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Après des mois de négociations et rebondissements, le divorce entre Londres et Bruxelles est consommé, avec finalement un accord de libre-échange signé à la clé. Et pour les Britanniques, peut-être pas pour le pire.
Du référendum de 2016 à la signature in extremis d’un accord commercial début 2021, cinq années d’incertitude avant que le Brexit ne se concrétise enfin. Le nouveau chapitre pour le Royaume-Uni ne s’ouvre peut-être pas sous des augures si sombres… « Car le scénario catastrophe du no deal a pu être évité, c’est-à-dire celui du retour des droits de douane », rappelle Catherine Mathieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, OFCE. Pensez, dit-elle, que ces tarifs douaniers auraient été de moins de 10 % pour les produits industriels jusqu’à 50 % pour les produits agricoles ! Cette sortie de Londres du marché unique sans de telles taxes à payer à la clé ni aucun quota sur les marchandises minimise donc les dégâts de part et d’autre de la Manche. Alors que le Royaume-Uni exporte la moitié de ses produits vers l’Union européenne (moins de 10 % en moyenne à partir des 27 pays membres).
Barrières non tarifaires
Pas de barrières tarifaires donc, mais des barrières de paperasses. Avec le retour du casse-tête des formalités administratives et autres contrôles douaniers sur les trafics de marchandises en hausse de 5 % à 10 % selon l’assureur-crédit Euler Hermes. « L’UE exige désormais des entreprises britanniques qu’elles remplissent divers formulaires propres à garantir la conformité de leurs produits avec les réglementations et normes européennes », explique Catherine Mathieu, en rappelant que, du côté britannique, de telles procédures – pas encore effectives – devraient s’appliquer dès cet été. Des démarches fastidieuses et pour l’heure chronophages qu’il faut désormais anticiper ! « À commencer par les entreprises britanniques surtout en affaire avec le marché unique européen et donc peu habituées à ces formalités », poursuit l’économiste. Son exemple des exportateurs écossais de langoustines, « désormais obligés de les faire certifier par un vétérinaire avec son cortège de couacs et retards de livraisons » est parlant.
Cette épineuse question de la pêche – point clé des négociations entre Londres et Bruxelles – s’impose d’ailleurs comme une véritable pomme de la discorde. « Il faut dire que pour les pêcheurs d’outre-Manche – soutiens de la première heure du Brexit –, la déception est grande au regard du compromis décidé en la matière : l’accès largement maintenu par l’UE aux eaux poissonneuses britanniques, malgré l’opposition de Londres ! », indique Catherine Mathieu. Les « Européens » devront, en 2026, restituer 25 % de leurs droits de pêche au Royaume-Uni. Si l’impact économique d’une telle décision reste limité – la pêche ne contribue qu’à 0,1 % au PIB britannique –, sa portée politique est, elle, plus significative. « Pour Boris Johnson, estime la spécialiste, en faveur d’une reprise par le Royaume-Uni du contrôle exclusif de l’accès à ces eaux territoriales, c’est un camouflet, d’autant ce territoire marin est l’un des symboles de la souveraineté nationale. »
L’avenir de la City ?
Au final, c’est un autre hiatus de taille qui vient mettre à mal l’économie du pays : l’avenir pour le moins incertain du secteur, très dynamique, de la finance, « grand oublié de ces accords avec Bruxelles », constate Catherine Mathieu. Car l’enjeu à la clé pour l’UE réside bien dans la perspective juteuse d’un rapatriement des activités de la City vers les pays membres, déjà engagé. Le Royaume-Uni tente bien sûr – mais encore en vain – d’obtenir des accords d’équivalence systématiques pour toujours y vendre ses nombreux services financiers, point fort de son économie. Un objectif d’autant plus stratégique pour Londres qui vient justement d’être détrônée, en février, par Amsterdam, de sa première place financière européenne !
Dès le lendemain du Brexit, 6,5 milliards d’euros de transactions de l’UE ont été transférés de la City vers d’autres capitales européennes, en particulier vers l’eldorado fiscal néerlandais. « C’est dire si l’UE freine des quatre fers pour négocier avec Londres à ce sujet, arguant d’un “statut d’équivalence” des produits financiers britanniques désormais plus garanti », indique l’experte. De quoi ainsi questionner les stratégies à mobiliser, in fine, par le Royaume-Uni pour rebondir et tirer son épingle du jeu. « La tentation de jouer la carte de la dérégulation pour exporter tous azimuts hors de l’UE, en particulier vers les marchés financiers asiatiques plus dynamiques, pourrait s’avérer payante », estime l’analyste, avec toutefois le risque pour l’UE de voir s’installer une concurrence déloyale à ses portes. D’autant que « la volonté de Boris Johnson est d’aller, au contraire, vers un modèle national, plus réglementé dans un pays à la pointe des normes environnementales et tourné vers d’autres leviers de croissance comme la finance verte ». Et si le Brexit n’était en fin de compte pas un choix si regrettable pour le pays de feue la nationaliste Thatcher ? Tout porte à y croire, au vu de la baisse attendue de son PIB autour de 2,5 % selon les études. « Contre 10 % à cause du choc pandémique… », conclut Catherine Mathieu.
Charles Cohen