Quand les ​start-up du cerveau réparent… et améliorent ​

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« Brain gain »

Avancées en recherche et technologies permettent d’entrevoir des thérapies, mais aussi des améliorations du cerveau. Dans tous les cas des start-up florissantes…

Redonner la parole aux personnes muettes atteintes d’aphasie est possible… Non, vous n’êtes pas en train de lire la Bible, une équipe de chercheurs du laboratoire BrainTech (Inserm), du GIPSA-Lab et du CHU de Grenoble a mis au point une interface cerveau-machine qui, une fois couplée à un synthétiseur vocal et connectée au cortex moteur du cerveau, convertit en paroles les pensées de ces personnes handicapées. Une technique semblable à celle utilisée pour les neuroprothèses motrices, ces membres artificiels mus par la pensée. Grâce à plusieurs capteurs posés sur la langue, les lèvres et la mâchoire, le synthétiseur vocal analyse les mouvements articulatoires et les convertit immédiatement en paroles de synthèse. Les chercheurs espèrent réussir à se passer de ces intermédiaires que sont les yeux ou la bouche pour recueillir à la source – c’est-à-dire au sein même de l’ère corticale du cerveau – les intentions d’expression des personnes muettes. Et, à terme, parvenir à personnaliser la voix de synthèse… La compréhension croissante du cerveau augure de nombreuses ruptures. « C’est un des derniers grands «Far West» au niveau scientifique », déclare, enthousiaste, Alexis Genin, directeur de l’iPeps, incubateur et pépinière d’entreprises de l’institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) à la Pitié-Salpêtrière. Cette fondation privée lancée en 2012, reconnue d’utilité publique, s’est rapidement imposée comme un des gros centres mondiaux en neurosciences. Dans cette ruche 700 chercheurs s’attaquent aux troubles neurologiques. D’autres multiplient les travaux non pas pour réparer, mais pour optimiser les capacités cérébrales. Les GAFA, habités par leur doxa de l’homme augmenté, s’illustrent dans les moyens consacrés à ce but. Evidemment ces deux mondes sont proches, et il y a fort à parier que CarThera, une des pépites de l’iPeps qui ouvre brièvement la barrière du cerveau par ultrason pour administrer une chimiothérapie, intéresse au plus haut point les Californiens. Quand la jeune pousse américaine Kernel, créée par Bryan Johnson, met au point une minuscule puce pouvant être implantée dans le cerveau pour aider les personnes souffrant de dommages neurologiques causés par des coups ou la maladie d’Alzheimer, elle prévoit à plus long terme d’augmenter les capacités cognitives de personnes saines… Tous les acteurs ont un point commun : une foi inébranlable en l’avenir, tant les perspectives de ce secteur s’annoncent colossales.

Demande sans précédent

Au fur et à mesure des progrès technologiques, de nouveaux moyens d’actions directes et rapides sur le cerveau apparaissent. « Les médicaments, très onéreux pour la société, sont insuffisants dans ce domaine. Et pour ce genre de pathologies, mieux vaut prévenir que guérir, car les neurones ne repoussent pas », explique Alexis Genin. De nombreuses équipes internationales sont à la recherche de solutions efficaces. « Si nous entendons beaucoup de langues différentes à l’ICM, c’est bien parce que des maladies comme Alzheimer deviennent plus visibles avec l’allongement de la vie », remarque Frédéric Sottilini, DG de CarThera, dont l’implant rend perméable par des ultrasons, durant un court instant, la barrière hématoencéphalique qui protège le cerveau. Et l’entrepreneur de constater un effet boule de neige : « Les avancées de l’imagerie permettent de mieux cerner les problèmes, des travaux entrepris depuis plusieurs années émergent, les pathologies qui ont plus d’incidence intéressent plus de labos, et donc de financeurs ».

Des interventions toujours mieux ciblées

Les progrès de l’imagerie permettent de visualiser l’activité du cerveau et les signaux pathologiques : marqueurs de perte de concentration, de troubles de l’attention, d’hyperactivité chez les enfants, d’insomnie… Certains moyens existent ensuite pour solliciter des mécanismes sans médicaments ou technologies invasives. Muse, Emotiv, Neurosky, Halo Neurosciences, Dreem… conçoivent depuis plusieurs années des casques d’électro-encéphalogrammes (EEG) classiques et les applications logicielles qui vont avec pour mesurer le stress, endormir avec de la musique, piloter des dispositifs de commande simples. La jeune pousse bretonne Mensia Technologies analyse les ondes cérébrales et développe des solutions pour l’hyperactivité enfantine. « Des jeux vidéo génèrent une certaine gymnastique cérébrale et produisent des effets cliniques impressionnants concernant les maladies de Parkinson ou Alzheimer. Exercices d’étirement et de mobilité soigneusement mesurés par des capteurs de mouvements, tests de mémoire injectés dans les jeux de manière quasi-invisible… Tout est possible pour faire travailler les patients à distance, et par la même occasion recueillir des informations sur eux », explique Alexis Genin. A chaque fois un protocole de réhabilitation du patient peut être déterminé par le médecin. Après un accident vasculaire cérébral et une paralysie des membres supérieurs, un jeu vidéo peut solliciter les bras, induisant une plasticité du cerveau qui reconstitue le «câblage». Et la réalité virtuelle, avec ses environnements immersifs, s’annonce prometteuse. myBrain Technologies, avec son casque connecté, permet aussi une gestion du stress basée sur le son. « En fonction du signal cérébral la musique est adaptée », note Alexis Genin. Viennent ensuite des technologies plus invasives. La solution de Neal Kassell, de la Focused Ultrasound Foundation, est une sorte de scalpel non invasif doté d’une précision de l’ordre du millimètre-cube. Il permet de détruire des tissus non sains et de délivrer des traitements de manière ciblée. Dans le cerveau, cette technique permet surtout de détruire des tumeurs cancéreuses ou pas. La technique a plein d’usages dans d’autres parties du corps. Elle est commercialisée sous licence par quelques dizaines d’industriels des medtechs dont une belle brochette de sociétés françaises : Eye Tech Care, pour le traitement des glaucomes, CarThera pour le traitement de tumeurs du cerveau, EdapTMS pour le traitement du cancer de la prostate, Image Guided Therapy pour des ablations de tumeurs cancéreuses diverses.

Les premières possibilités d’amélioration

Optimiser son cerveau relevait encore du fantasme il y a quelques années. Tel n’est plus le cas, comme en atteste le récent ouvrage de Michel Le Van Quyen (1), spécialiste de l’épilepsie à l’ICM. Se plonger dans un état second en écoutant des sons d’une composition particulière, mieux dormir avec un bandeau connecté, voir avec les mains ou même les oreilles… De nombreuses technologies promettent de «neuroaméliorer» les performances, comme la stimulation électrique transcrânienne directe. Cette approche consiste à moduler l’activité des neurones avec un équipement très léger : une pile, deux électrodes et un bandeau à plaquer sur la tête pendant le temps de la séance, 10 à 30 minutes. De quoi stimuler des capacités intellectuelles d’apprentissage, mais aussi physiques. « De simples impulsions électriques adressées au cortex moteur, celui qui contrôle les actions de la jambe, permettent aux cyclistes de pédaler plus longtemps », écrit Michel Le Van Quyen. Dans une volonté transhumaniste la Silicon Valley cherche à rendre plus performant le corps humain, par diverses extensions. Ainsi quand les GAFA explorent la commande par la pensée, ils cherchent à faire disparaître les écrans, avec des systèmes qui n’auraient pas besoin d’électrodes, mais simplement de «capteurs non invasifs», probablement sur un casque ou un bandeau, promet Facebook. Plus de 60 scientifiques et ingénieurs travaillent à les inventer, au sein de Building 8, le labo de l’entreprise, entouré d’une culture du secret digne de celle qui entoure Google X. Même mission pour cette équipe aux moyens quasi-illimités : développer des interfaces cerveau-machine capables de décoder les mots qu’une personne veut prononcer, logés dans la partie du cerveau qui héberge le centre du langage. En février 2017, des chercheurs de Stanford ont créé un implant crânien permettant à des personnes paralysées d’écrire huit mots par minute. Facebook vise la vitesse de 100 mots par minute « d’ici quelques années », ce qui serait cinq fois plus rapide que la vitesse pour taper les messages sur smartphone. De quoi trouver moins futuriste et utopique Neuralink d’Elon Musk, qui vise à connecter l’homme à Internet et à le rendre super-intelligent. Elon Musk a pour objectif de créer des interfaces homme-machine qui permettraient, à terme, de renforcer nos capacités cognitives en agissant directement sur notre cerveau, et ainsi de pouvoir rivaliser avec les intelligences artificielles. L’idée est de faire passer les dispositifs par les vaisseaux du cou, de manière à ne pas ouvrir la boîte crânienne. Ceux-ci iraient se coller entre les neurones et les vaisseaux de façon à doper les neurones, permettant l’accès à des bases de données ou au cloud. Des chercheurs de l’université Wits de Johannesburg ont connecté pour la première fois en direct un cerveau à Internet. Ils ont traduit l’électroencéphalogramme produit par un cerveau humain en flux de données disponible en open source et en direct sur la Toile… Dans le futur, des informations pourraient être transférées dans les deux sens, depuis et vers le cerveau. Lequel deviendrait un simple «nœud de l’Internet des objets sur le World Wide Web»…

Chercheurs entrepreneurs déterminants pour l’avenir

L’iPeps, au budget de 70 millions d’euros, qui se rémunère en actions, a su générer une proximité entre recherche, médecine et entrepreneuriat. Une combinaison transversale garante de succès dans un tel domaine de pointe. « Nous bénéficions à l’ICM de réseaux importants de recherche, de médecins, de biologistes. Locaux, moyens techniques et animalerie à disposition facilitent les études expérimentales », décrit Frédéric Sottilini, DG de CarThera qui a levé 15 millions d’euros. « Amener un produit comme le nôtre sur le marché du medical device demande le double au total, mais les demandes des neurochirurgiens seront de plus en plus importantes, car il s’agit ici de prolonger directement la vie des patients. » Pour autant le financement n’est pas aisé, le capital risk faisant encore défaut dans l’Hexagone. Mais les possibilités se démultiplient, au gré par exemple des avancées de Neurospin du CEA en matière d’IRM et de cartographie du fonctionnement du cerveau. « Nous manquons de place pour nos start-up, nous ouvrons donc un espace dans la Station F dont nous sommes le partenaire cerveau », se réjouit Alexis Genin, qui cherche à atteindre une certaine masse pour développer des offres de soins intégrées : « Solution digitale de prévention, de traitement, médicament puis suivi avec sollicitation », tel est le futur….

« Améliorer son cerveau, oui mais pas n’importe comment », de Michel Le Van Quyen, éd. Flammarion, 2017.

Grands projets de recherche

Le cerveau au centre des attentions

Le Human Brain Project est un grand projet européen qui vise à simuler le cerveau de manière numérique. Lancé en 2013 et courant jusqu’en 2023, il est doté de 1,19 milliard d’euros de financements publics, dans le cadre des projets européens Horizon 2020. C’est même l’un des deux seuls grands projets scientifiques de cette envergure, « Flagship Emerging Technology ». L’autre de ces FET porte sur les nano-technologies à base de graphène. Le but ? Améliorer notre compréhension du fonctionnement du cerveau. A l’échelle anatomique, grâce à de l’IRM fonctionnelle à haute résolution permettant de cartographier le cortex tout comme la matière blanche. A l’échelle cognitive, grâce à des expériences de neuropsychologie permettant d’identifier les circuits du cerveau qui s’activent en fonction des tâches demandées. Il s’agit ensuite de créer des supercalculateurs de simulation du fonctionnement du cerveau, qui vont s’appuyer sur les données collectées, afin de comprendre l’apparition des maladies neurodégénératives. Un nouveau CERN dédié au cerveau ? De leur côté les USA ont aussi lancé l’initiative BRAIN en 2013. Les Japonais du projet Brain/MINDS ont des objectifs voisins. Le China Brain Project lancé en 2016 cible la compréhension des maladies neurodégénératives, créant la plus grande banque d’échantillons biologiques de cerveau et utilisant massivement des singes pour leurs tests.

Julien Tarby

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