Temps de lecture estimé : 6 minutes

Elle ne manquait pour rien au monde « Ambitions », l’émission de télé présentée par Bernard Tapie à la fin des années 1980. Et encore moins « Culture Pub » de Christian Blachas. Marion Darrieutort a fini, logiquement, par réunir le meilleur de deux univers : l’entrepreneuriat et la communication ! Et tant pis si ses parents – un papa magistrat et une maman professeure d’économie – attendaient plutôt de leur fille qu’elle serve l’intérêt général, tout comme eux. « Pour mes parents le business c’était uniquement servir le profit, et non la cause publique ». Même si Marion Darrieutort a, un temps, pensé à devenir commissaire de police, au sein de la brigade des stups, la jeune femme entame des études en école de commerce, à l’European Business School (EBS), avant de rejoindre le Celsa et la communication. Mais pour entreprendre, il faut savoir faire ses premières armes : ce sera dans les rangs d’Edelman, où elle se hisse directrice générale. Sa carrière était toute tracée… au point d’angoisser l’hyperactive ? L’événement personnel qui touche soudainement sa famille a joué un rôle de déclic. Pourquoi attendre ? Marion Darrieutort fonde ELAN en 2008, au début de la crise financière pour dépoussiérer le monde des relations presse. Puis le cabinet The Arcane en 2021, « entre deux covids », précise l’entrepreneure, décidément abonnée à la création en temps de crise ! « J’aime le risque et l’adrénaline », explique-t-elle… de quoi vous promettre un bel avenir d’entrepreneure. Aujourd’hui, plus que jamais, Marion Darrieutort accompagne des entreprises modernes, celles qui ont compris qu’elles devaient avoir un impact sociétal. Une belle manière d’honorer son statut de présidente du centre de réflexion « Entreprise et Progrès ». Entretien avec un électron libre. Un vrai.

À quoi rêviez-vous quand vous étiez adolescente ?

Autour de Marion Darrieutort, Camille Chaffanjon et Antoine Lévèque – directeurs – sont les premiers à entrer au capital de The Arcane

Mon papa était magistrat et ma maman professeure d’économie. Ils servaient l’intérêt général, la cause publique. Bref ils ne baignaient en aucun cas dans le monde de l’entreprise. Ma culture entrepreneuriale s’est forgée en partie grâce à l’émission « Ambitions » de Bernard Tapie. Et ma passion pour la communication est née du programme « Culture Pub ». Entreprendre dans la com’, voilà ce que je voulais faire. Même si, c’est vrai, j’ai pensé à un moment devenir commissaire de police, au sein de la brigade des stups. Parce que j’aime le terrain et l’action. Les drogues font trop de ravages et c’eût été un moyen de me sentir utile. Mais le terrain, l’action, et le sens, ne sont-ce pas aussi ce qui définit l’entrepreneuriat ?

Nominée aux Trophées Optimistes 2024
Chaque année, ÉcoRéseau Business récompense des entrepreneurs ou des personnalités qui font bouger les lignes. En 2024, Marion Darrieutort a été sélectionnée parmi les nominés de la catégorie « Electron libre » aux côtés d’Audrey Lecoq (Pharmazon), Erwann de Kerros (Terre exotique), et Éric Larchevèque (Ledger). La cérémonie de remise de prix se déroule le jeudi 21 mars à la CCI Paris Île- de-France, à Paris. confiance à Yomoni grâce au bouche-à-oreille

On ne devient pas entrepreneure du jour au lendemain… Quelles ont été les étapes avant de vous lancer ?

Bien sûr, c’est un travail de fond. J’ai d’abord suivi une formation en école de commerce, l’EBS (European Business School, ndlr), et j’ai complété le volet business par la communication, grâce à mon passage sur les bancs du Celsa. J’ai commencé en agence de communication, pour différentes agences dont Edelman. Jusqu’à en devenir la directrice générale. J’ai longtemps attendu avant d’entreprendre. Quand vous avez un salaire confortable, une voiture de fonction, vous prenez votre temps. Le déclic, en réalité, vient plutôt de ma vie personnelle. Un événement familial m’a fait comprendre que la vie ne tient pas à grand chose. Cela m’a poussée à accélérer ce que j’avais vraiment envie de faire, devenir entrepreneure. Alors je crée l’agence ELAN en 2008.

Qu’avez-vous en tête lorsque vous fondez ELAN ?

Aujourd’hui, les dirigeants ne sont plus simplement interpellés sur leur business, mais aussi sur la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient, la situation des femmes en Afghanistan, le droit à l’avortement aux États-Unis, etc.

En 2008 arrivent les premiers smartphones et blogueurs politiques. Je ne voulais pas louper le train du changement. Il me fallait passer des relations presse à l’influence, et surtout changer l’image que l’on pouvait avoir de l’influence, assimilée à la propagande et la manipulation ! Des livres fustigeaient le conseil en influence, à l’instar des Gourous de la com’ (paru en 2012, ndlr). L’influence, c’est la capacité à faire passer des idées, des bonnes idées. ELAN a été la première agence à recruter un blogueur politique (ils ont commencé à apparaître lors de la campagne présidentielle de 2007, ndlr). Les réseaux sociaux émergeaient, de nouveaux canaux qui ont rendu possible une autre manière de faire de la communication, au-delà de la presse classique.

Vous décidez de revendre ELAN en 2014, pourquoi ?

J’ai vendu pour apprendre l’international, et je ne pouvais pas y arriver seule. ELAN et Edelman fusionnent en 2014, je l’ai perçu comme un retour à l’envoyeur puisque j’avais dirigé le bureau d’Edelman à Paris avant de fonder ELAN. Il fallait industrialiser le projet. Mon moteur ? l’ennui. Et j’avais la sensation d’avoir fait le tour avec ELAN.

L’entrepreneuriat vous fait un nouvel appel du pied en 2021 ?

Les bureaux de The Arcane, Paris XVIe

Mes années à ELAN Edelman, après la fusion donc, ont été très compliquées. Moi, l’hyperactive, ma nouvelle équipe ne m’aimait pas, et l’ancienne ne me reconnaissait pas. Il y avait un vrai problème avec mon leadership, trop masculin, ce n’était pas moi. Alors je suis allée en Inde, seule, pour faire une introspection. « Ce ne sont pas eux les responsables, mais toi Marion ! », j’en ai pris conscience au cours de mon voyage.

C’est donc après cette prise de conscience que vous fondez The Arcane ?

Je fonde The Arcane en janvier 2021, entre deux covids. Là-encore, en période de turbulence, comme lorsque j’ai créé ELAN en 2008 lors de la crise financière. L’adrénaline me plaît, tout comme le risque, la sensation du sans filet. Je recrute dix CDI dès le départ, il fallait voir grand, comme disait Tapie ! The Arcane doit devenir le cabinet de conseil des nouveaux arcanes et des dirigeants du nouveau monde. Place au renouvellement générationnel. Au-delà des médias traditionnels, des alternatives se multiplient : des activistes comme Camille Étienne ou Hugo Clément, des nouveaux acteurs dans les médias comme Hugo Décrypte, de jeunes journalistes, femmes et hommes politiques. Un tas de gens que mes clients n’avaient pas l’habitude de fréquenter. Des clients prestigieux, comme L’Oréal ou encore Orange, qui ont permis à The Arcane, start-up au départ, de s’institutionnaliser. De même que la levée de fonds et des locaux beaucoup plus grands : de 150 à 600 m2.

Pourquoi avoir fait le choix de locaux aussi grands alors que vous n’êtes que 26 collaborateurs ?

Parce que les locaux de The Arcane sont aussi la maison de nos clients. Un lieu où ils viennent faire leurs conférences de presse, leur séminaires, leur Comex… Un lieu où ils ont accès à un bar de 80 places, une salle de réception où déjeuner, un appartement pour nos clients provinciaux, un night club… Bref un lieu de vie ! Nous louons aussi nos locaux pour des événements, comme la Fashion Week.

Concrètement, comment accompagnez-vous vos clients ?

Notre objectif : faire en sorte qu’un dirigeant, une entreprise, travaille son image, sa réputation et ses réseaux sociaux pour gagner des parts de marchés. Quels sont les chemins de l’influence pour promouvoir un ADN ou défendre une situation de crise ? Par quels moyens permettre à notre client de rencontrer le ministre de l’Économie ou d’obtenir une très bonne séquence presse ? On travaille à cela. Chaque consultant se voit confier environ 6-7 clients, des rendez-vous et échanges réguliers sont mis en place. Sans compter une conversation WhatsApp qui tourne en continu et des astreintes le week-end en cas de crise pour nos clients. Évidemment, on a mis en place des astreintes pour que chacun puisse bénéficier d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Parfois les clients s’attendent à des retombées immédiates… Vous ne faites pas trop de déçus ?

On n’achète pas une page de pub pour bénéficier de retombées rapides, et c’est fini. C’est
une stratégie de long terme, il y a un vrai travail de pédagogie à faire auprès de nos clients. L’humain doit être au centre : les dirigeants que l’on accompagne doivent faire connaissance avec des journalistes, des politiques. Les relations se cultivent. The Arcane attire des clients en quête d’un cabinet moderne, qui leur proposera une vision contemporaine de l’influence. Des clients avec lesquels on partage un ADN sociétal commun. Après, c’est un métier qui, selon moi, repose sur quatre critères : du pif, un réseau, un don d’écriture et de l’agilité, soit la capacité à innover et s’adapter aux tendances.

Vous êtes en parallèle de The Arcane présidente du think tank « Entrepris et Progrès », c’est quoi pour vous une entreprise qui progresse ?

C’est forcément une entreprise qui place le capital humain au centre. Une entreprise qui sert le bien commun, l’intérêt général. Aujourd’hui, les dirigeants ne sont plus simplement interpellés sur leur business, leur cœur d’activité, mais aussi sur la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient, la situation des femmes en Afghanistan, le droit à l’avortement aux États-Unis. Les dirigeants doivent savoir répondre à des sujets très sociétaux, et pour ce faire, ils ont besoin d’être accompagnés. Même si évidemment ils ne peuvent pas avoir un avis sur tout, et être en mesure de sauver le monde. Mais ils doivent s’ouvrir à nombre de sujets qui dépassent le cadre de leur business. Enfin, une entreprise qui progresse sait aussi se fondre dans les transformations culturelles, comme l’aspiration des jeunes générations à une plus grande flexibilité dans le travail.

Une entreprise qui fait aussi toute la place à l’inclusion.

LE LIVRE
Le temps des leaders pop, aux éditions de l’Aube

Dans cet ouvrage, sorti en 2023, Marion Darrieutort invite les dirigeants à devenir « pop », soit populaires, ouverts et politiques. Les leaders doivent changer leur logiciel de pensée et s’adapter à l’époque. Ils doivent plus que jamais sentir l’air du temps. Quel est le lien entre Winston Churchill, Beyoncé, Bob Dylan, Leonard Cohen ou un demi de mêlée au rugby ? « Ils sont tous des leaders pop ! », défend l’auteure.

Oui, l’entreprise de demain devra faire une place plus grande aux atypismes. On grandit dans une société où, dès l’école, on nous apprend à entrer dans les cases. J’ai longtemps souffert de cet attendu, un supérieur hiérarchique me disait de me lisser les cheveux… parce que les cheveux frisés, ça fait sale. Imaginez. Mon côté rebelle ne devait pas ressortir. Encore moins quand on est une femme…

La mixité, voilà un autre combat que vous menez ?

Oui, parce que j’en ai moi-même souffert. Il y a des remarques qui blessent. Les critiques, même si on fait tout pour les ignorer, vous atteignent forcément. J’accompagne des dirigeantes au quotidien, et je remarque qu’elles souffrent d’un manque de confiance. Je leur dis d’assumer leur singularité et de ne pas se freiner. Et pourtant, il m’a fallu moi-même attendre 50 ans avant de me sentir définitivement légitime, grâce notamment au prix de l’entrepreneur de l’année de Stratégies que j’ai remporté. Mieux vaut tard que jamais.

Quand vous ne travaillez pas, quels sont vos loisirs ?

Je suis tombée amoureuse de l’Inde, c’est pourquoi j’y retourne une fois par an. Parce que c’est le dépouillement, on se fiche des apparences et de l’image que l’on peut renvoyer. Une déconnexion qui fait du bien. Je fais aussi beaucoup de sport, quatre fois par semaine : yoga, pilates, running. Et puis, sur mes goûts, j’ai une culture très contemporaine avec le rap, le street art. J’étais d’ailleurs au concert de Kanye West récemment, je veux sentir l’époque et tout l’engouement qu’il peut y avoir autour de telle ou telle personnalité. Utile pour mon métier me direz-vous…

Concluons sur votre passion qu’est la com’. En trois mots, c’est quoi bien communiquer aujourd’hui ?

J’ai une culture très contemporaine avec le rap, le street art

Authenticité, car les gens en ont marre du bullshit, des personnes désalignées (entre discours et actes, ndlr). Quand vous allumez votre smartphone le matin, face à l’afflux d’informations, vous n’allez retenir que les langages authentiques.

Rareté. Ne pas prendre la parole tout le temps, je déteste la surexposition.

Et enfin comprendre la différence entre communiquer et parler. Dire ce qui vous tient à coeur, simplement, sans artifices. Se défaire de la carapace.

PROPOS RECUEILLIS PAR GEOFFREY WETZEL ET JEAN-BAPTISTE LEPRINCE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.