par ailleurs, tous nos établissements font preuve d’un esprit d’innovation perpétuelle. Aucun projet pédagogique ne doit rester figé. Les programmes évoluent en continu, pour s’adapter aux impératifs de l’époque. Enfin, la transversalité est quelque chose qui compte beaucoup pour nous. Oui des liens et des passerelles se font entre une école business et une école d’ingénieur. C’est facile à dire aujourd’hui, d’autres groupes tentent de le faire ou le font via des rapprochements entre écoles extérieures… alors que pour nous cette transversalité s’opère directement en interne, entre nos propres écoles.

LE GROUPE IONIS EN 5 CHIFFRES :
■ 35 000 étudiants
■ 100 établissements
■ 650 partenariats internationaux
■ 27 campus en France et
à l’étranger
■ 3 500 enseignants,
intervenants et collaborateurs

Le modèle de l’apprentissage se développe beaucoup en France. Est-ce une bonne chose selon vous ?

Je me méfie de ce modèle de l’apprentissage à tout va, il a clairement ses limites. Nos étudiants viennent avant tout chez nous pour se former, s’ouvrir au monde, et pas simplement chercher un diplôme. Un campus c’est un lieu de vie, où les étudiants se construisent, forgent leur esprit critique et d’innovation. Ce n’est plus le modèle du professeur qui, de haut vers le bas, transmet un cours qui sera ensuite restitué pour valider un examen et décrocher un diplôme. Les échanges et interactions comptent beaucoup chez nous, les projets de groupes aussi. Or l’apprentissage ne permet pas toujours cela. Oui nous en proposons, mais lors des dernières années de formation, pas dès le début. L’apprentissage est devenu un modèle low-cost, où l’étudiant ne paie pas, et l’école non plus (ou presque) parce que la formation est financée par un organisme public (OPCO, ndlr) et l’entreprise. C’est facile, mais ce n’est pas cela former.

Certes l’apprentissage a permis à un autre public d’accéder à certaines écoles de l’enseignement supérieur privé, je pense aux étudiants issus des milieux les plus modestes, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont bien formés. Le modèle de l’apprentissage, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, est à bout de souffle. D’ailleurs, on le voit, les aides publiques qui y sont liées se réduisent peu à peu. Faire de l’alternance chaque année, c’est absurde. Tout ce temps passé en entreprise empêche l’étudiant d’éveiller son esprit à autre chose, seules les ultimes années de sa formation devraient être consacrées à une immersion dans l’univers professionnel.

Où classez-vous vos écoles dans le monde de l’enseignement supérieur ?

Il y a les très grandes écoles d’un côté, à l’instar d’HEC par exemple (Hautes études commerciales, ndlr). Et de l’autre les écoles qui ont une liberté presque totale dans leur recrutement et qui ne sélectionnent pas. Les écoles du Groupe IONIS sont situées entre ces deux catégories. Disons qu’elles font partie des grandes écoles, sans être de très grandes écoles. À l’avenir, nous souhaitons augmenter notre sélectivité. Aujourd’hui nous acceptons environ un étudiant sur deux, libre ensuite aux candidats retenus de rejoindre ou non nos écoles. Mais dans les prochaines années, nous viserons plutôt un candidat accepté sur trois. D’abord parce que si tout le monde peut rentrer dans une école, celle-ci sera de moins en moins désirable. Et aussi car nous ne souhaitons pas accueillir des étudiants pour lesquels nous savons qu’ils ne réussiront pas.

Nous retrouvons des écoles dédiées à l’informatique, à l’ingénierie, au sein du Groupe IONIS. Qu’en est-il de la féminisation de ces filières ?

© Joseph Melin

Nous améliorons au fil des années nos performances en matière de féminisation des formations technologiques. Simplement nous ne sommes toujours pas parvenus à l’équilibre car nous sommes avant tout dépendants de la manière dont le lycée évoque ces possibilités d’orientation auprès des jeunes filles. Nous arrivons après, et nous ne pouvons accepter que les candidats qui postulent… Or si les filles sont moins nombreuses à postuler, elles seront également moins nombreuses au sein de nos formations. C’est logique.

De quelle(s) nouveauté(s) concernant vos écoles peut-on parler dans les mois ou années qui viennent ?

 

Renforcer les écoles déjà
existantes plutôt que d’en
créer de nouvelles

Pour la prochaine rentrée 50 000 mètres carrés seront ajoutés à nos campus, afin de les agrandir et contribuer à ce que nos étudiants fréquentent, comme je vous le disais, de véritables lieux de vie. Le but étant de redonner encore plus de poids à ce qu’il se passe à l’intérieur de nos établissements, là où se tissent un réseau et des relations utiles pour l’avenir professionnel des étudiants.

Notre objectif ? renforcer les écoles déjà existantes plutôt que d’en créer de nouvelles ! C’est
pourquoi l’ouverture d’une 30e école n’est pour l’heure pas prévue. En revanche, du côté de l’IPSA (spécialisée dans l’aéronautique, ndlr), un campus ouvrira à Lyon dans les prochains mois, ce sera le troisième après Toulouse et Paris. Dupliquer nos formations dans les régions, voilà ce qui compte pour nous.

Une fibre
entrepreneuriale
« Lorsque pendant toutes
ses années d’études on a
su être débrouillard, que
l’on a travaillé en parallèle
de sa formation, quand
on a envie de faire des
choses qui nous plaisent
dans la vie, que l’on déteste
l’ennui, et que l’on a ce désir
d’être utile… Je crois que
l’entrepreneuriat s’impose,
comme naturellement,
à vous », Marc Sellam.

Être à la tête d’un groupe de presque 30 entités et écoles ne doit pas être simple. Quel est votre style de management ?

Je manage comme un entrepreneur. J’ai cet esprit start-up ou PME. L’éducation est un secteur où si l’on n’est pas partout à la fois, réussir n’est pas possible. Je rencontre très régulièrement les directeurs de chaque école, sur le terrain le plus souvent. Et j’alterne en fonction des écoles chaque semaine. C’est essentiel pour moi d’être proche de mes dossiers, connaître la situation de chacun de mes établissements. Je le redis, j’ai cette culture que l’on retrouve chez les patrons des petites entreprises. Mais tout cela est un plaisir, parce que nous formons les cadres et décideurs de demain. Rencontrer et croiser chaque jour tous ces jeunes visages, c’est tellement stimulant et motivant pour continuer à travailler et proposer des programmes toujours plus adaptés. Et cela permet aussi à soi même, de vieillir un peu moins vite !

Votre groupe accueille entre 35 000 et 40 000 étudiants, quel regard portez-vous sur la jeunesse ?

Les nouvelles générations veulent travailler autrement. Ce ne sont pas à elles de s’adapter mais à nous. Inutile de leur rabâcher comment les aînés fonctionnaient avant, dans leur manière de travailler ou d’apprendre. A quoi bon rester prisonnier du passé ? Nos écoles défendent l’innovation, ce serait contradictoire d’imposer à nos étudiants les méthodes d’apprentissage qu’on a connues. Les cours, aujourd’hui, ils peuvent les avoir facilement. La relation avec les professeurs par exemple a changé, elle se veut plus proactive. Et c’est tant mieux.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince 

 

 

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