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Ces start-up veulent réinventer la ville
Soutenues par les grands groupes, qui cherchent les métiers de demain, autant que par les grandes villes, soucieuses d’améliorer la qualité de vie de leurs habitants, les start-up de la « smart city » ont le vent en poupe. Panorama des principales jeunes pousses françaises qui veulent réinventer la manière dont les citadins circulent, se garent et respirent.
Des feux de signalisation qui donnent la priorité aux bus, des citoyens qui signalent un accident ou des déchets sur la voie publique depuis leur mobile, des lampadaires dont l’intensité est modulée à distance, des bennes à ordures dotées de capteurs pour mesurer leur taux de remplissage… le tout commandé à distance depuis un poste de gestion centralisé. Les technologies de la ville intelligente sortent progressivement du domaine de la science-fiction. En septembre 2017, Dijon a signé un contrat avec un consortium d’entreprises privées composé du groupe Bouygues, de Citelium (filiale d’EDF), de Suez et de Cap Gemini, qui mettront en place ce dispositif unique en France, composé d’une myriade d’objets connectés, et vont l’opérer pendant 12 ans. Les 26 communes de la capitale de la Bourgogne vont investir 53 millions d’euros, pour notamment installer 34 000 lampadaires LED et remplacer 269 caméras vidéo. A la clé, 65 % d’économie d’énergie, une quarantaine d’emplois créés, et 15 millions d’euros de gains, selon la métropole. Cet exemple est aussi le symbole du dynamisme du secteur de la ville intelligente en France, où de nombreuses start-up ont éclos ces dernières années pour connecter les services et les équipements urbains, sur des domaines aussi variés que le stationnement, l’éclairage public, l’entretien, la qualité de l’air ou l’optimisation du trafic. « En 2050, la population mondiale atteindra 10 milliards d’habitants, dont 66 % seront urbains et le nombre de voitures en circulation aura quadruplé. Si nous ne changeons pas nos approches, cela aura pour conséquence une saturation des infrastructures existantes, une raréfaction de l’espace disponible en ville et malheureusement un impact sur la santé publique. Il y a donc une nécessité de réinventer les mobilités au cœur de la ville », explique Jean-François Dhinaux, directeur marketing et synergies de ViaID, un incubateur spécialisé dans les nouvelles mobilités.
Stationnement
Le stationnement est l’un des problèmes les plus épineux des grandes villes. « La recherche de places pour se garer constitue entre 20 % et 30 % du trafic des grandes agglomérations », expliquait en novembre dernier à La Tribune David Vanden Born, le fondateur de OnePark. Pour résoudre cette question, sa start-up met en relation depuis 2013 via une application mobile les acteurs qui possèdent des places de parking vacantes avec ceux qui en cherchent – touristes, professionnels en mobilité. Les tarifs sont inférieurs aux horodateurs et aux parkings privés, et OnePark prélève une commission de 30 % sur les transactions. OnePark dispose au total de 50 000 places dans plus de 1 000 parkings en France, en Belgique, en Suisse et en Espagne, notamment grâce à des accords avec des hôtels, comme le groupe Accor, des aéroports, dont Beauvais, Charles de Gaulle et Nice, et des gares. L’entreprise de 55 salariés a procédé à plusieurs levées de fonds depuis sa création, dont une de 12 millions d’euros fin 2017 auprès de Keolis (détenu à 70 % par la SNCF) pour accompagner son internationalisation. Son principal concurrent, Zenpark, a levé 8 millions d’euros depuis son lancement en 2013 par William Rosenfeld et Fabrice Marguerie, dont 6,1 millions en avril 2016 auprès de MAIF Avenir, Demeter Partners et Frédéric Mazzella, le fondateur du site de covoiturage Blablacar. Parkmatch et Asaplace se sont lancées sur le même créneau en 2016 et étaient présentes au CES 2018. Elles y avaient pour voisine Parkki. Créé en 2016 par quatre diplômés de l’ISEN, école d’ingénieurs lilloise, cette start-up a développé un capteur qui, installé par exemple sur les éclairages publics, permet d’identifier les places de parking libres dans un rayon de 100 mètres afin de prévenir les automobilistes qui en cherchent une. Ses clients ? Les collectivités et les gestionnaires de parkings privés.
Optimisation du trafic
Même lorsqu’elles ne sont pas garées, les voitures représentent souvent l’un des pires fléaux des villes, tant en terme de pollution que de congestion. Diplômé de l’ENS Lyon, chercheur à l’INRIA pendant sept ans, Guillaume Chelius a cofondé Hikob en 2011 à Villeurbanne. Depuis, l’entreprise déploie ses capteurs de données miniatures et autonomes en énergie un peu partout en France et dans le monde pour rendre la route intelligente. Implantés dans la chaussée, ils permettent par exemple à la ville de Troyes de gérer les flux de véhicules sur les points clés de son réseau depuis 2016, et au Grand Lyon de connaître en temps réel l’état et la température de ses routes afin d’anticiper les opérations d’entretien. L’entreprise a levé 1,4 million d’euros en 2016 pour accélérer son internationalisation.
Eclairage public
Avec neuf millions de points lumineux sur le territoire, l’éclairage public représente 12 % de la consommation d’électricité française et coûte 9,3 euros par habitant et par an, selon l’Association française de l’éclairage (AFE). Les collectivités y voient un gisement d’économies important et espèrent notamment s’appuyer sur les nombreuses start-up qui veulent optimiser ce domaine. C’est par exemple le cas de Glowee, née en 2014 de l’imagination de Sandra Rey, diplômée de l’école de design Strate. En s’inspirant d’espèces marines qui ont la faculté de produire leur propre lumière, comme la méduse, elle a l’idée de greffer sur des bactéries un gène de bioluminescence. Cette lumière produite chimiquement ne consomme donc aucune énergie et n’émet aucun CO2. La société de 15 salariés a levé 1,7 million d’euros depuis sa création, dont 600 000 euros en 2016 sur le site de crowdfunding Wiseed. Créée en 2016 à Nîmes, Safelight développe un dispositif pour renforcer la sécurité des passages piétons : un capteur détecte quand une personne veut traverser et transmet l’information à des signaux lumineux installés sur la chaussée qui avertissent les automobilistes.
Pollution
Selon une étude publiée en octobre 2017 dans la revue scientifique The Lancet, « les maladies causées par la pollution ont été responsables de neuf millions de morts prématurées en 2015, soit 16 % de l’ensemble des décès dans le monde ». Pour participer à l’amélioration de la qualité de vie, des entrepreneurs se lancent dans le domaine de la Clean City. C’est par exemple le cas de Green City Solutions, une entreprise créée en Allemagne en 2014 qui a mis au point un mur végétal, baptisé CityTree, couvert d’une mousse qui a la propriété d’absorber les particules polluantes, comme le dioxyde d’azote et l’ozone. La start-up assure qu’un seul de ces mobiliers urbains a la capacité de filtrage de 275 arbres. Une vingtaine de villes dans le monde ont installé un CityTree dont Paris, Londres et Bruxelles. En Suisse, la société Cortexia a développé une solution pour aider les villes à améliorer la propreté de leurs rues. Des caméras, installées sur les bus ou les voitures de la police municipale, dopées à l’intelligence artificielle, évaluent le niveau de pollution des espaces parcourus en comptabilisant mégots, bouts de papiers et bouteilles jetés sur la chaussée. Les gestionnaires peuvent ainsi optimiser le travail de leurs équipes de nettoyage.
Des incubateurs spécialisés
Les start-up françaises de la smart city peuvent s’appuyer sur des incubateurs spécialisés. A l’instar de Newton, créé à Bègles en avril 2016 par le technopôle Bordeaux Technowest. D’une surface de 600 mètres carrés, il a depuis accompagné plus d’une douzaine de start-up spécialisées dans des domaines comme la prédiction de la mobilité urbaine (Qucit, 600 000 euros levés en 2017), l’optimisation de la gestion des parkings (Parking Facile) des transports en commun (Facebot), des bâtiments (iQSpot, 300 000 euros levés depuis sa création) ou encore l’énergie solaire (newHeat).
A Lyon, le lieu d’innovation TUBA (pour “Tube à expérimentations”), essaie également de faire naître les solutions de la ville intelligente. Cet établissement public/privé créé en novembre 2014 accueille sur 600 mètres carrés des entreprises et des start-up, ainsi qu’un espace ouvert au public pour tester leurs applications.
Au Canada, la ville de Montréal a créé en 2013 un Quartier de l’Innovation pour donner aux start-up, aux grandes entreprises et aux universités un terrain pour expérimenter leurs innovations. Flagtown, une jeune pousse française qui propose une application mobile pour dynamiser les centres villes, y teste sa solution depuis quelques mois. Son fondateur, Stéphane Grandjean, témoigne : « Montréal a de nombreuses problématiques propres aux grandes métropoles. Elle est notamment très congestionnée, car il existe peu de ponts pour entrer et sortir de la ville, elle cherche donc à améliorer la gestion de ses flux. Le fait d’être incubé par l’une des quatre universités partenaires nous donne accès à des opportunités de développement très intéressantes. »
Fonds d’investissement spécialisés
Certaines sociétés de gestion ont aussi lancé des fonds spécialisés. C’est par exemple le cas de Demeter Partners, spécialisé dans le financement de la transition énergétique, qui a notamment participé en 2016 à une levée de fonds de ZenPark. Annoncé en novembre 2017, son fonds dédié aux acteurs de la smart city est doté de 50 millions d’euros et veut accompagner 15 à 20 jeunes pousses en Europe. Il a déjà misé 1 million d’euros dans la société Energie IP pour développer sa solution de gestion des bâtiments intelligents. En début d’année, Demeter a aussi été choisi par la mairie de Paris pour gérer Paris Fonds Vert, son outil d’investissement dans les start-up de la transition écologique, qui cherche à lever 150 à 200 millions d’euros.
Les entreprises privées
De nombreuses grandes entreprises soutiennent activement les start-up de la smart city. « La quasi-totalité des industriels du secteur ont une politique d’open innovation. Leur collaboration ne relève pas que de la R&D, puisque les grands groupes ont bien compris qu’une valeur stratégique peut émerger d’une start-up. Cela leur permet de se positionner sur des métiers d’avenir », explique Benjamin Wainstain, general partner chez Demeter Partners.
Ainsi, Veolia soutient par exemple financièrement le TUBA, à Lyon, où il a expérimenté plusieurs de ses services, dont une application mobile pour mesurer le niveau de bruit en ville, baptisée Adam, et des capteurs pour mesurer la qualité de l’air et le confort intérieur (Eden et Cricket), développés par sa filiale M2oCity. En 2015, GDF Suez a fait appel à Paris&Co pour créer un incubateur, baptisé “Pour une meilleure énergie dans la ville”, qui a sélectionné cinq start-up françaises : Datapole (logiciels de suivi d’activité, de mesure de performance et d’aide à la décision), Energiency (économies d’énergie dans l’industrie), Partnering 3.0 (robotique), Sharette (covoiturage en zone urbaine) et Smart Impulse (compteur nouvelle génération).
Mobivia a vu dans l’accompagnement de start-up de la smart city l’opportunité d’accompagner les bouleversements de son secteur. Ce groupe, spécialisé dans l’entretien de véhicules à travers ses diverses marques, dont Norauto et Midas, compte 21 000 salariés dans 19 pays et 2 000 ateliers et magasins de détail. Il a créé en 2009 une structure comportant accélérateur, incubateur et fonds d’investissement, centrée sur les nouvelles formes de mobilité. Baptisé Via ID, il détenait en octobre 2017 des participations dans une quinzaine de jeunes pousses, en France et à l’étranger, dont Drivy (location de voiture entre particuliers), Heetch (covoiturage), Smoove (vélo en libre service), WayzUp, You2You (solution logistique pour la livraison urbaine) et Ector (service de voiturier).
Data et pouvoirs publics
L’open data toujours en suspens
Pour se développer, les start-up de la mobilité demandent l’accès aux données que possèdent des acteurs comme la SNCF et la RATP. Pour les y aider, la loi Macron avait prévu en 2015 que les entreprises « assurant un service de transport public » ouvrent leurs données. Mais l’entrée en vigueur de ce texte était soumise à l’adoption d’un décret en Conseil d’Etat, ce qui devait être le cas avant le 6 novembre 2015. Deux ans et demi plus tard, les start-up attendent toujours. C’est que, pour Annabel Quin, maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud, les pouvoirs publics redoutent que l’ouverture massive profite surtout aux grandes plateformes américaines. Les choses se font donc plutôt progressivement : à l’été 2017, la SNCF, la RATP, Transdev et Blablacar ont annoncé une alliance data pour mettre en commun certaines de leurs données, et le ministère des Transports met en place un “point d’accès national” pour centraliser les données de transport.
Louis Marquis