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Exploiter ou mettre en valeur ? L’éternelle question se pose encore au sujet de l’Outre-Mer. L’occasion pour EcoRéseau de mettre en exergue les potentialités, les forces de ces territoires et les enjeux de ce dilemme cornélien.
Sirius ne fait-elle pas partie de ces étoiles que l’on ne voit que posté sur les terres exotiques de Guyane et de Martinique ? Oui, parfois la position géographique, même aux allures d’enclaves ou de bout du monde, nous permet d’observer des choses admirables. Tout reste une question de point de vue. Verre de rhum arrangé à moitié vide, la locution « Outre-Mer » renvoie à des handicaps structurels. Les clichés perdurent quant au chômage de ces territoires survivant grâce aux perfusions hexagonales et européennes, à leur incapacité à se défaire du giron métropolitain. Certes, il perdure des pesanteurs économiques qui ne semblent pas pouvoir être surmontées. Toutefois, le verre de rhum peut être aussi à moitié plein car des initiatives originales émergent en ces territoires. La Guadeloupe Tech, par exemple. D’autant qu’ailleurs, des chantiers d’avenir et d’ampleur voient le jour. Les relations entre DROM-COM et voisins internationaux évoluent elles aussi. Même le tourisme, grand marronnier de l’activité d’Outre-Mer, renaît grâce à l’alliance du patrimoine et de la technologie. Comme quoi, l’innovation peut aussi avoir les pieds dans l’eau.
Le défi de l’innovation dans les DROM COM, l’avis d’Erik Pollien, entrepreneur et délégué général de la MPI* Guyane.
Comment se traduit l’innovation en Guyane ?
L’innovation dans un territoire présente des défis, mais aussi des retards en termes d’infrastructures et se manifeste surtout par l’incorporation de technologies non présentes en Guyane à l’intérieur de nos entreprises. Elle se traduit donc bien souvent par du transfert technologique. Cependant, l’innovation n’est pas absente, pas plus que la R&D, mais dans des proportions en rapport avec la taille de nos entreprises. Il existe environ 9000 entreprises actives en Guyane. 90% d’entre elles emploient moins de dix salariés, 75% n’emploient aucun salarié, ce qui correspond à de « l’auto emploi ». La Guyane est un pays jeune et son avenir économique est toujours en construction. L’arrivée du Centre national d’études spatiales (CNES) dans les années 60 a agi comme un catalyseur et a été longtemps le vecteur principal du développement économique. Aujourd’hui, les choses se sont rééquilibrées et la Guyane dispose réellement des moyens endogènes propres à assurer un développement économique sur le long terme. Elle dispose de formidables ressources de matières premières qu’elle peut et doit valoriser. Des ressources minières comme l’or, la roche, la bauxite, et on le sait maintenant, du pétrole. Sa biodiversité amazonienne, qui est loin d’être complètement recensée aujourd’hui, représente un fort potentiel.
Quelles sont les spécificités territoriales qui permettent de créer actuellement de nouvelles opportunités d’affaires?
La croissance démographique exceptionnelle de la Guyane (environ 3,8% par an) génère et générera des besoins importants en matière de services à la personne, secteur en fort développement. Cette croissance de la population sera également le vecteur du développement du marché intérieur Guyanais, de ses industries agroalimentaires et de transformation. Cette situation plutôt inverse aux Antilles fait penser qu’à moyen terme, la Guyane pourrait être le grenier des Départements français d’Amérique (DFA) et aussi un leader économique.
Quid des investissements en 2015 ?
Faire venir des investisseurs n’est pas difficile, tant l’image « d’Eldorado » est ancrée dans les esprits. Le plus délicat demeure le temps de développement des projets, car la Guyane connaît de véritables déficits en termes d’infrastructures. Elle doit perpétuellement investir afin de satisfaire une demande intérieure exponentielle et développer son réseau routier, son réseau de télécommunications, son port de commerce, etc. Par ailleurs, la Guyane connaîtra à nouveau une forte séquence d’investissement dans le secteur spatial avec la construction du lanceur Ariane 6 et les infrastructures de lancement dédiées. L’objectif d’Arianespace et du CNES ? Procéder à leur premier lancement dès 2020, soit dans un peu plus de quatre ans. Cela représente un peu plus d’un milliard d’euros de développement pour ce nouveau lanceur. De cette augmentation de la consommation électrique va également découler la construction d’un deuxième barrage hydroélectrique et là encore plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissement. Le réseau routier demandera lui aussi à l’avenir de forts investissements pour pouvoir desservir les principales communes de l’intérieur où seuls les avions de la compagnie Air Guyane ou les pirogues relient les populations au littoral, où se concentre l’activité économique. Tout est encore à construire dans ce département qui se transforme à vue d’œil, et ses potentialités ne semblent pas près d’être atteintes.
(*) MPI : Association des petites et moyennes entreprises de Guyanne
Trop de freins économiques ?
Notons bien au préalable que la dénomination DOM-TOM n’existe plus. Dorénavant, l’on parle de DROM-COM (départements et régions d’outre-mer et collectivités d’outre-mer). « Prochainement, la Martinique, région mono-départementale, va connaître une profonde mutation dans son administration et verra fusionner ses deux collectivités (région et département) », illustre Hervé Toussay, président de l’Association martiniquaise pour la promotion de l’industrie (AMPI). Aussi, ces territoires se situent-ils aux quatre coins de la planète. Les plus fameux, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte et La Réunion constituent les DROM mais sont également des Régions ultrapériphériques européennes (RUP) et sont ainsi soumises au droit communautaire. Ce faisant, deux grands scénarii partagent l’Outre-Mer français : soit des territoires fortement liés à la métropole, soit d’autres qui ont décidé de s’émanciper davantage de Paris. Quoi qu’il en soit, il ressort des traits communs de chacune de ces collectivités ensoleillées : d’abord, elles sont presque toutes tournées exclusivement vers leur marché intérieur, qui se caractérise par son étroitesse, empêchant, ce faisant, les grandes industries de s’y développer. Rappelons également que chaque DROM s’inscrit bien évidemment dans un cadre géopolitique et un contexte économique complexes. Par exemple, la Martinique, meilleur IDH des Caraïbes, ne ressemble en rien à ses voisins. Haïti se caractérise par sa pauvreté. Et les îles Caïman sont notoirement connues comme paradis fiscal avec un PIB deux fois plus élevé. Chaque DROM demeure ainsi une sorte de micro-marché déconnecté du reste de la France, voire même du monde. D’autant que les entreprises s’essaimant sur ces espaces ne sont pas assez importantes pour développer leur force de frappe à l’étranger. Difficile dans ces conditions de réaliser des économies d’échelle. L’Outre-Mer se caractérise également par sa dépendance aux importations d’énergies fossiles qui pose sur ces territoires, plus que partout ailleurs en France, la question du développement des énergies renouvelables. Car rappelons-le, ces territoires sont bien trop instables sismiquement pour y construire une centrale nucléaire. Ajoutez à cela, un surcoût de production et de stockage engendré par un approvisionnement souvent lointain… Mais comme le veut l’adage, en France, nous n’avons pas de pétrole (sauf la Guyane), mais nous avons des idées. En témoigne l’initiative Guadeloupe Tech, cluster de l’économie numérique qui souhaite regrouper l’ensemble des acteurs du secteur et leur permettre un développement rapide pour faire émerger une vraie filière en Guadeloupe.
Indispensables aides européennes et de l’Etat ?
Pour pallier ces difficultés, tout un panel d’aides est accordé à l’Outre-Mer, considérées à raison comme un ensemble de RUP*. La loi dite « Lodeom », dernière en date, et les plans Etat-Région complètent le dispositif. Les DROM-COM, de par leur statut, sont ainsi souvent dans le collimateur des Français et des politiques pour le manque de retour sur investissement. Pourquoi ces territoires auraient-ils droit à 7 milliards d’euros par an, budget du ministère de la Justice ? De la même manière que l’on critique la prime de charbon rétribuée encore aujourd’hui aux cheminots, on s’insurge et on tire sur l’ambulance de la défiscalisation, des subventions et des primes d’expatriés. Erik Pollien, délégué général de la MPI Guyane, s’agace : « Les minimas sociaux sont appliqués de la même façon qu’en Métropole. L’investissement de l’Europe est effectivement significatif, mais dans les mêmes proportions que pour les régions les moins développées de l’UE. Le statut des DOM en tant que région ultrapériphérique au niveau communautaire a permis de faire reconnaître les handicaps structurels et permanents de nos territoires. Il ne faudrait quand même pas avoir honte d’être compensé pour des handicaps avérés… » Et Hervé Toussay, président de l’AMPI (Association pour la promotion de l’industrie martiniquaise) de renchérir : « Cela tend à créer l’image en métropole d’une Martinique consommatrice de subventions, mais nous ne sommes pas plus consommateurs que l’Hexagone. Par exemple, la betterave et le blé sont mieux aidés que la canne à sucre. » Localement, les enjeux sont autres que le gaspillage de l’argent du bon contribuable métropolitain. La Martinique, via son schéma de développement durable, espère ainsi d’ici 2024 que l’Union européenne et l’OMC reconnaissent de concert la nature particulière des régions ultrapériphériques par la mise en œuvre de mesures adaptées et pérennes permettant de travailler sur le long terme. « Le climat chez les chefs d’entreprise est à l’attente. L’application de l’octroi de mer par exemple arrivait à échéance en 2013. Le dispositif a été renouvelé pour une échéance qui respecte les programmes européens (2014-2020). Dans ce contexte, on se dit que les échelles sont courtes pour des investissements lourds sur 10-15 ans », explique Hervé Toussay. Cela dit, les experts du développement économique de l’Outre-Mer sont d’accords sur une chose. Les aides, quelles qu’elles soient, doivent encourager les productions à partir à la découverte de marchés plus importants. C’est dans cette optique que la Martinique et la Guadeloupe ont intégré cette année une partie du CARICOM (Caribbean Community). « Technologiquement nous sommes mieux équipés que les pays du CARICOM, notamment sur le sujet de la transformation des déchets, de la construction, l’extraction carrière ou la production de matériaux », précise Hervé Toussay. De même, les plus audacieux des entrepreneurs antillais et guyanais s’orientent de plus en plus vers le Brésil, marché prometteur et géographiquement proche, mais difficile d’accès pour une petite entreprise.
(*) : Régions ultra périphériques
Tourisme : Mariage de raison entre le patrimoine et la technologie
Si les DROM-COM sont connus en métropole, c’est avant tout pour leurs tropismes climatiques. Ainsi, voit-on fleurir récemment à l’échelle de chaque DROM-COM un tourisme international haut de gamme, pas toujours synonyme de pétromonarques orientaux ou d’oligarques russes. Le but ? Promouvoir le patrimoine et les cultures locales, le Créole en particulier. Mieux encore. Le tourisme se diversifie et intègre d’autres activités économiques en recul telle que l’agriculture. De même, artisans et industriels concourent à ce remodelage du tourisme en maillot de bain en mettant sur le marché des produits à haute valeur ajoutée. Les domaines d’activités sont pensés plus globalement et ne semblent plus être cloisonnés. Par exemple, l’aquaculture se développe dans chacun des DROM, mais aussi à Saint-Pierre-et-Miquelon. Les professionnels cumulent des activités d’ordre halieutique, agricole et touristique. Aussi la culture créole entraîne-t-elle des retombées positives sur l’image de certains DROM tels que la Martinique. L’attractivité va grandissante. « Notre atout patrimonial principal réside dans le chevauchement de cultures très variées. Nous sommes inimitables dans les Caraïbes à ce sujet. Et c’est un atout sur lequel nous pouvons surfer : nous avons mis en place l’année dernière une marque, qui, je l’espère, deviendra une marque ombrelle sur laquelle chaque île s’appuiera pour y déposer à son tour une marque qui met en avant son territoire naturel et culturel », se réjouit Willy Rosier, directeur général du Comité régional du tourisme (CRT) des îles de Guadeloupe. Une manière également de tirer profit des structures françaises pour les activités vacancières. Ailleurs, la technologie se mêle également au tourisme. Deux exemples notoires en Guadeloupe. Prouesse architecturale, un nouvel aquarium est en train de voir le jour. Et il s’agira du plus grand aquarium de la Caraïbe. Le mémorial ACTe, lui, inauguré le 15 mai dernier par François Hollande, fait partie des musées où le numérique est une seconde peau. « Depuis deux ans et après 1,2 millions d’euros d’investissements, le CRT développe aussi une plateforme de e-tourisme en ambitionnant qu’elle soit la plus performante au monde », complète Willy Rosier.
Geoffroy Framery