Des alternatives crédibles au milieu carcéral ?

Aller dans une autre direction pour mieux penser la résinsertion ?
Aller dans une autre direction pour mieux penser la résinsertion ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

La probation, clé de la réinsertion ?

Exit le tout carcéral pour les petits délits ? Si la nouvelle réforme pénale entend mettre les peines en milieu ouvert à l’honneur – travail d’intérêt général, sursis, bracelet électronique –, encore faut-il optimiser la pratique de la probation et l’ancrer dans les mentalités. A la clé, l’enjeu est de taille : faire chuter les taux de récidive.

«La prison est une période dans la vie d’un individu qui est voué à se réinsérer. C’est pourquoi la punition doit permettre ce retour et non un risque renouvelé ou accru. » En fustigeant les maisons d’arrêt françaises qui « déshumanisent » voire deviennent des « écoles du crime », Emmanuel Macron a donné le ton, lors d’un discours à Agen au début du mois de mars, sur le sujet de sa nouvelle réforme pénale. A savoir, mettre à l’honneur les peines de probation, exécutées en milieu ouvert, pour les auteurs de petits délits. Exit l’emprisonnement en deçà d’un mois, voire de six – sauf cas exceptionnels –, simplification du maquis des peines alternatives, etc. : autant de mesures qui visent à repenser le sens et l’efficacité de l’emprisonnement dans un pays avec un taux de surpopulation carcérale de 125 % ! L’un des pires scores en Europe, avec près de 70 000 détenus, dont 20 000 prévenus et moult condamnés à de courtes peines. La généralisation des travaux d’intérêt général via la création d’une agence nationale illustre une telle volonté de doper la probation « bien plus efficace en termes de réinsertion », constate Florent Boitard, délégué syndical à l’USM, Union syndicale des magistrats.

La prison, chère et inefficace

La preuve en chiffres : « un taux de récidive de 63 % dans les cinq ans pour les sortants de prison, contre 10 % pour les personnes condamnées à une peine alternative – travail d’intérêt général, sursis, mise à l’épreuve, contrainte pénale… – ou bénéficiant d’un aménagement de peine : libération conditionnelle, bracelet électronique… », précise Yannick Le Meur, directeur départemental des services pénitentiaires d’insertion et de probation de Seine-et-Marne (SPIP 77). Des solutions aussi moins coûteuses pour l’État : « 1 000 euros par an en moyenne contre 32 000 euros pour une personne en détention », lance l’intéressé, convaincu que « la prison doit constituer la solution par défaut pour les délits les moins graves ». En effet, toute démarche de réinsertion suppose un suivi « toutefois impossible à mener en deux ou trois mois. Difficile, dans ces délais, de travailler avec le détenu sur son passage à l’acte, sa sortie de prison, etc., tant celui-ci restera focalisé sur son quotidien difficile entre quatre murs », analyse Yannick Le Meur. On l’aura compris, « l’intérêt de condamner quelqu’un à autre chose que de la prison, c’est justement de pouvoir parler avec lui de son avenir, dans des conditions plus sereines. Et pour cause : il bâtira son projet de réinsertion de manière plus efficace, en n’étant pas coupé de sa famille ni de la société ». Des arguments convaincants, mais loin de suffire à rompre avec « cette logique contre-productive du tout carcéral », estime Amid Khallouf, coordinateur régional de l’Observatoire international des prisons, en dressant le constat suivant : « Dans notre pays, on peut encourir de la prison même pour un délit mineur, comme la fraude dans les transports. Jamais la peine alternative n’est érigée comme peine maximale de référence. » Un chantier sur lequel pourrait s’atteler la réforme actuelle en imposant les bracelets électroniques – portés aujourd’hui par 10 000 personnes – comme une peine en soi. Idem pour les travaux d’intérêt général, trop peu décidés par le juges (environ 16 000 cas par an).

Des peines plus individualisées

Si toute politique pénale reste tiraillée entre deux impératifs, –  « protéger la société, et favoriser la nécessaire réinsertion des inculpés », comme le rappelle Florent Boitard – c’est dire si trouver le bon équilibre entre l’un et l’autre relève de la gageure. « Dans les pays anglo-saxons et surtout scandinaves – où les peines de probation sont bien plus admises et répandues – on croit davantage en la possibilité de faire changer les comportements des détenus via des programmes d’accompagnement dédiés, tandis qu’en France on peine encore à franchir le cap », analyse Yannick Le Meur. Pour ce dernier, l’enjeu est donc de taille : « Changer le paradigme dans lequel nous sommes installés depuis des décennies. Et ce, afin de créer un vrai consensus autour des peines de probation, pas assez pensées aujourd’hui. » Car le système reste « trop figé » selon le directeur du SPIP 77, puisque pour condamner une personne à une peine de probation, c’est soit un travail d’intérêt général, soit un sursis avec mise à l’épreuve, soit le port d’un bracelet électronique. « On pourrait imaginer un régime plus progressif, où la peine s’avère flexible et individualisée. Par exemple, en mixant de la surveillance électronique les premiers mois et un simple contrôle judiciaire les mois restants, en cas de bon comportement. Cela éviterait d’opter pour une solution unique dès le départ sans pouvoir la faire évoluer aisément par la suite. »

La réinsertion, l’affaire de tous

Si l’individualisation peut conférer un vrai sens à la probation, force est de constater que les juges sont encore loin de faire dans le « sur-mesure ». « C’est plus facile de mettre quelqu’un en prison que de lui préparer un suivi adapté en milieu ouvert. Ce qui exige d’étudier son profil, de prendre son temps pour anticiper sa sortie de prison alors que la justice s’avère toujours plus expéditive, faute de moyens », déplore Florent Boitard en rappelant « qu’à l’échelle des 28 pays de l’Union européenne, le budget français de la justice n’arrive qu’à la… 23e place ». Et ce, alors que le coût de la prison plombe davantage un tel budget que le suivi en probation, même pourvu de plus de moyens, comme la création de postes de conseillers en insertion. Pour Amid Khallouf, « les 1 500 postes en plus décidés par Macron restent insuffisants alors que 4 000 conseillers assurent déjà le suivi de 250 000 personnes placées en détention ou en milieu ouvert ». Au-delà de la question des ressources, reste encore à ancrer la probation dans les mentalités. « Et ce, en impliquant la société civile dans la réinsertion des prisonniers, selon Yannick Le Meur, ce qui suppose que chacun d’entre nous – bien au-delà des associations spécialisées – joue pleinement son rôle dans la prévention de la récidive. A commencer par les chefs d’entreprise avec lesquels nous cherchons à nouer toujours plus de liens afin qu’ils offrent aux condamnés un nouvel avenir qui les aidera à tourner la page. »

Charles Cohen

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