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L’heure des femmes ?
Elles n’ont jamais été aussi nombreuses dans divers domaines. Mais le fait qu’on les valorise autant prouve qu’il existe encore un déséquilibre…
C’est une petite révolution. En 2016, le CAC40 se féminise enfin, avec l’accession de Sophie Bellon à la direction de Sodexo en mars, puis la nomination d’Isabelle Kocher à la tête d’Engie en mai. Sur le terrain politique, trois femmes remportent également la présidence d’une nouvelle région en janvier : Marie-Guite Dufay (Bourgogne-Franche-Comté), Valérie Pécresse (Île-de-France) et Carole Delga (Occitanie). Partout, des femmes font désormais des incursions dans des domaines autrefois réservés aux hommes, à l’image de la chef d’orchestre Zahia Zouanie, de la chef étoilée Anne-Sophie Pic ou de le première femme à entraîner un club de football professionnel (le Clermont Foot 63), Corine Diacre. Et si, au vu de la variété de ces domaines, le plafond de verre se brisait réellement ? À moins que ces quelques exemples ne masquent une réalité moins flatteuse. En politique notamment, les inégalités restent en effet tenaces. « Partout où la loi l’impose, la parité progresse : depuis la loi de 1995, la part des femmes dans les conseils municipaux des communes de plus de 1000 habitants est ainsi passée d’environ 25% à plus de 48% aujourd’hui, relève Geneviève Tapié, présidente de l’Assemblée des Femmes, l’observatoire régional de la parité en Occitanie. Mais dès qu’il n’y a plus de contrainte légale, les lignes restent bloquées. Dans le Languedoc-Roussillon, il n’y a que 15% de femmes maires aujourd’hui, contre 13% il y a six ans. À ce rythme, la parité n’interviendra pas avant 100 ans ! » De fait, plus on s’élève dans la hiérarchie, plus la présence de femmes se raréfie. Leur proportion chute ainsi à la tête de conseils départementaux ou régionaux, mais aussi à l’Assemblée Nationale – où elles ne sont que 27% – et au Sénat (25%).
Mixité et rentabilité font bon ménage
Les entreprises paraissent davantage concernées par la réduction de ces écarts. Les conseils d’administration des entreprises cotées devront ainsi compter au moins 40% de femmes d’ici 2017. Un objectif qui semble aujourd’hui atteignable, même si certains secteurs restent à la traîne. « Il y a à peine 10% de femmes CEO en France, dans le secteur de la finance et de l’investissement, alors que la moyenne s’élève plutôt autour de 20% dans le monde, pointe ainsi Myriam Ferran, présidente de CFA Society France qui vient de mener une étude mondiale sur la place des femmes dans la finance. Il faut donc susciter davantage de vocations chez les femmes pour ces métiers car la diversité des profils et des équipes permet d’améliorer la performance. » Mixité et rentabilité feraient ainsi bon ménage. Autre preuve de cette prise de conscience : la société de gestion State Street Global Advisor vient de lancer un ETF (Exchange Traded Funds)
« She » dédié aux entreprises favorisant la diversité homme-femme.
Néanmoins, malgré des avancées certaines, de fortes inégalités continuent de peser globalement sur les salaires. « Les femmes gagnent encore en moyenne 25% de moins que les hommes dans les entreprises, pointe encore Geneviève Tapié. Ce «quart en moins» persiste en raison de la non-représentation des femmes dans les tables de négociations salariale. » Des écarts qui se creusent tout au long de la carrière. « Je me souviens d’un cours à Stanford, où Margaret Neale expliquait que les femmes n’osaient souvent pas négocier leur salaire de première embauche, et que ce coût se répercutait sur toute leur vie professionnelle, jusqu’à représenter à la fin dix ans de salaire ! », ajoute Anne-Cécile Worms, CEO de la société Art2M.
Responsabilité rime avec disponibilité
Pourquoi ces obstacles continuent-ils aujourd’hui de se mettre en travers des carrières des femmes ? Au-delà du conservatisme patriarcal de notre société, les freins sont encore surtout organisationnels et familiaux. « En politique comme dans l’entreprise, la conquête des places se fait par réseau. Or, dans cette course, les femmes manquent en général de temps entre 25 et 40 ans, au moment où elles ont leurs enfants, explique Geneviève Tapié. D’autant qu’elles assument encore 80% des tâches domestiques, selon le Credoc. » Une charge incompatible avec la disponibilité requise par les postes à responsabilité, à moins d’avoir des systèmes de garde appropriés. « En Allemagne, il existe des crèches ouvertes jusqu’à 22h, un pays où ils ont une chancelière… », sourit Geneviève Tapié.
Peu de secteurs échappent à cet état des lieux, même ceux réputés plus progressistes comme le numérique, les milieux artistiques ou scientifiques. « Il y a très peu de femmes à la tête d’une boîte tech dans la Silicon Valley, même dans un secteur plus neuf comme l’Internet qui ne date que d’une quinzaine d’années », observe Yseulis Costes, la patronne de 1000 Mercis, installée à Palo Alto depuis trois ans. Passée de la politique à l’entrepreneuriat dans la santé, Élisabeth Hubert confirme : « Il n’est pas toujours évident pour une femme d’occuper de hautes responsabilités dans le monde de l’entreprise ou le domaine scientifique, même si la société mûrit, observe l’ancienne ministre de la Santé. Les femmes se tournent plutôt vers des carrières juridiques ou sociales, car elles ont besoin de concret. La superficialité et l’immédiateté de la sphère politique et médiatique les rebutent également, car les femmes sont moins sensibles aux honneurs et au décorum que les hommes. »
La riposte s’organise
Mais pour reprendre une part du pouvoir confisqué par les hommes, les femmes s’organisent de plus en plus. D’abord, si le « sentiment gaulois » perdure, les mentalités évoluent progressivement. « Aujourd’hui, plus personne n’oserait répéter le «qui va garder les enfants ?» de Laurent Fabius à Ségolène Royal en 2007 car les opinions publiques ne l’accepteraient plus, pointe Geneviève Tapié. À commencer par les femmes elles-mêmes qui parlent davantage et ne se laissent plus intimider. » En mai 2015, 40 femmes journalistes politiques se sont ainsi élevées contre les propos sexistes et les mains baladeuses dont elles étaient encore trop souvent les victimes. Un an plus tard, plusieurs élues dénonçaient à visage découvert des faits de harcèlement et d’agressions sexuelles dont elles accusaient le vice-président de l’Assemblée nationale, Denis Baupin (EELV).
Dans les entreprises, celles qui ont réussi s’investissent désormais pour favoriser la mixité dans leur organisation. Marraine du collectif des femmes managers du groupe BPCE (« Les Elles ») et du Crédit Agricole LR (« Les Audacielles »), Christine Fabresse mène ce combat. « Il existe certaines recettes incontournables : dresser un diagnostic avec des objectifs chiffrés afin de pouvoir mesurer les progrès, mettre en place des actions comme l’obligation d’avoir des candidatures féminines lors d’un recrutement par exemple, et renforcer l’accompagnement ou le mentorat, décrit la présidente de la Caisse d’Épargne LR. À ce titre, les réseaux sont également très importants pour créer une communauté où la parole se libère, et pour échanger des expériences sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, la progression de carrière, ou le besoin de se sécuriser au moment de responsabilités élargies. Il faut arrêter de dire aux femmes qu’elles doivent choisir entre leurs enfants et leur carrière. Pourquoi se priveraient-elles de l’un des deux ? »
Les clubs féminins permettent ainsi concrètement d’aider certaines à faire avancer leur projet ou leur carrière. « Heureusement que j’ai été accompagnée par la Women Business Mentoring Initative, fondée par la banquière d’affaires Martine Liautaud, qui sélectionne une dizaine de projets et met gratuitement à leur disposition pendant un an un expert en négociations de prêt bancaire, collecte de fonds ou en matière de leadership, se félicite Anne-Cécile Worms. Il faut admettre que c’est encore aujourd’hui très difficile pour nous, femmes entrepreneurs, qui bénéficions de moins de réseau et d’un accueil souvent beaucoup moins favorable que nos confrères masculins. »
Ces dernières années, la multiplication des prix et récompenses féminins (cf. encadré) a donné une nouvelle caisse de résonance à l’ensemble de ces initiatives, jusqu’à trouver l’oreille du gouvernement. La diffusion de ces bonnes pratiques devait donc prochainement s’accélérer. Début octobre, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes Laurence Rossignol, annonçait ainsi un plan interministériel « pour rééquilibrer les relations homme/femme en entreprise ». Celui-ci prévoit de créer un label « Égalité professionnelle », ainsi qu’un observatoire de l’entrepreneuriat féminin, et d’augmenter de 12 à 33% d’ici 2025 les métiers mixtes dans certaines filières comme les transports, le bâtiment et le numérique. Selon le ministère, seuls 7% des hommes travaillent à temps partiel contre plus de 30% des femmes, et les hommes gagnent encore en moyenne 19% de plus que les femmes… « Les discriminations et le manque de mixité ont un coût social et économique inacceptable pour notre société, a appuyé la Ministre. Il faut passer à la vitesse supérieure. »
Pierre Havez