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État des lieux des plus sinistrés
17 mars 2020, les Français·es se retrouvent sous cloche. Confinements successifs, couvre-feux, limitation de l’activité, voilà plus d’un an que le pays vivote sur un faux rythme. La faute à une fichue pandémie, inattendue, qui a obligé nos restaurateurs·rices, nos hôtelier·es, nos organisateur·rices d’événements et tant d’autres professionnel·les passionné·es à renoncer à ce qui les fait vibrer au quotidien : leur travail. Alors que le ton semble plutôt à la réouverture, retour sur quelques secteurs ravagés par le séisme covid-19.
Les sautes d’humeur de la crise sanitaire ne frappent pas les secteurs de l’économie avec la même intensité. Mais s’acharnent sur ceux qui mettent l’humain au cœur de leur activité. À l’ère Sars-CoV-2, la restauration, les discothèques, l’événementiel ou même le spectacle vivant n’ont pas leur place. Distanciation sociale et gestes barrières obligent. Les professionnel·les de ces secteurs sont passé·es par toutes les émotions. « On s’impatiente, on rugit et bouge dans tous les sens, là on voit un redémarrage possible alors on ne tient plus », décrit Frédéric Pitrou, délégué général de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev), pour illustrer l’état d’esprit d’organisateur·rices d’événements, privé·es de leur activité pendant de longs mois. Les restaurateur·rices, bien que « psychologiquement très touché·es […] ont retrouvé l’espoir depuis la réouverture des terrasses », l’horizon s’éclaircit, selon Hubert Jan, président de la branche restauration de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih).
De lourdes pertes financières
À l’Unimev, qui représente surtout les professionnel·les de l’événementiel professionnel, les pertes accumulées depuis le début de la pandémie se révèlent colossales : « 20 milliards d’euros en interne, 20 milliards d’euros liés aux retombées économiques de l’organisation d’événements, tous les à-côtés : les déplacements, l’hébergement, la restauration, etc. […] Et enfin 34 milliards d’euros perdus qui auraient pu être le fruit de contrats aboutis à l’occasion des foires ou des salons par exemple », chiffre Frédéric Pitrou. Du côté des restaurants, muets « 9 mois et demi sur 14 », Hubert Jan de l’Umih estime les pertes accumulées à « 43 milliards d’euros ». Pas une surprise, même si la réouverture des restaurants à l’été 2020 a limité la casse, et notamment pour « les établissements du littoral ».
Les hôtels ont connu un sort singulier durant cette pandémie. Puisqu’à aucun moment ou presque – plusieurs départements prônaient l’interdiction d’ouvrir pour certains hôtels aux vacances de Pâques l’an passé – les hôtels n’ont dû fermer leurs portes. Une ouverture en trompe-l’œil. « Certes les hôtels ont pu rester ouverts, mais on leur a coupé les ailes […] Avec entre autres la fermeture des bars et restaurants, sans oublier l’arrivée massive du télétravail », explique Laurent Duc, président de la branche hôtellerie de l’Umih. Résultat, des hôtels ont préféré fermer. Notamment à Paris où les établissements misent beaucoup sur le tourisme d’affaires, lui aussi touché par la pandémie et les restrictions sanitaires. Au global, entre mars 2020 et aujourd’hui – fin mai – « les hôtels auraient subi une perte de 70 % de leur chiffre d’affaires », avance Laurent Duc. Le secteur de la culture, lui non plus, n’est pas en reste. D’après un rapport du Sénat publié mi-mai, le spectacle vivant accuserait des pertes à hauteur de 2,3 milliards d’euros depuis le début de la pandémie et une activité en chute de 84 %. Le cinéma a de son côté enregistré un milliard d’euros de pertes.
Enfin, les discothèques se ressentent comme les grandes oubliées du plan de déconfinement. Une mise à l’écart regrettée par Patrick Malvaës, président du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL) : « On ressent un mépris […] Comme si les gérant·es de discothèques étaient des entrepreneur·es de seconde zone », se confiait-il mi-mai dans les colonnes d’ÉcoRéseau Business. C’est simple, plus de 130 discothèques se retrouvent en liquidation judiciaire.
Les aides de l’État à la hauteur, mais des ajustements souhaités
« Nous sommes en guerre », déclarait le président de la République Emmanuel Macron à l’annonce du premier confinement. Alors le gouvernement a sorti un arsenal de mesures de soutien. À coups de prêts garantis (PGE), Fonds de solidarité et dispositif d’activité partielle. Les chiffres de la Fédération française bancaire ont de quoi donner le tournis. Depuis le lancement du dispositif en 2020, l’État s’est porté garant de 136 milliards d’euros de prêts auprès de plus de 670 000 entreprises. L’épaisseur du pansement témoigne de la gravité de la blessure. Mais globalement, les aides de l’État français ont plutôt été bien accueillies. Pour la restauration, « les perfusions ont été à la hauteur des besoins des professionnel·les […] Un soutien extraordinaire pour les petites entreprises, plus modeste pour les plus grandes », constate Hubert Jan à l’Umih. Même son de cloche pour l’Unimev, « un soutien globalement à la hauteur de la part de l’État », déclare Frédéric Pitrou malgré quelques tergiversations au démarrage. « Pour des raisons d’automatisation et de facilité de traitement sans doute, le gouvernement s’est d’abord cantonné au code APE pour la gestion des aides accordées », précise le délégué général de l’Unimev. Or certains prestataires, qui ne font pas directement partie des professionnel·les de l’événementiel, comme les menuisiers ou les poseurs de moquette, n’étaient au départ pas éligibles au Fonds de solidarité en raison d’un code APE distinct. Pourtant, ils·elles pâtissent de la raréfaction des événements physiques ces derniers mois. Pour l’État, délicat de marquer la frontière entre les « menuisiers qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires grâce aux événements et l’ensemble des menuisiers de France », pointe Frédéric Pitrou. Puis, les ajustements ont progressivement été faits.
Payer la taxe audiovisuelle pour des chambres vides
Des incohérences, Laurent Duc en a aussi constatées pour l’hôtellerie. « Lorsque je plaide pour ne pas payer la taxe à l’audiovisuel public car les hôtels sont vides, je ne suis pas entendu », fustige le président de la branche hôtellerie de l’Umih, l’État tient et refuse. Alors oui, les PGE ont facilement été accordés, reste à savoir si les « hôteliers indépendants pourront rembourser », il faudra faire attention à ce qu’ils ne deviennent pas la « proie d’investisseurs étrangers », prévient Laurent Duc. Selon lui, il aurait fallu aussi, de la part du gouvernement, proposer une réelle mesure pour que les « propriétaires fonciers réduisent les loyers des hôtels », un poids majeur au sein des charges fixes de ces établissements.
Pour rappel, ces trois secteurs, l’événementiel, la restauration et l’hôtellerie bénéficient toujours du Fonds de solidarité. Mais à partir du mois de juin, son montant sera dégressif pour a priori complètement disparaître fin août. Trop juste pour l’événementiel, selon Frédéric Pitrou, qui prévoit un retour normal de l’activité en septembre. Même si les foires et salons sont de nouveau autorisés à rouvrir dès le 9 juin, troisième étape du déconfinement. Pour accélérer la réouverture, tout paraît bon à prendre : « Le pass sanitaire peut rassurer les entreprises qui envoient des collaborateur·rices participer à des événements », estime-t-on à l’Unimev. Idem pour les restaurants, « sur le principe, les cahiers numériques [identification des clients] me satisfont », nous confie Hubert Jan, même si « les cahiers plus traditionnels avec crayon resteront car tout le monde n’a pas de smartphone », nuance-t-il.
La question optimiste : dans chaque crise, on trouve du positif, que retenir de ces 14 mois de pandémie ?
Hubert Jan, pour la restauration :
De cette crise, je retiens l’extrême résilience dont on fait preuve les professionnel·les de la restauration. Ils·elles se sont battu·es, ont réfléchi et avancé, malgré les 9 mois et demi de fermeture sur les 14 derniers mois. Dans ma tête aussi restera gravée l’émotion suscitée auprès des client·es à la réouverture des terrasses des restaurants. Certain·es sont venu·es parce qu’ils·elles en avaient vraiment envie, d’autres par solidarité aussi. J’espère que ce lien fort va durer à l’avenir. Et surtout, je crois que plus personne ne nous considérera comme « non essentiels ».
Frédéric Pitrou, pour l’événementiel professionnel :
On a affaire à une population de gens passionnés. Lesquels travaillent beaucoup pour un événement qui dure parfois quelques heures. Et même cette pandémie ne les démotive pas : la quasi-unanimité de ces professionnel·les veulent reprendre et exposer de nouveau en septembre ! Ce qui témoigne d’une forte positivité. Cette crise a aussi révélé notre besoin de nous réunir et d’échanger. Et notamment autour d’un événement, physique j’entends, qui rassemble toute une communauté.
Geoffrey Wetzel