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Entre confort et flicage
La fournée 2018 de start-up françaises présentes au CES de Las Vegas esquisse l’avenir des objets connectés en interaction avec le corps humain, qui pose question.
Avis d’expert : Nicolas Mourier, consultant spécialisé IoT
« Des erreurs sont à éviter en matière d’objets connectés »
L’Internet des objets s’annonce comme un marché colossal, qui va s’écrémer de lui-même.
Quelles grandes tendances distinguez-vous chez les fabricants d’objets connectés ?
Elles ont multiples, les produits sont très diversifiés. Ils atteindront le nombre de 25 milliards d’ici à 2025, pour 300 milliards de dollars de revenus selon Gartner, grâce à la mise en œuvre de services et de nouvelles applications rendues possibles. Je distinguerais deux sortes d’acteurs : premièrement ceux qui concentrent leurs efforts sur la récupération et la revente de données qui intéressent par exemple les acteurs de la santé ou de l’assurance quand les objets sont en interaction avec le corps humain. Deuxièmement les industriels qui utilisent les données collectées pour mieux connaître les habitudes d’utilisations de leurs produits, afin d’y apporter des améliorations et mieux répondre aux besoins.
Les acteurs français sont-ils bien placés dans cette course aux data et à leur analyse ?
Les acteurs hexagonaux sont efficaces en engineering, et donc en conception de ces appareils et collecte de données. Mais l’étape suivant sera de mieux répondre aux besoins exprimés après analyse des données, notamment grâce à l’IA. C’est à ce niveau que nous ne devons pas accumuler de retard.
Cette multitude d’objets au CES n’est-elle pas la preuve d’une certaine gadgétisation ?
Assurément, le CES démontre que certains innovent dans des domaines où il n’y a pas apport d’un réel «bénéfice cognitif» à l’utilisateur final. La technologie est désormais accessible, ils le font pour faire parler d’eux. Je ne suis pas sûr que le préservatif connecté soit fondamentalement utile. Le marché va s’écrémer tout seul. Ceux qui perdureront ou se feront racheter par de grands industriels sont ceux qui répondront à un vrai besoin et sauront simplifier l’utilisation. Et l’idée même d’ajouter des fonctionnalités communicantes à un produit risque de changer totalement la perception que l’utilisateur en a, en bien ou en mal. Il existe un grand nombre d’erreurs à ne pas commettre, pour créer un cercle vertueux : une utilité maximale, pour un grand nombre d’utilisateurs garant d’une large collecte de data et d’une amélioration continue.
Pour aller plus loin : livres, expos, films et séries
Cette double perception quant aux objets connectés en interaction avec le corps – progrès, amélioration transhumaniste, plus grand confort d’utilisation d’un côté, surveillance de l’autre – a largement été reprise. Voici quelques exemples :
Iron-Man : on ne présente plus le héros de chair et d’acier de chez Marvel. Les technologies déployées dans les films et comics ne seront bientôt plus de l’ordre du fantasme : assitant intelligent pour guider l’armure et surveiller les fonctions vitales, IA qui lui permet de faire des recherches même en plein vol… La seule limite concerne peut-être les couleurs criardes de l’armure.
Robocop : dans un Détroit futuriste aux allures de ghetto géant, Alex Murphy, policier exemplaire est abattu en opération. Au lieu du traditionnel champ d’honneur, un industriel véreux décide de garder le cerveau et ses bonnes pratiques de flic modèle et de les greffer à un robot muni d’un arsenal qui pourrait faire pâlir n’importe quel gangster… Malgré ses scanners thermiques, ses capteurs implantés, son ultra-réactivité de machine, Robocop commence à bugguer. La faute à sa mémoire qui revient doucement des limbes…Un film visionnaire et ultra-violent.
Bienvenue à Gattaca : un film dystopique dans lequel est dépeint une société où l’on peut choisir le génotype de ses enfants. Cette société épurée et axée sur la technologie pratique l’eugénisme à grande échelle. Gattaca, dans ctte société qui laisse peu de place au hasard est le fleuron de ce monde, un centre d’études et de recherches spatiales prisé par des profils au patrimoine génétique impeccable. Vincent, enfant naturel, rêve depuis tout petit de partir dans l›espace. S’engage alors un combat pour battre les probabilités, les données et le déterminisme par les gènes. Un bel aperçu de «quantified self» poussé à l’extrême où les gens ne sont plus maîtres des données que leur corps produit.
Neuromancien : livre qui a fondé le genre de science-fiction Cyberpunk. Case est un hacker qui s’est fait griller par ses anciens employeurs, et a perdu la faculté de se connecter à la Matrice des données. Une femme, Molly, vient le chercher pour une mission qui va le mener aux quatre coins du monde. Molly possède des implants qui émettent ce qu’elle voit, entend et ressent. Case possède le récepteur, et peut donc suivre tout ce que fait sa collègue en direct.
Start-up symboliques du CES
DreaminzZz
Met l’hypnose à portée de tous : d’abord éprouvé auprès de professionnels de santé (chirurgiens, dentistes, kinésithérapeutes…), le masque d’auto-hypnose connecté de DreaminzZz est vendu depuis quelques semaines chez Nature et Découvertes et Boulanger. Avec le CES 2018, la start-up vauclusienne créée en 2015 veut pénétrer les Etats-Unis, berceau de l’hypnose ericksonienne. Guillaume Gautier et Kevin Kastelnik, respectivement thérapeute en hypnose et ingénieur Arts&Métiers, ont créé le masque « Hypnos » pour lutter contre la douleur, en prévention de l’anxiété, pour améliorer le sommeil… Ils ont aussi initié une branche ‘Mental Sport’ pour sponsoriser des sportifs avec le masque.
SuriCog
Jeune pousse parisienne, présente au CES ses solutions EyeBrain et EyeDee, deux dispositifs d’eye-tracking à destination, respectivement, de la médecine et de l’industrie. L’idée est d’interagir avec le regard, comme reflet de l’activité du cerveau. Avec EyeBrain une monture capte et géolocalise les mouvements de l’œil pour une aide au diagnostic des principales maladies neurologiques et des troubles de l’apprentissage. Remboursé dans plusieurs pays, il est utilisé dans 50 centres d’exploration clinique d’excellence dans le monde et près de la moitié des CHU de France. Avec EyeDee les interfaces homme-machine sont optimisées ; le processus de fabrication, le suivi et le contrôle, l’ergonomie du poste de travail et la formation des opérateurs peuvent être améliorés.
E-vone
Fondée en 2017, a mis au point une chaussure connectée qui aide les seniors à rester autonomes. La semelle intègre un système de détection de chutes et d’immobilité basé sur plusieurs capteurs de mouvements. En cas de situation anormale, une alerte géolocalisée est envoyée aux proches. Autonome grâce à une pile de montre, ce dispositif fonctionne dans 120 pays. Le module électronique, qui intègre un gyroscope, un accéléromètre et un capteur de pression, est recyclable et se réintroduit dans de nouvelles chaussures. Le produit sera couplé à une offre de services sur abonnement et sera soutenu par un réseau de prescripteurs comme les aidants, les professionnels médicaux ou paramédicaux et les mutuelles et assurances.
KineQuantum
Créée en 2015, veut améliorer la kinésithérapie grâce à la réalité virtuelle. La start-up veut projeter les utilisateurs dans des jeux en 3D afin de réduire leurs douleurs lors des exercices et mesurer plus précisément leurs progrès. Lucas Vanryb, Mathéos Freydier, Natacha Vanryb et Nathan Toledano entendent immerger le patient dans un monde où il aura moins peur d’exercer certains mouvements. Leur logiciel propose des exercices qui touchent à la rééducation et au bilan concernant le rachis cervical ou lombaire, l’équilibre, les séquelles des AVC ou encore le système vestibulaire.
Julien Tarby